Né à Port-au-Prince le 13 avril 1953 d’un père intellectuel et homme politique, Windsor Klébert Laferrière, et d’une mère archiviste à la mairie de Port-au-Prince, Marie Nelson, Windsor Klébert, qui deviendra Dany, passa son enfance avec sa grand-mère, Da, à Petit-Goâve, dans un univers dominé par les libellules, les papillons, les fourmis, les montagnes bleues, la mer turquoise de la Caraïbe et l’amour fou pour Vava. Ces épisodes sont relatés dans deux de ses romans, L’Odeur du Café et Le charme des après-midi sans fin, faisant du 88 de la rue Lamarre l’adresse universelle du bonheur insouciant.
À la fin de ses études secondaires au collège Canado-Haïtien de Port-au-Prince, Dany Laferrière commence à travailler à l’âge de dix-neuf ans à Radio Haïti Inter, journal de treize heures de Marcus Garcia, ainsi qu’à l’hebdomadaire politique et culturel Le Petit Samedi soir, avec Gasner Raymond, Carl Henri Guiteau, Jean-Robert Hérard, Michel Soukar, Jean-Claude Fignolé et Pierre Clitandre, sous la direction de Dieudonné Fardin. Il signe, à la même époque, de brefs portraits de peintres dans leur atelier pour le quotidien Le Nouvelliste, que dirigeait alors Lucien Montas.
À la suite de l’assassinat de son ami et collègue le journaliste Gasner Raymond, trouvé sur la plage de Braches, à Léogâne, le 1er juin 1976, il quitte précipitamment Port-au-Prince. Cette folle nuit où il parcourt les rues pour dire adieu à ses amis avant de prendre l’avion pour Montréal inspire son roman Le Cri des oiseaux fous.
Il débarque dans une ville en pleine effervescence olympique à la veille des élections historiques qui amèneront l’équipe de René Lévesque au pouvoir pour changer à jamais le paysage politique du Québec. Seul, il observe cette nouvelle ville, et s’acclimate difficilement à l’hiver, parcourant le Quartier latin fourmillant d’artistes où il dépose ses pénates. C’est un homme libre de vingt-trois ans qui s’engage dans une nouvelle vie tout en luttant pour échapper à la nostalgie, à la solitude et à la misère. Le premier soir, il entre au 286 de la rue Sainte-Catherine, dans un club de jazz, Le Rising Sun, et voit Nina Simone sur la minuscule scène, une cigarette à la main gauche, un verre de vin à la main droite, regardant par la fenêtre débouchant sur un ciel noir. C’est une leçon de style. Il voudra retrouver cette grâce dans l’écriture : l'intensité, l'émotivité, et ce côté nonchalant en apparence. Cette première année à Montréal sera racontée dans son roman Chronique de la dérive douce.
Pendant huit ans, il enchaîne les emplois précaires, parfois dans des usines en banlieue de Montréal, logeant dans des chambres « crasseuses et lumineuses » sans cesser de caresser un vieux rêve d’écrivain. Il se procure chez un brocanteur de la rue Saint-Denis la fameuse machine à écrire Remington 22 qui l’accompagne pendant une dizaine de romans. Le voilà installé dans sa baignoire rose avec du mauvais vin pour lire tous ces écrivains qu’il ne pouvait se payer avant : Hemingway, Miller, Diderot, Borges, Tanizaki, Gombrowicz, Marie Chauvet, Bukowski, Boulgakov, Baldwin, Cendrars, Mishima, Márquez, Vargas Llosa, Salinger, Grass, Calvino, Ducharme, Virginia Woolf… jusqu’à devenir le lecteur passionné, « l’homme-livre » que l’on connaît.
En 1985, paraît Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, qui explose dans le ciel littéraire du Québec. Le livre sort un vendredi, et le samedi, il a une interview à Radio-Canada pour l’émission En tête. Il raconte dans J’écris comme je vis que c’était les huit premières minutes de sa vie qu’il passait à la télé. Suite du succès éclatant de son premier roman, la nouvelle chaîne Télévision Quatre Saisons l’embauche pour présenter la météo. Le Québec reçoit le choc d’un Noir annonçant la neige et les angoissantes blancheurs de février avec légèreté et humour. Un nouveau personnage est né dans le paysage télévisuel. L’expérience l’amènera à participer à La Bande des six, fameuse émission de Radio-Canada qui réunit six des meilleurs chroniqueurs de la presse québécoise.
