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Le meurtrier de Boquerville

Voilà déjà plus d'un an qu'à Rouen on a brûlé Jeanne d'Arc. Nous sommes sous le règne d'Henri VI, roi de France et d'Angleterre. Notre pays est occupé. Un dimanche de juillet 1432, dans une taverne de Boquerville, deux hommes s'étripent pour un air de bombarde. La musique n'adoucit pas les mœurs...

Il s'appelait Guillaume la Chose, pauvre homme de la paroisse de Saint-Joire-de-Boquerville, chargé de femmes et d'enfants. Un garçon sans histoire ou presque. Et c'est devenu un assassin. 

Que s'est-il passé ? Le dimanche 13 juillet 1432, Guillaume avait dîné dans l'hôtel d'une veuve. Celle de Jean Chambre, écuyer de son vivant et natif du pays d'Angleterre. A sa table, il y avait aussi Raoulin Huart, Briffault et quelques autres. Tous fêtaient la bonne hôtesse qui, le matin même, avait pétri le pain béni pour l'église de Saint-Georges. Et tous firent ainsi bonne chère.

Le repas terminé, Guillaume sort de l'auberge quand passent deux ménestriers : Pierre Le Noir et Coulon. « Donnez nous une danse, lance Guillaume, et vous aurez chacun un breton ! » Un breton, c'est une pièce de monnaie. Coulon ne se fait pas prier. Il entre. Le Noir ne le suit pas. Non. Lui, sans desserrer les dents, il poursuit son chemin jusqu'à l'auberge de Robin d'Esqueville. 

— Et pourquoi ton compagnon ne vient pas, interroge Guillaume. 
— J' sais pas, répond Coulon qui s'apprêtait à jouer. 
— Alors, je vas l'quéri...

Voilà Guillaume qui entre chez d'Esqueville. Le Noir est là qui, en compagnie d'un certain Jehannin de la Houlle, attend la boisson que l'aubergiste est allé leur tirer.  « Dieu garde les compagnons, lance Guillaume aux deux hommes. Puis s'adressant à Le Noir : 

— Allez, venez nous donner une danse avec votre compagnon, j'vous en prie. Et vous aurez un breton ! 

— Dieu, lâche Le Noir d'un ton arrogant, Dieu, je l'renie ! J'irai pas !

— Alors, donnez moi votre bombarde puisque vous voulez pas venir...

L'autre lui dit que s'il veut prendre la bombarde, alors, ce sera de force. Ce qui n'est pas l'intention de Guillaume. Lui, il reste d'humeur facétieuse et s'empare d'un pain comme d'une épée factice pour faire mine d'embrocher Le Noir. Puis il aperçoit soudain la chambrière et  lui demande tout à trac : où  est Perrenet, le fils d'Esqueville. Quand il se retourne, Le Noir est armé d'une fourche. Il lui porte un coup au visage. Près de l'œil. Le sang gicle. Un second horion lui perce la poitrine. Tout vient de basculer.

— Vas-t'en, vilain ! hurle Le Noir en anglais. Avant de débiter tout un chapelet de jurons.

Guillaume court à sa maison qui est attenante à l'auberge. Il en revient peu après avec un bâton ferré d'un bout. Rentré dans l'hôtellerie, Alain Mercher, dit Baron, se dresse devant lui :

— Qui t'a fait ça ! s'étonne Mercher 

— Le ménestrier...

Et le ménestrier, il est toujours là. Prêt à porter un nouveau coup de fourche. Guillaume se retourne et voit l'autre fondre sur lui. Mais cette fois, il l'arrête d'un coup de bâton. Un seul. Près de l'œil lui aussi. Et avec grande effusion de sang.

Le noir ne soigna sa blessure que le lendemain. Cinq jours plus tard, le vendredi, il passa de vie à trépas. En décembre, proches et parents de Guillaume la Chose écrivirent au roi pour plaider sa cause. Un homme de si bonne vie. Il fut gracié.

Les ménestriers de Boscherville







Un chapiteau sculpté représente une scène de ballet moyen-âgeux des plus amusantes et des plus instructives aussi.

Tout un orchestre accompagne une ballerine qui danse sur la tète. Violes, harpes, psaltérions, flûte de Pan, tambour de basque, jeu de clochettes,  rien n'y manque, pas même la vielle de ce temps, organistrum ou syphonie, jouée là par deux personnages, dont l'un tourne la roue, la manivelle, et l'autre appuie ses mains-sur les touches.

C'est à tort que certains auteurs situent à Boscherville l'existence de Jehanne de Cretot, ménestrelle de vielle, convaincue de sorcellerie. L'affaire se déroula à Amiens.
LE TEXTE ORIGINAL

Henry, etc., Savoir faisons, etc., nous avoir receu l'umble supplicacion des parens et amis charnelz de Guillaume la Chose, povre homme demourant en la parroisse de Saint Joirre de Bauquerville, chargié de femme et enfans, contenant que come, le xiije jour de juillet derrenierement passé, jour de dimenche, icelui Guillaume la Chose avoit disné en l'ostel de la femme qui fu Jehan Chambre, jadis escuier, natif du pais d'Angleterre, avecques un nommé Raoulin Huart, un surnommé Briffault et pluseurs autres ; laquele femme avoit cedit jour de dimenche fait le pain benoit en l'église de ladicte ville, et tous avoient faicte bonne chiere ensemble.

