Lesain ! La famille a donné deux maires à Yainville. Le premier voulait sauver l'église. Le second la raser. Saga familiale...
Jadis vivait à Pont-Audemer un bourgeois bien établi sous le nom de François Le Sain. De son épouse, la sobre Madeleine Quineboit, il eut au moins trois fils :
François. Nous allons le suivre de près. Car il va venir tenter fortune à Jumièges puis à Yainville.
Laurent. Lui, il restera au pays dans les bras de Marie Lemele. Mais l'un de leurs enfants rejoindra son oncle François à Yainville.
Charles. Ce dernier va embrasser la profession ecclésiastique. Document :
Le 13 août 1733, François Lesain et Denis Vatteville, bourgeois de Pontaudemer, y demeurant, paroisse de Saint-Germain, constituent 150 livres de rente en faveur de Messire Charles Lesain, fils dudit François, afin qu’il puisse parvenir aux ordres sacrés. Cette rente est garantie par Me Robert Malfrain, prêtre de lad. paroisse de Saint-Germain, et autres cautions.
Le manoir
d'Yainville
L'aîné des Le Sain passa donc un jour la Seine pour servir à l'abbaye de Jumièges en qualité de boulanger. Ce dont il s'acquitta à la grande satisfaction des moines.
Bientôt, il convoita le vieux manoir d'Yainville.
Ses grasses terres couraient depuis la petite église de cette paroisse jusqu'au moulin de Jumièges. Et Le Sain triompha des enchérisseurs. Maurice Thiphagne qui occupait les lieux dut lui céder la place :
Bail passé à François Le Saint pour la ferme d'Yenville commençant à la St-Michel 1759.
Le vingt mars mil sept cent cinquante huit, nous, Prieur et religieux de l'abbaïe Royalle de St Pierre de Jumièges, ordre de St Benoit, congregation de St Maur, capitulairement assemblez au son de la cloche en la manière accoutumée pour délibérer de nos affaires, sur ce qu'il nous a été representé que le bail d'une de nos fermes située parroisse d'Yenville occupée actuellement par Maurice Thiffegne pour la somme de 800 livres et quelques menues charges seroit révolu à la St Michel mil sept cent cinquante neuf, et que différentes personnes demandoient le nouveau bail, enchérissant plus ou moins sur l'ancien fermier ;
L'affaire mise en délibération, il a été conclu à la pluralité des suffrages qu'il seroit passé en faveur de François Le Sain, aujourd'huy notre boulenger, lequel entrera en jouissance de la ditte ferme à la St Michel mil sept cent cinquante neuf pour neuf années consécutives, moyennant la somme de mil livres pour chacun an et douze cent livres de pot de vin ;
en foy de quoy nous avons dressé et signé le présent acte les jours et an que dessus.
Signent notamment les frères Sénéchal, Augustin Leclere, Vincent Mallet, François Durel souprieur, Ch. Haël....
Il se marieSitôt en possession du manoir d'Yainville, François Le Sain se chargea de le peupler. Le 17 octobre 1759, il se fiançait à une veuve, Catherine de Longuemare, en l'église d'Yainville où officiat le curé Grenier. Le lendemain, à Jumièges, c'est le propre frère de François qui célébrait le mariage.
Un fils !
François Le Sain, second du nom, naquit le 14 septembre 1761 au manoir d'Yainville. Le curé de la famille traversa encore la Seine pour parrainer cet heureux héritier :
Le lundy quatorzième jour de septembre mille sept cents soixante un, a été baptisé par nous, vicaire desservant cette paroisse soussigné, François, né d'aujourd'huy, du légitime mariage de François Le Sain, laboureur de cette paroisse et de Catherine de Longuemare, son parrain discrette personne Mr Charles Le Sain, prêtre habitué à notre dame du Pontaudemer et sa marraine Marie Babois, femme de Sr Jean de Longuemare, laboureur en la paroisse de St Arnoult, qui ont signé avec nous le susdit jour et an. Poisson prêtre.
Le cousin de Pont-Audemer
En 1765, François Le Sain accueillit sous son toit un fils de son frère Laurent qui, sans doute, venait de rendre l'âme à Pont-Audemer. Ce petit Charles avait 10 ans, L'enfant de la maison en avait 4. Ils furent élevés comme deux frères...
En 1766, François Le Sain signa un nouveau bail avec les religieux de Jumièges. Puis le temps pesa sur ses épaules. Quant vint la Révolution, son fils allait jouer un rôle majeur.