1986, c’est l’année de la mort de Jorge Luis Borges, le vieux maître aveugle de Buenos Aires qu’il ne cessera jamais de lire. Mais c’est surtout celle de la fin de la dictature des Duvalier et un bref premier retour en Haïti. Avec l’écrivain Jean-Claude Charles, il parcourt le pays tout en tenant une chronique quotidienne pour Le Nouvelliste sur la débâcle des tontons macoutes.
En 1989, la sortie du film tiré de son premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer lui permet de se familiariser avec le cinéma, qui influence grandement son écriture. Le film provoque un scandale aux États-Unis, où la plupart des grands médias le censurent (New York Times, Washington Post, Herald Tribune, Miami Herald, Los Angeles Times). C’est l’époque où il fréquente le Ouimetoscope (première salle de cinéma permanente au Canada) découvrant un cinéma d’auteur qui imprègne son œuvre. Retenons quelques réalisateurs : Woody Allen, Fellini, Michael Cimino, Claude Lelouch, Truffaut, Ettore Scola, Coppola, Carné et Eisenstein.
En 1990, il quitte Montréal avec sa famille pour Miami, afin d’échapper à l’hiver et surtout à cette célébrité bruyante qui n’était pas compatible avec le silence intérieur qu’exige le travail d’écrivain. Il écrit paisiblement à Kendall dix romans qui forment l’ossature de son œuvre. Miami, c’est l’époque studieuse où l’auteur travaille sans relâche, pas loin d’un petit lac dont il fait le tour chaque matin en ruminant les descriptions et les dialogues à écrire. L'œuvre de Laferrière, qui connaît déjà le succès en France, fait l’objet de nombreuses traductions. On se souvient de la déclaration de Laferrière au quotidien montréalais La Presse à la sortie de son premier roman : « Je veux m’emparer du monde. » Aujourd’hui c’est fait.
1996, c’est la mort de Da, cette grand-mère adorée qui a illuminé son enfance, l’une des figures centrales de son œuvre. Et de sa vie. Laferrière rentre à Port-au-Prince le temps d’une enquête au Pays sans chapeau – c’est ainsi qu’on appelle l’au-delà en Haïti.
Au printemps 1999, le Québec est le pays à l’honneur au Salon du livre de Paris. Il est invité à l’émission Bouillon de culture de Bernard Pivot, avec Robert Lalonde et Gaétan Soucy. Les trois écrivains se distinguent ce soir-là. Dany Laferrière va jusqu’à souhaiter que l’on remette un jour le prix Nobel au Québec pour l’originalité de sa littérature.
Après une quinzaine d’années de travail acharné, il entreprend de revisiter ses romans. Il en réécrit six, y ajoutant de nouveaux chapitres, jusqu’à faire surgir une œuvre beaucoup plus dense. Le procédé de réécriture étonne considérablement la critique, et encore davantage les universitaires. Il redessine lui-même son œuvre, aménageant des passerelles entre les romans jusqu’à découvrir qu’il s’agit en fait d’un seul livre : une Autobiographie américaine. S'il écrit pour se surveiller, Laferrière continue néanmoins à se réinventer, tout en retournant sur ses propres traces. C'est ce qu’il appelle l'esthétique de la roue, car pour avancer, écrit-il, une roue doit tourner sur elle-même. Cet omnibus permet ainsi de lier le cycle nord-américain, composé de romans urbains, agressifs, le cycle haïtien, plus calme et empreint de la tendresse de Da, sauf lorsque l’action se déroule dans l’atmosphère de la dictature. Mais cette œuvre, c’est aussi l’ensemble de sa production, passée, récente et à venir, y compris ses ouvrages dessinés, ses discours et ses interviews, ses albums pour enfants, ses films, et ses archives. Pour célébrer la naissance de cette idée, Laferrière offre aux lecteurs dès 2001 sa première « tournée du barman ». Je suis fatigué est ainsi distribué gratuitement en 50 000 exemplaires (Québec, France, Haïti).
De retour à Montréal, il rédige chaque dimanche une chronique dans le quotidien La Presse, de 2002 à 2007, sur les sujets brûlants de l'époque comme l’immigration, l’identité et des réflexions sur la littérature, la peinture, la poésie et le cinéma. Après avoir scénarisé Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, Le Goût des jeunes filles et participé activement à l’élaboration de Vers le sud, de Laurent Cantet, avec Charlotte Rampling, Laferrière réalise son premier film Comment conquérir l’Amérique en une nuit. Dans ce long métrage, deux hommes échangent leurs expériences. L’oncle, qui vit depuis vingt ans à Montréal, décide de rentrer au pays natal tandis que son jeune neveu arrive en ville avec le projet d’y rester.
