(Translated by https://www.hiragana.jp/)
Cosmologie: Euclid va traquer l'énergie noire
The Wayback Machine - https://web.archive.org/web/20130207043037/http://sciences.blogs.liberation.fr:80/home/2013/02/cosmologie-euclid-va-traquer-l%C3%A9nergie-noire.html
^ catégories ^
logo libération {SCIENCES²} Par Sylvestre Huet
Journaliste à Libération

4 février 2013  /  Espace et astrophysique
Cosmologie: Euclid va traquer l'énergie noire

L'évolution de la vitesse de l'expansion de l'univers Le côté obscur de l’Univers va t-il dominer son destin ? Oubliez Dark Vador, la question ne vient pas du cinéma, mais des laboratoires d’astrophysique. Où l’on se demande si ce côté obscur ne va pas l’entraîner l’Univers dans une expansion accélérée, diluant sa matière dans un espace de plus en plus vide. «Une question majeure, susceptible de révolutionner la physique et notre vision du monde», affirme sans hésiter Yannick Mellier, dans son bureau spartiate de l’Institut d’astrophysique de Paris (CNRS).

Cette interrogation semble pure spéculation théorique. A traiter dans un cénacle de forts en maths, à coups d’équations tracées au tableau… Bref, de la science prestigieuse, mais bon marché. Erreur. La preuve ? Euclid (1). C’est le nom – hommage au mathématicien grec Euclide – d’un télescope qui doit s’élancer en 2020 de l’astroport de Kourou, en Guyane, à bord d’une fusée russe Soyouz. Le coût total de la mission – avec les salaires d’environ 900 astrophysiciens, ingénieurs et techniciens de cent laboratoires – avoisine le milliard d’euros, dont les deux tiers pour l’Agence spatiale européenne. Certes, à dépenser d’ici à 2028, fin prévue du programme de recherche. Mais, souligne Yannick Mellier, le responsable scientifique d’Euclid, un tel effort ne se justifie que par «la certitude que nous aurons une réponse à la question posée et qu’elle en vaut le prix».

La question prend naissance en 1998. Des astrophysiciens découvrent, stupéfaits, que la lumière de lointaines explosions d’étoiles, les supernovae, ne colle pas avec leur modèle d’un Univers en expansion de plus en plus lente. Les supernovae disent l’inverse : il accélère depuis environ cinq milliards d’années. L’annonce provoque d’abord une vague de scepticisme. Puis, les questions techniques résolues, le sentiment d’avoir mis le télescope sur une énigme monumentale.

La géométrie de l’Univers serait plate

Avant l’an 2000, cette observation se voit confortée par une seconde, totalement indépendante : la distribution des galaxies dans l’Univers, qui plaide, elle aussi, en faveur d’une accélération. Puis, raconte Mellier «le puzzle se met en place». L’observation du rayonnement fossile de l’Univers – un flash de photons ubiquistes émis environ 300 000 ans après le big bang – conduit les cosmologistes à cette conclusion bizarre : la géométrie de l’Univers est plate. Autrement dit, euclidienne. C’est pourquoi les Le contenu de l'universphotons, les grains de lumière, s’y déplacent en ligne droite, sauf lorsqu’ils sont déviés par l’attraction gravitationnelle d’une matière concentrée. Cette platitude n’est pas simplicité. Elle suppose un Univers bien rempli de matière et d’énergie. Les cosmologistes en font alors une décomposition pour le moins osée. N’accordant que 5% du total à la matière ordinaire. Ils y ajoutent 20% d’une matière mystérieuse, baptisée «noire, pour souligner notre ignorance de ce qu’elle est», avoue Mellier. Une matière noire dont la présence se déduit des mouvements des galaxies et de leurs rotations sur elles-mêmes. Son nom trompe. Transparente, puisqu’elle n’émet ni n’absorbe aucune lumière, elle passerait à travers la matière ordinaire sans s’y arrêter. En tout cas, reste 75% de la masse – ou de l’énergie, c’est pareil – à trouver.

Bon sang, mais c’est bien sûr, c’est l’énergie responsable de l’accélération de l’expansion, s’exclame-t-on dans les labos. Energie que l’on baptisera «sombre» (ou noire, dark energy en anglais) en hommage à son caractère mystérieux.

