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Les protestants de Jumièges

Quoi, des protestants ? Au pied de la très catholique abbaye de Jumièges ? Eh bien oui, on en comptait quelques-uns. Au moins la famille Cauvin. Plus tard nous viendra un mystérieux cavalier écossais...

Par Laurent QUEVILLY.

Etre protestant à Jumièges, il fallait oser. L'abbaye avait été dévastée en 1562 par les Huguenots. Les moines avaient dû prendre la fuite tandis que volait en éclats le tombeau d'Agnès Sorel. Voilà qui avait laissé des souvenirs. Mais la Normandie fut une terre fertile pour l'Eglise réformée.
Les premières abjurations de la foi protestante opérées par le curé de Jumièges datent du 29 novembre 1656. Elles concernent les quatre enfants de Pierre Harel et Jeanne Cauvin. Ce jour-là, en l'église Saint-Valentin, Jacques de la Brosse entendit d'abord Simon Harel, 30 ans, puis Jeanne, 22 ans, Suzanne, 16 ans et enfin Marie, 13 ans.

Que devinrent ces convertis ?

Deux ans plus tard, à 24 ans, Jeanne Harel, épousa "en bonne catholique" Marin Quesne, le 12 août 1658, en l'église Saint-Valentin. Dont descendance. Quant à son frère aîné, il prit pour épouse Marguerite Levilain, en juin 1659. Le couple eut une fille prénommée Jeanne. 



"Moyens sûrs & honnêtes pour ramener les hérétiques à la foy catholique" ( la roue, la prison, le fouet, la potence, les galères, le feu  - Gravure de 1679).

Où l'on reparle des Cauvin


30 ans plus tard, le 18 octobre 1685, Louis XIV révoque l’édit de Nantes signé par son grand-père, Henri IV. C'est l'arrêt de mort du protestantisme en France. Louis se veut le champion du catholicisme en Europe, roi de droit divin, il ne souffre nulle contestation, nulle désunion parmi ses sujets. Conséquence : s'ils n'abjurent pas leur religion, s'ils ne s'exilent vers les pays protestants, alors les Huguenots résistants s'exposent aux dragonades. Le nom des Cauvin réapparaît alors dans une liste de protestants persécutés à Rouen lors de la révocation de l'édit de Nantes. :

Abraham Cauvin, réfugié ayant abandonné pour biens une maison et masure à Jumièges.
La dame Cauvin, rue des Charrettes, ayant abjuré à l'hôtel-de-ville.
La femme Cauvin, chambrière chez Simon Le Plastrier, rue Grand-Pont. Elle a abjuré.
Jean Cauvin, réfugié, il a abandonné des rentes.
Marie Petit, femme de Nicolas Cauvin, 64 ans; a abjuré le 14 novembre à Saint-Eloi.
Pierre Cauvin, réfugié, il a abandonné une terre à Jumièges.
Source : Émile LESENS, 1885

A Jumièges justement, quelques jours après, le 7 novembre 1685, c'est l'abjuration de Pierre Cauvin, Nicolas et Jeanne, Abraham Cauvin et sa femme, Adriane Tenly, sa belle-sœur.

Mais certains ont manifestement pris le large. A Canterbury, aux côtés de Jacques du Chatel, veuf, on retrouve à cette époque la trace d'une Anne Cauvin, fille de Jacques Cauvin et d'Esther de la Fontaine, native de Jumièges. Bref, l'histoire de cette famille reste à parachever.

Jean Stuart, le jeune cavalier écossais

Une autre abjuration eut encore lieu à Jumièges en 1749. Elle fut opérée par le prieur de l'abbaye de Jumièges. Ecoutons-le :

L'école en 1891

"L'an 1749, le 19e jour d'octobre, en présence des témoins soussignés, Jean Stuart, fils de Jean Stuart et d'Agnès Keith de la paroisse de Glamz, en Ecosse, proche la ville de Dondée, âgé de 18 à 19 ans, cavalier dans le régiment irlandais de Fitz James, compagnie de M. Patrice de Nugent, ayant reconnu que hors de la vraie église il n'y a point de salut, de sa bonne volonté et sans aucune contrainte a fait profession de la foi catholique apostolique et romaine et a abjuré l'hérésie de Calvin entre mes maison, de laquelle je lui ai donné publiquement l'absolution en vertu du pouvoir que Mgr l'Archevêque de Rouen m'a donné pour cet effet en date du 3 octobre de la présente année. En foi de quoi je, Prieur de l'abbaye de Jumièges, ai signé le présent certificat avec lesdits Jean Start, Monsieur Grenier, curé de Jumièges, M. Delamarre, bailli et subdélégué dud. Jumièges."