En novembre 2009, Laferrière fait une rentrée remarquée avec L’énigme du retour, qui remporte le prix Médicis. De nombreux prix suivront, notamment le Grand Prix du livre de Montréal, le prix des libraires du Québec et le Prix international de littérature décerné par la Maison des cultures du monde à Berlin. Il est fait docteur honoris causa de l’université du Québec à Rimouski, suivi d’un autre de l’École normale supérieure en France. Il est nommé commandeur de l’ordre de la Pléiade, et le réalisateur Pedro Ruiz sort un documentaire sur l’écrivain, La Dérive douce d’un enfant de Petit-Goâve.
Le 12 janvier 2010, à quatre heures cinquante-trois minutes et dix secondes de l’après-midi, Laferrière se trouve à Port-au-Prince (Festival Étonnants voyageurs), quand le séisme frappe Haïti. Il note dans son carnet noir ses observations de manière si spontanée que les lecteurs de Tout bouge autour de moi auront l’impression de vivre l’évènement en direct. Tandis que la télévision montre les immeubles effondrés et compte les morts, Laferrière raconte la vie quotidienne dans une ville complètement brisée et les tentatives désespérées des gens pour garder une certaine dignité dans le malheur. La littérature, en s’éloignant du scandale, nous fait pénétrer dans l’intimité de la catastrophe. La version anglaise de ce livre sera élue meilleur essai 2013 par la puissante plate-forme culturelle Kirkus Reviews.
En 2011, il devient membre du conseil littéraire de la Fondation Prince Pierre de Monaco et parrain officiel du Café de Da, à la bibliothèque d’Ahuntsic, nommé à la mémoire de sa grand-mère. L’Art presque perdu de ne rien faire, publié en 2012, rassemble ses chroniques de Radio-Canada. Cet essai se révèle la surprise de l’année, en emportant un étonnant succès critique et de librairie. Deux ans plus tard, en février 2013, il récidive avec Journal d’un écrivain en pyjama. Dans cet essai, Laferrière fait l’éloge de ses deux passions : l’écriture et la lecture, en 202 chroniques sur des sujets aussi divers que la place de l’adjectif dans la phrase ou le plagiat dans les mœurs de la littérature. Il préside les Rencontres québécoises en Haïti, événement qui rassemble une cinquantaine d’auteurs et de professionnels du livre haïtiens et québécois. Plusieurs ententes sont signées afin de renforcer les liens entre les communautés littéraires québécoise et haïtienne.
Il crée avec Frédéric Normandin une trilogie d’albums illustrés pour enfants, considérée comme incontournable et dont les thèmes sont : l’amour (Je suis fou de Vava, prix du Gouverneur général), la mort (La Fête des morts) et la politique (Le Baiser mauve de Vava).
Dany Laferrière est élu à l’Académie française le 12 décembre 2013, au fauteuil 2 dont le dernier occupant fut l’écrivain d’origine argentine Hector Bianciotti qu’il rejoint dans l’admiration de Borges. Ce jour-là, il donne une conférence à des jeunes sur la littérature à Port-au-Prince. Il voulait être sur cette terre blessée, « dans ce pays où après une effroyable guerre coloniale on a mis la France esclavagiste d'alors à la porte tout en gardant sa langue », pour apprendre la nouvelle de son élection.
Le 26 mai 2015, Jean d’Ormesson lui remet son épée d’académicien lors d’une cérémonie à l’Hôtel de Ville de Paris. Reçu en séance solennelle sous la Coupole, jeudi 28 mai 2015, par Amin Maalouf, il prononce son discours de réception dont la diffusion sur Youtube dépasse 1,3 million de visionnements. Cette même année, sa statue de cire fait son entrée au musée Grévin de Montréal, il devient parrain de la Bibliothèque des Amériques, et parrain de la campagne de financement de la Maison d’Haïti. Il reçoit le grand prix de littérature Ludger-Duvernay, est nommé officier de l’ordre du Canada, compagnon de l’ordre des Arts et des Lettres du Québec et reçoit le
Dr. Martin Luther King Jr. Achievement Award.
