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Radioactivité: faibles doses, maxi défis
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logo libération {SCIENCES²} Par Sylvestre Huet
Journaliste à Libération

11 février 2013  /  Biologie et santé
Radioactivité: faibles doses, maxi défis

Quels risques sanitaires représentent les faibles doses de radioactivité ? Cette question est relancée. Par les accidents nucléaires de Tchernobyl et Fukushima. Et par les spécialistes en radioprotection qui s’inquiètent de l’usage croissant des rayonnements ionisants pour l’imagerie médicale.

Or, l’action biologique des faibles doses de radioactivité, au-dessous de cent millisieverts (mSv), demeure un défi auquel s’attaquent les chercheurs de Melodi (Multidisciplinary European Low Dose Initiative), un programme salué par la revue Nature (1). La question d’un «seuil» en dessous duquel la radioactivité serait inoffensive reste ouverte. L’hypothèse est logique, mais sa démonstration quasi impossible.

Par précaution, les normes de radioprotection extrapolent aux faibles doses des risques connus aux doses plus fortes. Elles imposent aujourd’hui d’éviter l’exposition des travailleurs du nucléaire à plus de 20 mSv par an. Pour le public, la dose d’1 mSv par an due aux activités industrielles est retenue. C’est souvent inférieur à la radioactivité naturelle - d’un peu moins de 0,5 jusqu’à plus de 70 mSv par an dans certains lieux et aux doses médicales: entre 8 et 20 mSv instantanés pour un scanner corps entier.

Surtout, un concept né avec la radiobiologie revient: la radiosensibilité individuelle. Cette réaction différente des individus à des doses identiques a été oubliée au profit de normes collectives de radioprotection. Mais comment en tenir compte ? C’est le nouveau défi à relever. Il était au cœur de la «Lowrad Conference», 11ème du nom organisée par Nicolas Foray (2). Radiobiologiste à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), éditeur en chef du International Journal of Low radiation, il fait le point.

Nicolas Foray (Inserm)Comment les scientifiques ont-ils oublié la radiosensibilité individuelle?

 Nicolas Foray: L’idée que nous ne sommes pas égaux face aux radiations date de 1911. A cette époque les pionniers avaient observé à travers les premiers traitements radiothérapiques que des brûlures apparaissaient pour une même dose plus ou moins rapidement et intensément suivant les individus. Plus tard, l’évidence que les radiations pouvaient induire aussi des cancers posa la question du degré de prédisposition individuelle au cancer. Toutefois, les mécanismes biologiques de ces phénomènes sont restés méconnus jusque dans les années 50 et représentent encore des sujets de recherche importants.

Quand les normes de radioprotection ont été édictées, aucune connaissance fondamentale ne pouvait donc justifier une prise en compte du facteur individuel. Aujourd’hui, appliquer une même dose à 5 à 15% de la population qui aurait un risque de cancer 10 fois plus important que la normale pour une même dose n’est plus acceptable.

Les effets aléatoires des faibles doses de radioactivité étaient interprétées comme dû au hasard. Faut-il abandonner cette explication ?

Nicolas Foray: Les mécanismes de formation du cancer dépendent effectivement d’événements aléatoires pour une cellule, un organe, un individu donné. Ils sont liés à la capacité des cellules à gérer les dommages causés par les radiations, capacité qui peut varier. Mais ils sont aussi liés à la capacité des cellules à maîtriser leur prolifération. Toutefois, pour des personnes plus prédisposées au cancer, l’instabilité produite par les radiations aboutira plus vite et plus sûrement au cancer. Les patientes avec des antécédents familiaux de cancer du sein ont 4 à 5 fois plus de risque de développer un cancer après un examen médical irradiant. Dans les années 1970 les enfants atteints de l’ataxie telangiectasique, maladie génétique radiosensible, succombaient systématiquement à un traitement radiothérapique pour traiter leur leucémie.

Peut-on mesurer la radiosensibilité individuelle ?