Et advint que, après ledit disner, ainsi que ledit la Chose yssoit hors de l'ostel de ladicte femme, passoit par devant ledit hostel un nommé Pierre le Noir et un autre nommé Coulon, menestriers, lesquelz icelui la Chose appella en leur disant : « Donnez nous une dance, et vous aurez chascun un breton  ». A quoy ledit Coulon demoura pour jouer, et ledit Noir s'en ala en l'ostel Robin d'Esqueville, sans riens dire. 

Par quoy ledit Guillaume la Chose demanda audit Coulon pour quoy son compaignon ne venoit. Lequel Coulon respondi qu'il ne savoit. Alors ledit la Chose dist : « Je le vois querre ». Et le trouva audit hostel d'icelui Robin d'Esqueville, avecques Jehannin de la Houlle, qui actendoient avoir a boire, que on leur estoit aie querre. Lesquelz icelui la Chose salua, disant : « Dieu gard les compaignons ! » Et dist a icelui Pierre Le Noir : « Venez nous donner une dance avecques vostre compaignon, et je vous en prie, et vous aurez un breton ». 

Lequel Pierre Le Noir moult arrogamment et felonnessement respondi qu'il renyoit Dieu qu'il n'y entreroit ja, ne savoit icelui la Chose pour quoy. Et alors lui dist : « Baillez nous vostre bombarde et nous la porterons, puisque vous n'y voulez venir ». Laquele ledit la Chose print. Et tantost ledit Pierre le Noir renya Dieu de rechief que s'il la là prenoit, il crieroit harou sur lui. 

Lequel la Chose lui respondi qu'il ne criast point harou et qu'il ne lui demandoit riens, combien que ledit Pierre le Noir usast tousjours de paroles malgracieuses. Et soubz umbres d'iceles paroles, icelui la Chose print ung pain, faisant semblant de l'en ferir, ce qu'il ne fist mie. 

Et ce fait, se parti ledit la Chose de la compaignie dudit Pierre le Noir, en demandant par ledit la Chose en l'ostel dudit d'Esqueville où estoit Perrenet le filz dudit d'Esqueville, a la chamberiere dudit hostel. Et ainsi qu'il eust ce dit a ladicte chamberiere, se retourna, et en soy retournant, ledit Pierre le Noir, sans dire mot, lui bailla un horion d'une fourche fiere sur le visage environ l'œil, et lui fist plaie, dont il yssy grant effusion de sang, et un autre horion du bout de ladicte fourche fiere par la poictrine, en lui disant en anglois : « Va-t'en, vilain» » et
autres paroles injurieuses. 

Et alors ledit la Chose trouva un baston ferré par le bout, qu'il ala quérir en sa maison, qui est auprès et joingnante de la maison dudit d'Esqueville, et retourna oudit hostel où estoit ledit Pierre le Noir. Et ainsi qu'il y entroit, trouva Alain Mercher, dit Baron, qui demanda audit la Chose qui lui avoit fait ce qu'il avoit ou visage. Lequel la Chose respondi que ce avoit fait ledit Pierre le Noir. Et quant icelui Pierre le Noir entendi ledit la Chose, s'adreça a lui atout sadicte fourche fiere, pour derechief le vouloir grever, ja soit ce qu'il feust bien blecié et seignast fort. Et alors quant ledit la Chose se retourna et vit que ledit le Noir le poursuivoit, et disoit que encores en auroit il, en voulant frapper ledit la Chose, icelui La Chose bouta de son baston un cop contre le visaige dudit Pierre le Noir auprès de l'oeil, sans cop lever, fors seulement bouter et ung cop seulement, come dit est ; duquel cop yssy sang, et ne s'en fist point appareillier pour lors ne jusques au lendemain bien tart. 

Après lequel cop il vesqui jusques au vendredi ensuiant, qui furent cinq jours qu'il vesqui depuis, a la fin desquelz cinq jours il ala dévie a trespassement. Pour occasion duquel cas, ledit Guillaume la Chose, doubtant rigueur de justice, s'est absenté du pais. . . 

ledit Guillaume la Chose a tousjours esté homme de bonne vie. . . excepté que ou mois de may lan mil CCCC XXIX il obtint de nous noz autres lettres de grâce et remission en laz de soie et cire vert pour avoir enfraint certaines trêves qu'il avoit données a Alain Baron et sa femme, combien que l'en dit que a la coustume de nostrepais de Normandie, s'il n'y a sang et plaie, ne pevent estre enfreintes teles trêves pour recevoir mort, mais y a grant amende. 

Si donnons en mandement par ces mesmes présentes a nostre bailli de Rouen. . . Donné a Paris, le xxiiije jour de décembre, l'an de grâce mil CCCC XXXII et de nostre règne l'unziesme. Ainsi signé : Es requestes tenues par mons. le gouvernant et régent le royaume de France, duc de Bedford, esqueles vous les evesques de Lisieux et de Paris, le chastellain de Beauvais, les abbez de Fescamp et du Mont Saint Michiel et pluseurs autres estoient. 

Oger.





SOURCES

Actes de la chancellerie d'Henri VI concernant la Normandie, Paul Casimir Noël Marie Joseph Le Cacheux - 1908