François Lesain, second du nomDans son histoire de l'abbaye royale de Jumièges, Charles-Antoine Deshayes parle ainsi de son oncle lorsqu'il évoque les pillages dont fit l'objet l'abbaye :
« On a poussé l'extravagance au point de brûler jusqu'aux titres qui constataient des droits que les habitants avaient dans la forêt et dont ils sont maintenant privés. M. Lesain décédé récemment maire d'Yainville a eu le bon esprit de sauver des mains des incendiaires ceux concernant sa commune et ses administrés lui doivent l'obligation d'en recueillir les avantages. »
Bel éloge ! François Lesain, on va le voir partout. Notamment au sein de l'administration du canton de Duclair. A Yainville, il avait toujours près de lui son cousin Charles.
Le mariage de CharlesLe 3 avril 1794, ce bon cousin épouse Marguerite Ouin. La cérémonie se déroula en la salle publique de la maison commune d'Yainville. Et nous sommes tentés de croire qu'elle se situait au manoir puisque François Le Sain était alors maire. Bien sûr, ce dernier assiste à la cérémonie. Mais c'est Charles Le Chanoine qui officie en qualité d'officier public. Le Chanoine le bien nommé est aussi curé d'Yainville. Acte de mariage :
« L'an mil sept cent quatre vingt treize, le mercredi troisième jour de l'an, en la salle publique de la commune d'Yainville, canton de Duclair, district de Caudebec, département de Rouen, par devant Charles Le Chanoine, officier public, se sont présentés Charles Le Sain, âgé de trente huit ans, laboureur de cette paroisse, né à Pontaudemer, fils de feu Laurent et de feue Catherine Le Mèle, du dit Pontaudemer, d'une part et d'autre part Marguerite Ouin, âgée de trente deux ans, fille de feu Jean, laboureur et de Marie-Anne Leroux, tous de la paroisse de Jumièges, lesquels étaient assistés de leurs témoins cy après désignés et après que les publications ont été faites dans les divers domiciles ainsi que devant la porte extérieure et principale de la présente maison commune conformément à la section 2, titre 4 de la loy du 20 7bre 1792 auxquels n'est survenu aucune opposition nous avons fait en leur présence lecture des pièces relatives à l'état des pactes et aux formalités voulues par la loy du 20 7bre 1792 au nombre d'une pièce après laquelle lecture le dit Charles Le Sain a passé sa déclaration en ces termes :
Je déclare prendre Marguerite Ouin en mariage et pareillement la ditte Marguerite Ouin a dit Je déclare prendre Charles Le Sain en mariage
et à l'instant je soussigné officier public ai prononcé au nom de la loy que les dits Charles Le Sain et Marguerite Ouin sont unis en mariage ce dont j'ai rédigé le présent actes en présence des parties et de François Le Sain, âgé de trente ans, laboureur de cette paroisse et cousin de l'époux, Claude Lafosse, âgé de soixante quatre ans, de Martin Lafosse, âgé de trente cinq ans et François Saffray, âgé de quarante cinq ans, tous trois de cette paroisse et voisins du conjoint qui ainsi que les parties ont avec nous signé le présent acte de mariage à l'exception de Martin Lafosse et François Saffray qui ont déclaré ne savoir écrire de ce interpellés conformément aux dispositions de l'article 8, section 4 titre 0 de la loy du 20 7bre 1792, fait en la maison commune d'Yainville l'an et jour susdits, l'épouse a aussi déclaré ne savoir écrire... »
Les deux Le Sain apposèrent leur signature l'une à côté de l'autre. En dessous signa Le Chanoine. Qui ensuite dut procéder à la cérémonie religieuse en l'église toute proche.
Le ventre de Marguerite Ouin ne tarda pas à se tendre. Charles Le Sain fils naît à Yainville le 27 février 1794.
Le portrait des cousinsMais à quoi ressemblaient nos deux cousins ? En janvier 1796, Charles et François Le Sain firent une demande de passeport. Ainsi a-t-on leur description physique.
Le dit jour s'est présenté le citoyen Charles Le Sain, domicilié depuis 31 ans en la commune de Yainville, âgé de 41 ans, taille de 5 pieds 2 pouces, cheveux et sourcils châtains, yeux roux, nez écrasé, bouche moyenne, nez long, front haut, visage long...
30 août 1799 : Taille 1m 679mm, cheveux et sourcils châtain, yeux roux, nez écrasé, bouche moyenne, menton long, front haut, visage long, inscrit n° 193, pour aller à Rouen Elbeuf Pont-Audemer et Caudebec, signe: ouiLe dit jour s'est présenté le citoyen François Le Sain, de tout temps domicilié en la commune de Yainville, âgé de 34 ans, taille de 5 pieds 5 pouces, cheveux et sourcils bruns, yeux gris, nez aquilin, bouche petite, menton rond, front moyen, visage ovale...