Nicolas Foray: Il y a de nombreuses pistes. Toutes concernent notre ADN (mutations, réparation). Aucune ne s’impose encore aujourd’hui, faute de moyens adaptés et d’une méthodologie précise. En effet, ces études nécessitent un nombre d’individus conséquent et une étude systématique avec plusieurs méthodes. On a trop longtemps cru que les prélèvements de sang expliqueraient tout. La réponse aux radiations des lymphocytes (globules blancs), isolés par une simple prise de sang, n’est pas forcément représentative des réactions des autres organes. On a trop souvent cru que les techniques les plus récentes ou les plus rapides étaient les meilleures. Les travaux actuels montrent par leurs contradictions que ce n’est pas le cas et que séquencer le génome entier de chaque individu ne répond pas aux questions posées.

En toute rigueur, on peut affirmer que la capacité à réparer (bien ou mal, vite ou lentement) les dommages de l’ADN induits par les radiations reste une piste prometteuse. Mais encore faut-il déterminer les bonnes conditions expérimentales pour mieux évaluer le risque dans des conditions réelles.

Une fois déterminées, la divulgation et l’utilisation des données individuelles de radiosensibilité poseraient des problèmes éthiques, sociétaux voire économiques (accès à l’emploi). Mais la difficulté à résoudre ces questions ne doit pas être un argument pour nier les facteurs de risque.

De plus, l’esprit des recommandations internationales doit rester le même : limiter au maximum l’exposition. Les études épidémiologiques et radiobiologiques montrent que si des jeunes femmes à haut risque familial de cancer du sein doivent limiter leur exposition mammographique, cela ne met pas en cause l’intéret du dépistage pour les femmes de plus de 50 ans. La survenue de réactions tissulaires graves après une radiothérapie d’une tumeur de la prostate ou du sein de certains patients ne met pas en cause le bénéfice de la radiothérapie en général. Si la médecine personnalisée a un sens, elle devra gérer ces événements indésirables, certes minoritaires, mais qui peuvent concerner des dizaines de milliers de patients par an.

Que disent les études sur les faibles doses, dont celles des usages thérapeutiques ou du dépistage?

Nicolas Foray: De la même façon que pour les travailleurs du nucléaire, l’hétérogénéité des expositions, souvent répétées par séquences inégales, rend très difficile l’établissement de valeurs seuils adaptées. En effet, les recommandations actuelles additionnent les doses en faisant l’hypothèse que l’effet final sera la somme des effets de chaque exposition étalée sur l’année. Or, il semble que des doses faibles mais répétées rapidement, en quelques minutes ou sur une seule journée, pourraient avoir un effet plus fort. Nous avons montré en 2011 que l’effet radiobiologique de deux clichés mammographiques de 2 milligrays (mGy) est plus marqué qu’un seul cliché de 4 mGy. Deux plus deux n’est pas forcément égal à quatre. Déterminer les contributions du facteur individuel et des effets de répétitions de doses dans l’évaluation du risque lié aux radiations constitue donc aujourd’hui un enjeu de recherche majeur.

Une étude récente(3) montre que sur 110.000 liquidateurs ukrainiens de Tchernobyl on relève 137 cas de leucémies dont 19 attribuables à leur intervention. Qu’en conclure ?

Nicolas Foray: Qu’elle s’inscrit dans la très grande majorité des travaux qui confirment les valeurs seuils actuellement reconnues pour le grand public. Notamment qu’une exposition de 100 mSv prise en une seule fois augmente de manière mesurable le risque de leucémie, même s’il demeure faible pour une population donnée. Avec un recul de 25 ans, ces travaux confirment que l’ampleur des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl est très loin des centaines de milliers de morts annoncées par certains médias. Mais si le risque de cancers par irradiation a pu être surestimé, en revanche d’autres pathologies sont liées à d’autres facteurs dans leurs conditions de travail et de vie.