Que faisait ici ce régiment irlandais en octobre 1749 ?

Entre deux campagnes, il tenait manifestement ses quartiers d'hiver à Jumièges. Explication : en 1688, Jacques Stuart a été chassé du trône d'Angleterre, laissant des partisans dans toutes les îles britanniques. La Brigade irlandaise est donc un corps de l'armée française dont les régiments sont composés d'Irlandais réfugiés en France et rêvant d'un retour des Stuart. On en comptera quelque 40.000 et leur capitale d'exil est Saint-Germain-en-Lay. Cette brigade a été créée par Louis XIV, cousin du roi Jacques, au début de l'année 1690. On la verra opérer en Grande-Bretagne mais aussi sur le continent pour le compte de la France.
Composante de cette brigade, le régiment de Fitz-James a été fondé en 1691 par Jacques Stuart lui-même. Il eut d'abord Dominique Sheldon pour propriétaire. Puis Jean Christophe de Tashmont-Limerik, comte de Nugent qui le céda à son fils.
Le régiment devient, le 16 mars 1733, la propriété de Charles, duc de Fitz-James.

La compagnie qui stationne à Jumièges est, on l'a vu, commandée par Patrice Nugent, apparenté sans doute à l'ancien propriétaire. Rien n'indique qu'il soit présent. Souvent, les régiments stationnaient l'hiver à Jumièges sans leur encadrement. Ce qui donnait lieu parfois à des débordements.

A quels conflits cette compagnie a-t-elle participé avant de venir relâcher chez nous ?

On retrouve la trace de Patrice Nugent à Inverness, cette belle ville du Nord de l'Ecosse, en 1746. Louis XV, poussé par la Pompadour, s'est décidé à venir en aide au jeune prétendant du trône d'Ecosse, Charles Edouard Stuart, qui a débarqué là bas le 19 août 1745. Bonnie prince Charlie, comme l'appellent affectueusement les Ecossais, a réussi à soulever le pays et remporter de beaux succès sur les Anglais.

Mais l’expédition française n’est qu’une manœuvre de diversion. Louis XV veut affoler les Anglais qui opèrent alors en Flandre dans la cadre de la guerre de succession d'Autriche. Et ça marche. Les Anglais rapatrient en catastrophe leurs troupes en Ecosse.


Oui, manœuvre de diversion car l'expédition française, menée par Lord Drummond, ne comporte que mille soldats. Ils débarquent en Ecosse le 7 décembre 1745 et rejoignent la petite armée du Prétendant. Hélas, celle-ci est anéantie sur la lande de Culloden, le 10 avril 1746. Les rescapés, dont Patrice de Nugent, se réfugient à Inverness où ils capitulent.
Bonnie Prince Charlie. Lors d'un reportage dans les Highlands, j'ai pu mesurer combien il est resté présent dans le cœur des Ecossais. Combien aussi la "Auld alliance' avec la France demeure dans les esprits

Retenus prisonniers, les membres des régiments français signèrent un billet d'honneur ainsi conçu :

Nous, officiers, au service de Sa Maj. T.C. nous reconnaissons prisonniers de guerre de Sa Maj. Britannique, & promettons sur notre Honneur de ne point sortir de la ville d'Inverness sans la permission de S.A.R. le Duc de Cumberland. En fois de quoi nous avons signé ce billet & y avons mis le cachet de nos armes. Fait au Quartier général à Inverness, le 28 avril 1746.

