Le biologiste Patrick Forterre me fait parvenir une réaction ironique devant le traitement offert par certains journaux à Ourasi. Vous savez, ce cheval de course qui vient de mourir.
Non que Patrick Forterre, un spécialiste des bactéries thermophiles, ait une dent contre les chevaux, même de course. Il trouve seulement révélateur que nos médias accordent plus de place à sa mort qu'à celle, survenue en même temps, du biologiste Carl Woese, l'inventeur du règne des archées.
Voici son texte:
Le Savant et le cheval : une fable moderne
J’ai appris qu’Ourasi était mort au journal de vingt heures, dix minutes en prime time, en tout cas cela m’a paru long. Il parait que tout le monde connaissait Ourasi, un cheval mythique qui a gagné quatre fois le prix d’Amérique. Désolé, je ne le connaissais pas. Comme vous, j’aime les chevaux, j’ai donc versé une petite larme devant ma télé.
Presque le même jour, le monde a perdu l’un de ses plus grands savants, l'Américain Carl Woese. Certains disent le plus grand biologiste du XXème siècle. Je ne n’attendais pas sa nécrologie en prime time sur, mais au moins à lire un article dans la presse quotidienne. Mais non, rien. La disparition de ce géant de la science est restée inaperçue dans notre pays. Un entrefilet dans le New-York Time et quelques journaux américains, quelques blogs sur le Net, juste de quoi satisfaire les spécialistes qui le connaissaient déjà.
Ce rapprochement avec le traitement médiatique réservé à Ourasi n'offre pas de surprise, et c'est cela qui indigne. Carl Woese a révolutionné notre conception du monde. C'est un Copernic moderne. Avant Copernic, la Terre trônait en majesté au centre du système solaire. Avant Carl Woese, la vie sur Terre était classée en cinq règnes: animaux, plantes, champignons, protistes et bactéries. Les quatre premiers sont eucaryotes, leurs cellules réunissent leur ADN dans un noyau, le dernier est procaryote, dont l'ADN est dispersé dans la cellule. La biodiversité semblait surtout représentée par des macrobes, les organismes visibles à l’œil nu, nos chiens fidèles et nos plantes vertes. Grâce aux outils imaginés par Carl Woese, on sait que 95 à 99% de la biodiversité sur Terre est composée de microbes et de leurs virus.
Carl Woese et ses disciples ont réussi à positionner tous ces microorganismes dans un arbre universel du vivant. Remontant ainsi l’histoire de la vie jusqu’à notre dernier ancêtre commun universel.
Chez les scientifiques, Carl Woese est surtout connu pour sa découverte, en 1977, d’un nouveau monde, celui des archées. Des microbes restés cachés devant nos yeux depuis des siècles, confondus avec les bactéries. Nous savons depuis que le monde vivant se divise en trois grandes lignées évolutives: archées, bactéries et eucaryotes, chacune d’elles associée à de multiples lignées virales.
Mais connaissez vous les archées ? Combien de journalistes du 20 heures, combien de députés connaissent les archées ? Au moins, sont-elles connues par le roi de Suède, descendant de Bernadotte. En 2003, il a remis à Carl Woese, pour sa découverte, le prestigieux prix Crafoord, décerné une fois tous les trois ans à un biologiste. Comme le prix Nobel, le lauréat du prix Crafoord est choisi par l’Académie Suédoise des sciences, même montant, même médaille, même diner de gala. Une seule différence, aucun journaliste ! Voilà sans doute pourquoi l’homme de la rue ne connaît pas les Archées. Et encore, aujourd’hui, même les prix Nobels ne font plus vraiment recette. Je me rappelle de ma jeunesse, lorsque Jacob et Monod étaient devenus des héros populaires. Nous avons appris que Serge Haroche s’était assis sur un banc lorsqu’il a reçu le coup de fil du Nobel, et puis,… plus rien ou presque sur nos grands écrans.
J’assistais il y a trois semaines à la visite de François Hollande venu inaugurer un nouveau bâtiment à l’Institut Pasteur, dédié aux maladies émergentes. J’ai ainsi appris par sa bouche qu’il avait rencontré quelque temps plus tôt Serge Haroche et son équipe à l’Elysée. Dommage, il s’agissait d’une visite privée, sinon, les média auraient pu montrer des élèves de l'Ecole normale supérieure qui ont choisi de gagner dix, cent, mille fois moins que ce qu’ils pourraient espérer dans la finance ! Lorsque François Hollande est sorti du bâtiment François Jacob, il s’est retrouvé devant une forêt de micros. Un moment de naïveté, j’ai cru que l’événement allait passer à la télé. Las…ils voulaient enregistrer sa parole sur... dernier assassinat entre mafieux en Corse. Pas un mot ce jour là sur l’inauguration, ce n’est pourtant pas tous les jours qu’un nouveau bâtiment dédié à la recherche s’ouvre en plein cœur de Paris. Mais je m’éloigne de Carl Woese, et il ne me reste plus assez de caractères pour une tribune. Ce n’est pas si grave, tapez Carl Woese sur Wikipedia, et commencez à reprendre contact avec la réalité.
Patrick Forterre, biologiste, Professeur à l’Université Paris-Sud, chef d’unité à l’Institut Pasteur, Membre senior de l’IUF.
Par Sylvestre Huet, le 23 janvier 2013
Les travaux de M. Woese méritent le plus grand respect (et le Pr. J. Ruffié (entre autres) n'a pas manqué de lui rendre hommage dans ses nombreux ouvrages. Toutefois Ourasi m'a également fait gagner deux tiercés et un quinté +. En qualité d'humaniste passionné de science, je m'incline devant la mémoire de C. Woese mais le turfiste qui est en moi balance entre deux choix.