(1) Nature du 2 février 2012.(2) 11ème Lowrad international conference, Lyon, 17 et 18 décembre 2012, Lyon.(3) Lydia Zablotska et al., Environmental health perspectives, 8 novembre 2012. Par Sylvestre Huet, le 11 février 2013

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Vos réactions (13)

sam. 16 fév 2013 à 18:53:22 par Alain FELER

Merci pour votre réponse.
Le principe du point 1 m'intrigue quand même, vu que l'ADN est commun à tout le vivant, non ? et que le mécanisme invoqué est sa réparabilité. On pourrait penser que plus c'est compliqué plus c'est fragile, mais le génome du blé est beaucoup plus compliqué que celui de l'homme, je crois, or j'imagine que le blé résiste mieux aux radiations...
2. pour ce qui est du cancer du chien, 25% c'est moins que l'homme (30%) et pareil que la femme (25%), et les chiens de chez nous malrespirent et malbouffent encore pire que nous. L'alcool et le tabac sont juste une saleté parmi beaucoup d'autres... En tout cas merci pour la deuxième idée sur la persistance des gènes réparateurs ou autres.

mer. 13 fév 2013 à 9:04:33 par Aillanthus

@Alain Feler:

1- Plus on monte dans la classif, moins on est résistant, mais il y a des exceptions, les résineux à priori plus ancien que les feuillus souffre dans la forêt rousse de Tchernobyl, les bouleau prospèrent.

2- On n'en sait rien, logiquement des gènes spécifiques n'auraient eu aucune raison de persister, sauf si ça donne d'autre avantage, peut être une bonne résistance au cancer. Les chiens sont plus sensible que les humains aux radiations, ils ont aussi un taux de mortalité par cancer impressionnant (>25%), et sans alcool et tabac. Mais sans identifier les gènes de résistances il sera difficile de savoir pourquoi ces gènes sont conservés chez les êtres vivants "ataviques" et absent chez les "modernes".

mar. 12 fév 2013 à 22:23:15 par Alain FELER

Excellent article à mon goût : c'est la première fois que je lis quelque chose d'autre que "les faibles doses, on ne sait pas trop", avec en plus un schéma explicatif plausible (différences individuelles sur l'autoréparabilité de l'ADN).
Ceci m'inspire deux questions :
1. les insectes qui résistent tellement mieux que nous aux radiations ont-ils un ADN plus robuste ou qui s'autorépare mieux ?
2. si c'est la seconde réponse la bonne, serait-ce imputable à leur plus grande ancienneté dans l'arbre de la vie, qui leur vaut d'avoir vécu sur une planète beaucoup plus radioactive autrefois (en 100 millions d'années des tas de demi-vies d'isotopes instables se sont écoulées, non ?) ?
Si quelqu'un pouvait me répondre, j'en serais fort aise.

mar. 12 fév 2013 à 18:18:42 par Robert

Aillanthus,

Vous auriez dû lire ce passage : "De la même façon que pour les travailleurs du nucléaire, l’hétérogénéité des expositions, souvent répétées par séquences inégales, rend très difficile l’établissement de valeurs seuils adaptées. En effet, les recommandations actuelles additionnent les doses en faisant l’hypothèse que l’effet final sera la somme des effets de chaque exposition étalée sur l’année. Or, il semble que des doses faibles mais répétées rapidement, en quelques minutes ou sur une seule journée, pourraient avoir un effet plus fort. Nous avons montré en 2011 que l’effet radiobiologique de deux clichés mammographiques de 2 milligrays (mGy) est plus marqué qu’un seul cliché de 4 mGy. Deux plus deux n’est pas forcément égal à quatre. Déterminer les contributions du facteur individuel et des effets de répétitions de doses dans l’évaluation du risque lié aux radiations constitue donc aujourd’hui un enjeu de recherche majeur."

mar. 12 fév 2013 à 17:23:28 par Aillanthus

@Robert: j'ai pas besoin de faire d'étude épidémio, il suffit d'appliquer les modèles qui m'arrangent, comme le font vos héros de la lutte antinucléaire. Mon raisonnement est tout aussi fiable que les estimations qui parlent de 100k à 1M de mort à cause de Tchernobyl.

mar. 12 fév 2013 à 17:04:24 par Robert

Aillanthus,
Faites donc une étude approfondie de la possible toxicité des émanations d' eucalyptus et publiez vos résultats. Pour l'instant tout ce que vous racontez c'est bistrot du commerce.

mar. 12 fév 2013 à 14:37:25 par Aillanthus

Robert, la dose ne faisant pas le poison, êtes vous certains que les émanations provoqué par la fabrication, le transport, la distribution et la consommation des produits à base d'eucalyptus n'ont pas un effet sur la santé de tous?