3 avril 1798 : Taille 5 pieds 5 pouces, cheveux et sourcils châtain, yeux gris, nez aquilin, bouche moyenne, menton rond, front haut, visage ovale peu gravé, inscrit n° 131, pour aller à Rouen, signe: oui
13 juillet 1799 : Taille 1m 761mm, cheveux et sourcils châtain mêlés de gris, yeux gris, nez aquilin, bouche moyenne, menton rond, front haut, visage plein, inscrit n° 131, pour aller à Rouen Yvetot Evreux et Pont-Audemer, signe: oui
L'allégeance à Bonaparte
Quand Bonaparte devint premier consul, François Lesain apporta la soutien des Yainvillais au dictateur en devenir. 17 novembre 1799 :
L'an huit de la république française, le vingt six brumaire à une heure d'après-midy, je soussigné agent municipal de la commune d'Yainvile, certifie avoir ce dit jour publié à haute intelligible voix et au son de la caisse accompagné d'un détachement de la garde nationale le décret joint à l'extrait du procès verbal des séances des anciens du dix huit et la loi du dix neuf brumaire an huit.
A Yainville les jour, mois, an que dessus
Lesain
Agent
21 décembre 1799 :
L'an huit de la république française, le trente frimaire à deux heures d'après-midy, je, agent municipal de la commune d'Yainville soussigné, certifie avoir promulgué la constitution à haute et intelligible voix au lieu ordinaire au son de la caisse et accompagné d'un détachement de la garde nationale convoqué à cet effet.
A Yainville, les jour, mois, an que dessus
Lesain
Agent
Après son cousin, François Le Sain songea à se marier à son tour. Ce fut le 6 novembre 1802, à Anneville-sur-Seine, avec Marie-Anne Deshayes. Ce qui se fit en présence de Charles Le Sain, son cousin, cultivateur demeurant alors à Jumièges, 48 ans, Pierre Martin Deshayes, frère de la future, cultivateur à Anneville, 33 ans, Charles Joseph Deshayes, aussi frère de la future, cultivateur à Anneville, 43 ans, Marie Catherine Lebourgeois, Anneville, domestique de 22 ans. C'est Jean-Baptiste Deshayes qui faisait fonction d'officier public. Seule Catherine Lebourgeois déclara ne savoir signer.
Charles fils se marieEn 1811, Charles Lesain exploitait à Jumièges une prairie nommée le Pré-des-Iles
ainsi qu'une autre prairie attenante, le tout contenant quelque 4
hectares. Il lui en coûtait 1000 livres tournoi par an. Celles-ci
furent mises en vente Le 17 mars 1814, c'est déjà
Charles Le Sain fils qui convole à Jumièges avec Sophie
Danger. Le temps s'écoule encore. Le premier maire d'Yainville
est gagné par la vieillesse. De son manoir, il considère
la pauvre église d'Yainville. Désaffectée depuis
bientôt vingt ans, elle lui sert aujourd'hui de grange.
Alors, il rêve de la voir renaître au culte.
En
1824, voilà Charles Lesain maire de
Jumièges. Les deux cousins règnent sur
la presqu'île. Mais Charles n'est pas long
à se faire destituer.
Le 11 février 1826, François Le Sain rend l'âme en son manoir d'Yainville. Voici comment le Journal de Rouen rendit compte de l'événement :
La commune d'Yainville, canton de Duclair, arrondissement de Rouen, vient de faire une perte sensible dans la personne de M. François Lesain, enlevé le 11 de ce mois, à sa famille et à ses amis, à la suite d'une fièvre cérébrale. Placé pendant vingt-cinq années comme maire à la tête de l'administration de son pays natal, cet homme de bien sut en tout temps se concilier l'estime des habitants et la reconnaissance des malheureux dont il était le soutien. Très souvent, sa bienveillante intention et l'autorité de ses décisions prévinrent plus d'un différend et réussirent à réunir des familles près à se diviser ; aussi sa mémoire se conservera-t-elle longtemps parmi ses parents et le grand nombre de ceux qui ont eu l'avantage d'en être connus.
Cette nécrologie était un article communiqué comme on disait alors. Sans enfant, Lesain va faire du fils de son cousin son héritier. Sous condition. Charles X en personne rendit une ordonnance pour exaucer ses dernières volontés.
Ordonnance du Roi
Charles, par la grâce de Dieu, Roi de France et de NavarreA tous ceux qui ces présentes verront salut,
Sur le rapport de notre Ministre secrétaire d'Etat au Département des affaires ecclisiastiques,
Notre Conseil d'Etat entendu,
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit ;
article 1er
Le trésorier de la fabrique de l'église de Jumièges, département de la Seine inférieure, est autorisé à accepter le legs conditionnnel d'une somme de dix mile francs, fait avec réserve d'usufruit par le sieur François Lesain suivant son testament olographe du 20 mai 1823 aux clauses et conditions qui y sont exprimées.
