Quels risques sanitaires représentent les faibles doses de radioactivité ? Cette question est relancée. Par les accidents nucléaires de Tchernobyl et Fukushima. Et par les spécialistes en radioprotection qui s’inquiètent de l’usage croissant des rayonnements ionisants pour l’imagerie médicale.
Or, l’action biologique des faibles doses de radioactivité, au-dessous de cent millisieverts (mSv), demeure un défi auquel s’attaquent les chercheurs de Melodi (Multidisciplinary European Low Dose Initiative), un programme salué par la revue Nature (1). La question d’un «seuil» en dessous duquel la radioactivité serait inoffensive reste ouverte. L’hypothèse est logique, mais sa démonstration quasi impossible.
Par précaution, les normes de radioprotection extrapolent aux faibles doses des risques connus aux doses plus fortes. Elles imposent aujourd’hui d’éviter l’exposition des travailleurs du nucléaire à plus de 20 mSv par an. Pour le public, la dose d’1 mSv par an due aux activités industrielles est retenue. C’est souvent inférieur à la radioactivité naturelle - d’un peu moins de 0,5 jusqu’à plus de 70 mSv par an dans certains lieux et aux doses médicales: entre 8 et 20 mSv instantanés pour un scanner corps entier.
Surtout, un concept né avec la radiobiologie revient: la radiosensibilité individuelle. Cette réaction différente des individus à des doses identiques a été oubliée au profit de normes collectives de radioprotection. Mais comment en tenir compte ? C’est le nouveau défi à relever. Il était au cœur de la «Lowrad Conference», 11ème du nom organisée par Nicolas Foray (2). Radiobiologiste à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), éditeur en chef du International Journal of Low radiation, il fait le point.
Comment les scientifiques ont-ils oublié la radiosensibilité individuelle?
Nicolas Foray: L’idée que nous ne sommes pas égaux face aux radiations date de 1911. A cette époque les pionniers avaient observé à travers les premiers traitements radiothérapiques que des brûlures apparaissaient pour une même dose plus ou moins rapidement et intensément suivant les individus. Plus tard, l’évidence que les radiations pouvaient induire aussi des cancers posa la question du degré de prédisposition individuelle au cancer. Toutefois, les mécanismes biologiques de ces phénomènes sont restés méconnus jusque dans les années 50 et représentent encore des sujets de recherche importants.
Quand les normes de radioprotection ont été édictées, aucune connaissance fondamentale ne pouvait donc justifier une prise en compte du facteur individuel. Aujourd’hui, appliquer une même dose à 5 à 15% de la population qui aurait un risque de cancer 10 fois plus important que la normale pour une même dose n’est plus acceptable.
Les effets aléatoires des faibles doses de radioactivité étaient interprétées comme dû au hasard. Faut-il abandonner cette explication ?Nicolas Foray: Les mécanismes de formation du cancer dépendent effectivement d’événements aléatoires pour une cellule, un organe, un individu donné. Ils sont liés à la capacité des cellules à gérer les dommages causés par les radiations, capacité qui peut varier. Mais ils sont aussi liés à la capacité des cellules à maîtriser leur prolifération. Toutefois, pour des personnes plus prédisposées au cancer, l’instabilité produite par les radiations aboutira plus vite et plus sûrement au cancer. Les patientes avec des antécédents familiaux de cancer du sein ont 4 à 5 fois plus de risque de développer un cancer après un examen médical irradiant. Dans les années 1970 les enfants atteints de l’ataxie telangiectasique, maladie génétique radiosensible, succombaient systématiquement à un traitement radiothérapique pour traiter leur leucémie.
Peut-on mesurer la radiosensibilité individuelle ?Nicolas Foray: Il y a de nombreuses pistes. Toutes concernent notre ADN (mutations, réparation). Aucune ne s’impose encore aujourd’hui, faute de moyens adaptés et d’une méthodologie précise. En effet, ces études nécessitent un nombre d’individus conséquent et une étude systématique avec plusieurs méthodes. On a trop longtemps cru que les prélèvements de sang expliqueraient tout. La réponse aux radiations des lymphocytes (globules blancs), isolés par une simple prise de sang, n’est pas forcément représentative des réactions des autres organes. On a trop souvent cru que les techniques les plus récentes ou les plus rapides étaient les meilleures. Les travaux actuels montrent par leurs contradictions que ce n’est pas le cas et que séquencer le génome entier de chaque individu ne répond pas aux questions posées.