Si 10 ml peuvent tuer un adulte, la production mondiale d'huile d'eucalyptus d'environ 2000t suffirai a provoquer la bagatelle de 200 millions de mort par an si on applique les hypothèses de l'effet sans seuil et de la dose collective. Vous conviendrez donc qu'il est urgent d'incinérer tout les eucalyptus et trainer en justice la famille Lofthouse.

mar. 12 fév 2013 à 10:57:14 par Robert

Ah, les petits soldats à la solde du nucléaire sont en ordre de bataille.
Si seulement l'effet des faibles doses était le seul inconvénient du nucléaire, ça ne serait rien.

pyc @

Personne n'oblige personne à fumer ni à consommmer des fisherman's friend cette comparaison est donc par essence nulle.

lun. 11 fév 2013 à 16:52:27 par Aillanthus

Bien vu pyc, et effectivement l'huile essentiel d’eucalyptus est toxique, la dose dangereuse est assez faible, 5ml suffisent à mettre un enfant en danger. Il faut d'urgence interdire cet arbre et l'utilisation de ces sous produits.

Pour en revenir à l'article on ne connait pas les conclusions, mais on peut facilement prévoir celle des antinucléaires névrotiques:
- si le rapport confirme le seuil, il sera trainé dans la boue, et on verra les fameux conflit d'intérêt capillotracté apparaitre (genre untel à visité une centrale nucléaire pendant une porte ouverte en 1974 quand il avait 8 ans).
- si le rapport n'éclaire rien, il sera déformé au possible grâce au principe d'inaction pour exiger de nouvelles normes plus strictes rendant toute utilisation du nucléaire impossible, que ce soit pour l'énergie ou la santé.

lun. 11 fév 2013 à 15:39:30 par pyc

60 000 morts dus à la cigarette par an en France. Pourquoi perd t'on notre temps à se poser des questions sur le bruit de fond du bruit de fond des scanners ? Et les morts dues à une surdose individuelle d'Eucalyptus dans les Fisherman's friends, qui y pense ? Il y a forcément une inégalité de base quant à la tolérance vis à vis de l'Eucalyptus...

lun. 11 fév 2013 à 15:24:38 par fmb

@ P. Fetet
Pourquoi mettez vous en avant cette étude très controversée
(http://en.wikipedia.org/wiki/Chernobyl:_Consequences_of_the_Catastrophe_for_People_and_the_Environment), qui n'est absolument pas avalisée par la New York Academy of Science,
cf http://www.nyas.org/AboutUs/MediaRelations/Detail.aspx?cid=16b2d4fe-f5b5-4795-8d38-d59a76d1ef33)
plutot que l'avis de l'OMS (Organisaiton Mondiale de la Santé) qui, sur la base d'une analyse de très nombreux travaux, conclue à moins de 10 000 morts sur tout la durée (y compris le futur). Il y est dit assez explicitement que, à part les cancers de la Thyroïde (un drame pour le enfants impactés, mais conduisant à très peu de décès, l'augmentation des cancers est/sera indétectable par rapport au niveau de fond.
http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs303/fr/index.html

lun. 11 fév 2013 à 14:35:55 par un physicien

Certaines études suggèrent que de faibles doses auraient un effet protecteur (cf Wikipedia Hormèse)

lun. 11 fév 2013 à 13:18:56 par P. Fetet

Tchernobyl : 985.000 morts estimés de 1986 à 2004. Source : Alexey V. Yablokov, Vassily B. Nesterenko et Alexey V. Nesterenko, consulting editor Janette D. Sherman-Nevinger, « Chernobyl. Consequences of the catastrophe for people and the environnement », Annals of the New York Academy Of science, Volume 1181.
Résumé disponible en français ici : http://www.chernobyl-day.org/IMG/rtf/resume-livre.rtf

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