La force répulsive de l’énergie sombre

La vision d’avant 1998 proposait un Univers dont l’expansion d’abord rapide, il y a 13,7 milliards d’années, ralentissait sous l’effet gravitationnel de sa matière. La nouvelle vision souligne qu’avec son expansion l’Univers a vu la matière s’y diluer. Libérant ainsi une sorte de «place» pour l’énergie sombre, dont la force répulsive croissait en proportion, jusqu’à dépasser celle de l’attraction gravitationnelle. Déclenchant, alors, l’accélération. Le prix Nobel de physique 2011 a récompensé les découvreurs des supernovae révélatrices – Saul Perlmutter, Brian P. Schmidt et Adam G. Riess. Un signe Euclid va permettre de relier les structures de l'Univers au rayonnement fossileclair du renversement de paradigme.

S’il existe de rares dissidents, la plupart des astrophysiciens et cosmologistes en sont persuadés, l’énergie sombre existe. Que cache ce nom ? «Nous avons trois hypothèses, et autant d’interrogations, avoue Yannick Mellier en fronçant ses noirs sourcils. S’agit-il d’une nouvelle substance, les lois de la gravitation sont-elles différentes à très grande échelle, ou faut-il carrément mettre en cause le principe cosmologique ?»

Une substance ? L’énergie noire serait alors une nouvelle force – aux côtés de celles qui structurent la matière (électromagnétisme et forces nucléaires) et de la gravitation. Changer les lois de la gravitation ? Après être passé de Newton à Einstein, il faudrait englober la relativité générale dans une théorie plus vaste, où elle ne serait qu’un cas particulier, valable seulement dans notre univers proche. Quant au principe cosmologique, il stipule que l’Univers est «homogène et isotrope», autrement dit, précise Mellier, «ce principe fondamental nous dit que la physique est la même partout, indépendamment de la distance et de la direction de l’observation. Ce qui nous permet, par exemple, de mesurer des distances Euclid sera placé au point de Lagrange n°2au fin fond du cosmos comme ici». Renoncer à ce principe serait un crève-cœur. Cela pourrait détruire l’ambition de comprendre l’Univers dans son ensemble.

Euclid a été conçu pour trancher ce nœud gordien de la cosmologie. Si scientifiques et dirigeants des agences spatiales sont prêts à consacrer un tel effort à Euclid, c’est qu’ils sont «certains qu’il apportera une réponse, oui ou non, à ces trois hypothèses», assène Yannick Mellier. Après son lancement, un long voyage le conduira au point de Lagrange n°2 du système Soleil Terre. Un point situé à un million et demi de kilomètres de la Terre, pile dans la direction opposée au Soleil. Campé dans cette zone de stabilité gravitationnelle, Euclid réalisera un vaste programme d’observation dans les directions nord et sud du plan galactique. Afin de ne pas être ébloui par les étoiles de la Voie lactée et d’accéder à l’Univers profond sur un quart du ciel.

Catalogues de 30 pétaoctets

Son miroir d’1,20 mètre de diamètre alimentera en photons infrarouges cinq instruments dont deux caméras et un spectromètre. Mission ? En cinq ans, réaliser 30 000 «pointés», pour établir un catalogue des formes de deux milliards de galaxies, les plus lointaines à dix milliards d’années-lumière. «De quoi couvrir les deux tiers de l’histoire de l’Univers, permettant d’observer la période, il y a cinq à sept milliards d’années, où l’énergie sombre prend le pouvoir», se réjouit l’astrophysicien. Euclid établira un deuxième catalogue, de 50 millions de galaxies. Leurs spectresdans l'infrarouge révéleront avec précision leur distance à la Terre. De quoi réaliser un arpentage à longue distance de l’Univers.

Les deux catalogues pèseront près de trente «pétaoctets» (2). Ils seront analysés par des «fermes» de PC, similaires à celles utilisées pour traquer le boson de Higgs découvert au Cern. Les supercalculateurs de Bruyères-le Châtel, dans l’Essonne, réaliseront ensuite des simulations numériques de l’évolution du cosmos. Objectif : raconter «deux histoires, celle de la vitesse de l’expansion de l’Univers et celle de la formation des grandes structures regroupant les galaxies en filaments et parois de grandes bulles Les lentilles gravitationnelles déforment l'image des galaxies et amas de galaxiesultravides», explique Yannick Mellier.

Un effet curieux, baptisé lentille gravitationnelle, va donner la clé du mystère aux astrophysiciens. Les masses de matière noire dispersées dans l’Univers fonctionnent comme des lentilles optiques, provoquent des distorsions de la lumière des galaxies et affectent leurs formes apparentes. L’évolution de ces distorsions depuis dix milliards d’années va révéler comment la matière s’est organisée au fil du temps.