En toute rigueur, on peut affirmer que la capacité à réparer (bien ou mal, vite ou lentement) les dommages de l’ADN induits par les radiations reste une piste prometteuse. Mais encore faut-il déterminer les bonnes conditions expérimentales pour mieux évaluer le risque dans des conditions réelles.
Une fois déterminées, la divulgation et l’utilisation des données individuelles de radiosensibilité poseraient des problèmes éthiques, sociétaux voire économiques (accès à l’emploi). Mais la difficulté à résoudre ces questions ne doit pas être un argument pour nier les facteurs de risque.
De plus, l’esprit des recommandations internationales doit rester le même : limiter au maximum l’exposition. Les études épidémiologiques et radiobiologiques montrent que si des jeunes femmes à haut risque familial de cancer du sein doivent limiter leur exposition mammographique, cela ne met pas en cause l’intéret du dépistage pour les femmes de plus de 50 ans. La survenue de réactions tissulaires graves après une radiothérapie d’une tumeur de la prostate ou du sein de certains patients ne met pas en cause le bénéfice de la radiothérapie en général. Si la médecine personnalisée a un sens, elle devra gérer ces événements indésirables, certes minoritaires, mais qui peuvent concerner des dizaines de milliers de patients par an.
Que disent les études sur les faibles doses, dont celles des usages thérapeutiques ou du dépistage?Nicolas Foray: De la même façon que pour les travailleurs du nucléaire, l’hétérogénéité des expositions, souvent répétées par séquences inégales, rend très difficile l’établissement de valeurs seuils adaptées. En effet, les recommandations actuelles additionnent les doses en faisant l’hypothèse que l’effet final sera la somme des effets de chaque exposition étalée sur l’année. Or, il semble que des doses faibles mais répétées rapidement, en quelques minutes ou sur une seule journée, pourraient avoir un effet plus fort. Nous avons montré en 2011 que l’effet radiobiologique de deux clichés mammographiques de 2 milligrays (mGy) est plus marqué qu’un seul cliché de 4 mGy. Deux plus deux n’est pas forcément égal à quatre. Déterminer les contributions du facteur individuel et des effets de répétitions de doses dans l’évaluation du risque lié aux radiations constitue donc aujourd’hui un enjeu de recherche majeur.
Une étude récente(3) montre que sur 110.000 liquidateurs ukrainiens de Tchernobyl on relève 137 cas de leucémies dont 19 attribuables à leur intervention. Qu’en conclure ?Nicolas Foray: Qu’elle s’inscrit dans la très grande majorité des travaux qui confirment les valeurs seuils actuellement reconnues pour le grand public. Notamment qu’une exposition de 100 mSv prise en une seule fois augmente de manière mesurable le risque de leucémie, même s’il demeure faible pour une population donnée. Avec un recul de 25 ans, ces travaux confirment que l’ampleur des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl est très loin des centaines de milliers de morts annoncées par certains médias. Mais si le risque de cancers par irradiation a pu être surestimé, en revanche d’autres pathologies sont liées à d’autres facteurs dans leurs conditions de travail et de vie.
(1) Nature du 2 février 2012.(2) 11ème Lowrad international conference, Lyon, 17 et 18 décembre 2012, Lyon.(3) Lydia Zablotska et al., Environmental health perspectives, 8 novembre 2012. Par Sylvestre Huet, le 11 février 2013
Merci pour votre réponse.
Le principe du point 1 m'intrigue quand même, vu que l'ADN est commun à tout le vivant, non ? et que le mécanisme invoqué est sa réparabilité. On pourrait penser que plus c'est compliqué plus c'est fragile, mais le génome du blé est beaucoup plus compliqué que celui de l'homme, je crois, or j'imagine que le blé résiste mieux aux radiations...
2. pour ce qui est du cancer du chien, 25% c'est moins que l'homme (30%) et pareil que la femme (25%), et les chiens de chez nous malrespirent et malbouffent encore pire que nous. L'alcool et le tabac sont juste une saleté parmi beaucoup d'autres... En tout cas merci pour la deuxième idée sur la persistance des gènes réparateurs ou autres.