La dite somme de dix mille francs sera employée à l'époque prescrite pour le paiement en achat de cloches et ornements d'église, conformément à la volonté du testateur et dans le cas prévu par le dit testament.
Art. 2
Notre Ministre secrétaire d'Etat au Département des affaires ecclésiastiques est chargé de l'exécution de la présente ordonnance qui sera insérée au bulletin des lois.
Donné en notre château des Tuileries, le 30ème jour du moi de janvier de l'an de grâce 1828 et de notre règne le 4e
Par le Roi
Le Ministre secrétaire d'Etat au Département des affaires ecclésiastiques
Signé + D. Ev d'Hermopolis
Pour ampliation
Le Conseiller d'Etat directeur des affaires ecclésiastiques
Signé l'abbé de la Chapelle
Pour copie conforme à transmettre à Monsieur le Maire de Jumièges
Le secrétaire général ff de Sous-Préfet.
Jumièges salive...
Les Yainvillais montaient alors à Jumièges pour assister à l'office dominical. Le 16 mars 1828, on informa le responsable de la paroisse de Jumièges des dispositions testamentaires de François Lesain.
Par devant Me Jean François Jacques Durand fils, notaire royal à la résidence de Duclair, chef lieu de canton, arrondissement de Rouen, Seine-Inférieure, soussigné,
En présence des témoins ci après nommé,
fut présent
Jean-Baptiste Adrien Chrétien propriétaire, demeurant en la commune de Jumièges, agissant ici en qualité de trésorier de la fabrique de l'église de Jumièges et comme étant autorisé spécialement à l'effet de présenter par une ordonnance du Roi du trente janvier de la présente année dont une copie certifiée conforme et signée par Monsieur le secrétaire général de la préfecture du département de la Seine-Inférieure faisant fonction de sous préfet après que de sa mention a été faite par le notaire soussigné de cette annexe,
Lequel comparant après avoir pris connaissance et entendu la lecture qui lui a été donnée par le dit Me Durand, notaire, du testament de M. François Lesain, en son vivant propriétaire et maire demeurant à Yainville, par lui fait olographe le vingt mai mil huit cent vingt trois présenté à M. le Président du tribunal civil de première instance de Rouen qui en a constaté l'état par son procès verbal du treize du dit mois de février mil huit cent vingt six et ordonné le dépôt aux mains du notaire soussigné qui l'a reçu et en a dressé acte le lendemain.
Le tout enregistré, suivant lequel testament M. François Lesain a légué à M. Charles Lesain, son cousin issu de germain demeurant à Jumièges les biens fonds appartenant au testateur situés tant en la commune de Yainville qu'en celle de Jumièges à l'exception de ceux qui se trouvent au hameau d'Heurteauville à la charge par M. Lesain, légataire
1° de laisser jouir en usufruit des dits biens madame Marie Anne Deshayes, épouse du testateur et
2° de payer une somme de dix mille francs à la fabrique de Jumièges, quatre ans après le décès de l'épouse de M. Lesain, testateur, pour être, la dite somme, employée à avoir deux cloches et autres ornements avec stipulation toutefois que si l'église d'Yainville venait à être rétablie avant la dite époque, cette somme de dix mille francs irait au profit de la fabrique d'Yainville.
Dont acte fait et passé à Jumièges en ma chambre au premier étage sur la cour dépendant de la maison habitée par Madame veuve Poisson en présence de MM. Louis François Fauvel, demeurant Jumièges.
Ces 10.000F, ils ne sont pas encore sortis de la poche de l'heureux héritier !
Quelques années passèrent. En 1831, à Jumièges, Charles Lesain était le subrogé tuteur des mineurs Fessard dont les biens furent mis en vente, dans le quartier des îles, à Jumièges. Le fils de Charles Lesain, prénommé comme lui, était en pension à Rouen chez le sieur Bastille. En 1834, lors de la remise des prix aux collèges de la capitale normande, on le voit obtenir un premier accessit en droit commercial, derrière Philibert-Alphonse Marescot, brillant élève du collège royal.
Et puis vint le 29 décembre 1839, date à laquelle Charles Lesain est nommé maire d'Yainville. Pour le malheur des Yainvillais...
Laurent
QUEVILLY.
Pour
suivre : Ce
démon de Charles Lesain
Baux du manoir d'Yainville, recherche et numérisation : Josiane et Jean-Yves Marchand, transription: Laurent Quevilly.
Délibérations du conseil municipal d'Yainville : Edith Lebourgeois.
Passeports et pièces du Consulat : Jean-Pierre Hervieux.