Les officiers qui ont signé ce billet sont, pour le régiment de Fitz-James, le colonel Jean Mac-Donald, commandant, les capitaines François Nugent, faisant les fonctions de Maréchal des Logis des troupes françaises en Ecosse, Patrice Nugent, Robert Shee, Thomas Bagot, le quartier-maître Philippe Molloy, les lieutenants Barneval et Jean Nugent, le Cornette de Cooke, l'aide-major Marc Bagot.

Les débris du régiment revenus en Flandre sont à la bataille de Raucoux, au nord de Liège, le 11 octobre 1746. On retrouve Nugent et ses hommes à la bataille de Lauffeld en juillet 1747 où il a face à lui... des Ecossais. Puis c'est le siège de Bergen-op-Zoom en septembre 1747 où les pillages perpétrés par l'armée française indignent toute l'Europe. Enfin Patrice Nugent est engagé dans la bataille décisive de Maastricht. Après un bref siège, la ville tombe le 7 mai 1748. Cette prise est déterminante dans le processus de paix commencé en avril. La guerre de succession d'Autriche s'achève en octobre sur le Traité d'Aix-La-Chapelle.
C'est donc quelques mois après ces événements que les Irlando-Ecossais nous sont arrivés.

Comment sont vêtus Jean Stuart et ses compagnons ?
Chapeau bordé d’argent.

Habit et manteau rouges

Doublure, parements et revers à la bavaroise bleus

Boutons d’étain de deux en deux

Buffle à boutons de cuivre

Bandoulière et culotte de peau 



D'où vient Jean Stuart ?


Dondée, autement dit Dundee, est un port au nord-est de l'Ecosse. A une vingtaine de kilomètres au nord se trouve la paroisse de Glamis qui se prononce Glamz, comme l'a noté le Prieur. C'est le domaine des comtes de Strathmore et Kinghorne Là s'élève un imposant château. Forcément hanté, forcément habité par le diable. C'est aujourd'hui la seconde résidence de la couronne britannique en Ecosse après Balmoral. Elizabeth II y a passé son enfance et sa sœur Margaret y est née.

Qui est Jean Stuart ?


On se demande quand et comment ce jeune garçon a incorporé ce régiment très mobile comme nous l'avons vu. Le recrutement s'opérait parmi les partisans des Stuart. Notre cavalier porte leur nom, quant à sa mère, Agnès Keith, c'est le patronyme d'un clan jacobite. On ne retrouve pas pour l'instant ce couple dans les généalogies ayant trait à Glamis. Notre cavalier écossais signe Jean et non John d'une écriture assurée.


Pourquoi cette abjuration ?

Jean Stuart est seul parmi ses compagnons d'armes à abjurer à Jumièges la religion protestante. On s'interroge sur ses motivations. Jeune, fut-il influencé par la haute stature de l'abbé Grenier ? Avait-il un mariage en vue avec une Française de confession catholique ? Qu'est devenu Jean Stuart...

Que devint Jean Stuart ?

En 1752, il sert toujours dans le même régiment sous les ordres du lieutenant-Colonel MacDonnel, originaire de Dundee.

 Or la même année, et ce depuis près de deux ans, le régiment Fitz James est localisé au Faouët, en Bretagne. Un cavalier, Jan Year Wood, abjure lui aussi "l'hérésie de Calvin" le 12 octobre 1752. Ce en vue de son mariage qui est célébré le 6 novembre. Urgent. Car une fille naît le 5 décembre. Tous les actes correspondants sont signés de M. de Nugent. Wood est dit de la paroisse de Sanfort en Mancherh.
Un autre cavalier se marie avec une pensionnaire du couvent des Ursulines. Puis vient le tour d'Edouard Edmond Finegan le 10 juillet 1753. Il épouse la fille d'un marchand, Marie Josèphe Barbe Talhouarn. Leur fils sera avocat à la Cour royale de Rennes, procureur syndic du district de Châteaulin, administrateur du Finistère en 1796. Du 16 avril 1763 est daté ce document :  “Nous, soussignés, certifions à tous ceux qu’il appartiendra, avoir donné Congé absolu pour aller à l’Hôtel Royal au nommé Edmund Finnegan, dit Finnegan, Brigadier de la Compagnie de Fergus O'Ferrall, au Régiment de Fitzjames, natif de Castlebellingham, en la province d’Ultonie, en Irlande, jurisdiction de Dundalk, âgé de 42 ans, de la taille de cinq pieds et six pouces les cheveux et sourcis châtins, les yeux gris, le visage assez rond et bien fait de sa taille, ayant servi sa Majesté vingt cinq ans en honette homme et bon sujet, sans reproche et donnant dans plusieurs occasions des preuves de sa bravoure. Fait à Haguenau le 16 avril 1763… Cette décharge fut signée du capitaine O'Farerell of Ballintober, certifiée par Mac Dermott, l'aide major du régiment. Finegan avait été blessé à la bataille de Fontenoy en 1745