Eureka ? Pas encore, car ces distorsions sont sensibles à deux phénomènes : la gravité de la matière, mais aussi la géométrie de l’Univers, indépendante de la distribution de la matière. Comment séparer ces deux causes ? La solution provient du catalogue de 50 millions de galaxies bien positionnées dans la profondeur du cosmos. Il permettra de séparer la composante gravitationnelle de la composante géométrique. Si tout marche bien, le voile se lèvera, à la fin des années 2020, sur un des plus profonds mystères cosmiques.

Dépit et tractations

Depuis les années 30, les astrophysiciens américains menaient le bal de la cosmologie. En deux téléscopes spatiaux, l’Europe prend l’initiative et promet la rupture scientifique. Car Euclid vient après Planck, qui a observé le rayonnement fossile émis par l’Univers 300 000 ans après le big bang. Au grand dam des labos d’outre-Atlantique, la Nasa ayant privilégié Mars comme terrain de jeu. Et abandonné le Deux projets pour Euclid sur fond de simulation de l'Universprojet de télescope Wfirst, aux objectifs similaires à Euclid. La Nasa et l'Esa viennent d'annoncer la conclusion de leurs tractation: 40 astrophysiciens américains entrent dans le consortium scientifique européen en échange de la fourniture de 20 détecteurs infrarouges.

Dans cette initiative européenne, la France, avec 27% du budget du consortium, tient la première place. Un rang dû aux succès scientifiques de ses équipes, à Paris, Marseille, ou Toulouse – comme la découverte des effets de distorsion de l’image des galaxies par les lentilles gravitationnelles, dès 1999, par Yannick Mellier. Mais aussi à l’efficacité du support technique de l’Agence spatiale française, le Cnes. Ses ingénieurs permettent aux astrophysiciens de transformer leurs idées de télescopes – Mellier voulait en placer un sur la face cachée de la Lune – en projets réalistes. Cette alliance de la technologie et de la spéculation intellectuelle promet rien moins que de décrypter l’histoire de l’Univers depuis dix milliards d’années… Euclide n’en rêvait même pas.•

(1) Un projet précurseur avait été baptisé «Dune» (Dark Universe Explorer), en hommage à l’auteur de science-fiction Frank Herbert.
(2) Péta, préfixe du système international d’unité, représente 1015 soit un nombre s’écrivant avec 16 chiffres.

► Euclid sur le site web du Cnes.

► Euclid sur le site web de l'ESA.

Et une sélection d'articles que j'ai publié ces dernières années dans Libération, à lire en pdf.

► Une interview de Michel Cassé, astrophysicien au CEA, publiée en 2002, sur l'énergie noire, "nous ne connaissons rien des deux tiers de notre Univers" ( ici et  ici)

► Une interview d'Alain Blanchard, cosmologiste au Cnrs, publiée en 2005, "le Big-Bang est devenu une théorie scientifique ordinaire", lire ici et ici.

L'Univers accélère, un article d'avril 2010 relatant l'observation de nouvelles preuve de l'accélération de son expansion, lire ici et ici.

Cosmologie numérique, une simulation sur ordinateur de l'évolution de l'Univers, iciici puis .

Par Sylvestre Huet, le 4 février 2013

à lire aussi

Publicité


Vos réactions (2)

mar. 5 fév 2013 à 16:38:04 par Vincent

@camil
dans le phénomène de lentille gravitationnelle, seule la masse compte, la nature de cette matière n'a aucune influence (du moins dans le modèle standard), ce que voyons donc est la répartition totale de la matière (normale + noire), au cours de l'histoire de l'Univers, ce qui nous permet d'en étudier l'évolution

mar. 5 fév 2013 à 10:04:49 par Camil

Merci pour cet article très intéressant.
Cependant, un petit point me questionne ... si la matière noire joue un rôle de lentille optique, les photons peuvent donc la traverser en subissant une distorsion et nous pouvons ainsi observer les image "déformées" des galaxies. Comment grâce à celles-ci, pourra-t-on découvrir l'histoire de la matière et son évolution ?

Réagir

Postez votre commentaire

Si vous disposez d'un compte Typekey ou TypePad, veuillez vous identifier









Se souvenir des informations personnelles.

par wax-o.
1 7 6 4 3 2