Installé depuis dans son nouveau petit studio près de la gare de l’Est à Paris, il compose une longue lettre d’amour de 300 pages au Québec. Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo raconte quarante années de vie et partage quelques conseils pour qui veut s’infiltrer dans une nouvelle culture. Étant au Salon du livre de Montréal lors des attentats du 13 novembre, il écrit son premier poème Paris, 1985, qui fera le tour du monde et sera publié dans l’ouvrage collectif Paris sera toujours une fête. Les plus grands auteurs célèbrent notre capitale.
En 2016, Science Po Paris le reçoit pour présenter la leçon inaugurale, il reçoit un doctorat honoris causa de l’université Pierre-et-Marie-Curie et de l’université Paris-Sorbonne, ainsi qu’un doctorat honoris causa du Middlebury College, aux États-Unis. Il devient membre d’honneur de l’Académie nationale des sciences, belles lettres et arts de Bordeaux. En 2017, il reçoit un doctorat honoris causa de l’université d'Ottawa, puis l’année suivante, de l’université McGill. Il devient membre d’honneur de l’Académie de Nîmes et président d’honneur de la nouvelle Fondation pour la Langue française.
Alors qu’il prononce une conférence sur Borges, son écrivain préféré, à la Bibliothèque nationale d'Argentine, il apprend le décès de sa mère, Marie Nelson, personnage littéraire dont la figure est esquissée dans la plupart des romans. Épuisé par de nombreux voyages, avec un grand besoin de repos, il remarque que dessiner le calme. Apaisé, il fait ainsi plusieurs romans (dans faire, il y a écrire et dessiner), avec cette main qu’il ne lâchera plus. Ce nouveau genre littéraire est célébré par la critique qui souligne la folie et la liberté de l’écrivain qui replonge ainsi dans l’enfance de l’art. Le cycle-main (plus de 1500 pages dessinées) s'ajoute ainsi à son Autobiographie américaine.
En 2019, lauréat du prix des Lycéens du Bénin, il visite pour la première fois ce « pays du départ ». Il est nommé Gardien du livre en Haïti et sera le délégué de l’Académie française pour la rentrée des cinq académies. Il prononce le discours Un art de vivre par temps de catastrophe.
En 2020, à l’occasion de ses trente-cinq ans d’écriture, le Quartier des spectacles produit l’exposition géante Un cœur nomade, qui retrace la vie et l’œuvre de l’écrivain. La ville de Montréal s’inspire également de ce nom poétique pour la première bibliothèque inter arrondissement Cœur-Nomade qui sera inaugurée en 2025, reflétant ainsi une œuvre littéraire et une personne qui a joué un rôle exceptionnel dans le développement de la communauté. L’artiste rimouskois Roger Langevin offre une sculpture monumentale à l’effigie de l’écrivain à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec, qui le représente en position assise sur la plus haute marche d’un escalier, et sur les parois duquel est transcrit un extrait dessiné dans L’exil vaut le voyage, qui donne son titre à l’œuvre. Celle-ci est installée dans le jardin d’art de la Grande Bibliothèque. Préoccupé par une Amérique blessée, Laferrière publie parallèlement plusieurs textes dans les journaux du monde entier, avant d’écrire son Petit Traité du racisme en Amérique.
Dès 2021, l’écrivain est président du jury du prix du Livre Inter, et en tant que directeur en exercice, prononce le discours sur les prix littéraires de l’Académie française. Son exposition Un cœur nomade voyage dans plusieurs villes du monde dont Tunis, Francfort, Dubaï, avant d’être présentée dans l’entrée des délégués du siège de l’ONU à New York. En 2022, il fera le discours de réponse à Chantal Thomas tout en publiant L’Enfant qui regarde, son premier roman-bonzaï. Il sort la même année son cinquième livre dessiné Dans la splendeur de la nuit, remporte le prix Ulysse pour l’ensemble de son œuvre, une médaille de l’ordre des Francophones d’Amérique, est parrain de la journée des professeurs de français et président d’honneur du 50e anniversaire de l’Association des médecins haïtiens à l’étranger. Le musée Grévin de Paris accueille dans ses murs sa sculpture en cire sous une pluie d’éloges de diplomates et de personnalités venus de partout, elle le représente assis dans un fauteuil en train de lire un livre qui change chaque mois.
Il obtint en 2023, le prix des Ambassadeurs pour Petit Traité du racisme en Amérique.
Élu à l’Académie française, le 12 décembre 2013, au fauteuil de M. Hector Bianciotti (2e fauteuil).