En 1770, Jean Stuart intègre la compagnie écossaises des gardes du corps du Roy. C'est dire les qualités que l'on a reconnu dans ce militaire qui avait alors 40 ans. (
Renseignements fournis par Desideriu Ramelet-Stuart d'après Corvisier.)



Epilogue

La brigade irlandaise ne fut dissoute qu'avec la Révolution. Aujourd'hui, le cimetière de Saint-Germain-en-Lay est peuplé de fantômes en tartan. Mais le mouvement jacobite visant à rétablir un descendant des Stuart sur le trône de Grande-Bretagne, existe toujours.

Laurent QUEVILLY.
Merci à Brigitte Cocoual

Brigitte Cocoual a écrit le 15/05/2015 Trouvé dans AD56, registre de Le Faouët 1731-1752
1: L'abjuration d'un cavalier du Fitz-James le 12/10/1752( vue 604).
Ce Jan Year Wood abjure" l'hérésie de Calvin", puis il y a les bans, fiançailles, le mariage avec une jeune fille du Faouët le 6/11/1752(vue 606) et il était temps naissance de leur fille le 5/12/1752 (vue 607). Tous les actes sont signés de M de Nugent. Après, je n'ai plus rien trouvé le concernant Jan Year Wood, de même que je ne trouve pas sa ville d'origine. Il est dit être de la paroisse de Sanfort en Mancherh. J'ai pensé à Manchester, mais je n'ai pas trouvé de paroisse Sanfort au 17è siècle.
Dans le même registre il y a un autre mariage entre un cavalier du Fitz James et une pensionnaire du couvent des ursulines du Faouët (vue 602).
Dans le registre suivant 1753-1754, vue 18/689 se trouve l'acte de mariage d'Edouard Edmond Finegan. Sur généanet on trouve sa descendance. Dans l'acte de fiançailles ou les bans de Finegan, on apprend que le régiment FitzJames est cantonné au Faouët depuis près de 2 ans.
A propos de Jan Year Wood, il semble que la conversion au catholicisme était encouragée.

Desideriu Ramelet-Stuart. a écrit le 08/02/2012 : Je tiens à vous remercier vivement pour la publication de l'article consacré aux protestants de Jumièges et plus particulièrement de Jean Stuart. Sans le vouloir vous avez contribué à résoudre une polémique d'historiens en Corse.
Mon ancêtre Emmanuel Stuart est venu s'établir définitivement en Corse en 1774, il est le fils d'un John Stuart. J'ai publié un livre sur le contexte de sa venue et sa présence sur l'île d'Elbe de 1769 à 1774 aux côtés de refugiés corses. En 2008 des universitaires ont répandu l'idée selon laquelle mon ancêtre était le fils d'un Jean Stuart venu en Corse avec l'armée française. Je savais que ce n'était pas vrai, puisqu'il était un armurier jacobite au services de Paoli, mais je ne pouvais pas le prouver. Grâce à votre article cette hypothèse est définitivement réfutée. Je m'explique. Sur l'acte d'abjuration que vous avez retranscrit et publié figure son âge (18-19 ans ) en 1749. C'était inespéré, c'est l'information qui me manquait. Car par la suite ce Jean Stuart dont vous parlez à intégré les gardes écossais du Roy en 1770. Et c'est pour celà que d'aucun prétendaient qu'il s'agissait du père de mon ancêtre. On sait maintenant grâce à vos travaux que c'est impossible, votre Jean Stuart étant né en 1730-31, il ne peut en aucune façon être le père de mon ancêtre Emmanuel né en 1730 à Dublin.