(Translated by https://www.hiragana.jp/)
Maurice Ray et Roger Martin du Gard à Yainville


Un hôte illustre à Yainville ? Le nom de Sacha Guitry vient immédiatement à l’esprit. Et pourtant, avant lui, le peintre Maurice Ray habita sa maison. Il y reçut maintes fois Roger Martin du Gard...

Prélude, une toile de Maurice Ray présentée au salon de 1910. Fut-elle réalisée à Yainville ?

1863-1938. Ces dates encadrent la vie de Maurice Ray. Entre les deux, que sais-je de lui ?
Qu'en 1885, à 22 ans, il obtient une mention au concours du Figaro illustré pour une œuvre intitulée Le jugement de Dieu. Le premier prix est un rouennais, Julien Adeline.
Qu'en 1887, il illustra de 70 dessins le conte arabe Sinbad le marin. Un livre devenu un classique chez les bibliophiles.
Qu'il exposa plusieurs fois au salon des Indépendants. Qu’il était un ami de longue date des parents de Roger Martin du Gard, famille de magistrats établie à Neuilly. Aussi se fit-il auprès d’eux l’avocat de la vocation littéraire du jeune Roger, de 18 ans son cadet. Un garçon qu’il aurait vu venir à lui en 1901, à Yainville. Un garçon qui, après les lycées Fénelon et Janson-de-Sailly, tenta des études de lettres en Sorbonne. Pour échouer en licence. Avant de frapper aux portes de l’école des chartes en octobre 1900...

Ray conseiller municipal


Que sais-je encore de Maurice Ray ? Qu’il habitait Paris, au n° 16 rue de Vienne. En épousant une veuve liée à la famille Lepel-Cointet, il hérita du manoir de l'église d'Yainville.
Non loin de là, Achille Grandchamp, maire de Jumièges, un temps conseille général, avait fait bâtir une résidence sur un domaine nommé La Broche. Mort sans héritier, Granchamp légua ce bien à son beau-frère qui n'était autre que le père de Maurice Leblanc, l'auteur d'Arsène Lupin.
Les Ray revendirent très vite le manoir d'Yainville mais conservèrent une pièce de terre pour leur usage. Celle-ci vint compléter le domaine de La Broche qu'ils rachetèrent la même année à M. Leblanc. C'était en 1891.



L'annuaire des châteaux et villégiatures

Tout parisien qu'il était, Maurice Ray s'impliqua dans la vie locale puisqu'il devint conseiller municipal d'Yainville en 1900.

Juillet 1902. Roger Martin du Gard revint à la Broche. Mais en novembre, à l'école des Chartes, il est collé à ses examens de seconde année. Le voilà appelé sous les drapeaux. Son incorporation
au 32e régiment d’infanterie de Rouen n'est peut-être pas étrangère à la présence de Maurice Ray à Yainville. Cette affectation reçut le coup de piston du général Faure-Biguet.
A la caserne Hatry, RMG rejoint le « peloton des dispensés », les dispensés pour étude, les « dispensés article 21 », bref, ceux qui n’accompliront qu’un an de service au lieu de trois. Au « Hatry palace », RMG retrouve Gustave Valmont, camarade de Fénelon avec qui il partagera une chambre en ville, 14, rue de la Chaîne. Mais il se lie aussi avec un groupe d’intellectuels Au sein duquel Marcel de Coppet se fait son premier critique. Car Du Gard écrit.
A la caserne, la perte de l'un de ses compagnons, Hartmann, victime d'une typhoïde mal soignée, l'affecte profondément. La mort de son ami lui inspire une nouvelle, Jean Fiers, à laquelle il mettra la dernière main à Yainville une fois libéré de l'armée. « Je suis ici, à la campagne, non loin de Rouen, chez un ménage ami où je suis venu écrire au calme un nouveau chef-d'œuvre qui ira rayonner au fond de quelque placard, avant peu. » Nous sommes en septembre 1903. Jean Fiers terminé, RMG rédige à présent La Méprise.

La thèse sur l'abbaye

                  RMG est amoureux. Amoureux de son amie d'enfance. Sur son insistance, Mme Paul Martin du Gard formule une demande en mariage à la famille d'Hélène Hoche. Refus. 17 Octobre 1903, le jeune homme est encore à Yainville quand il écrit à Georges Klincksieck : « Mon séjour ici m’a permis de parcourir en auto et à bécane beaucoup de routes où nous avons traîné le sac et ç’a été pour moi une joie de revoir la haie où j’ai fait la sentinelle… »
L'une des nombreuses photographies réalisées par Martin du Gard à Jumièges. Cliquer pour agrandir

Du Gard, qui redouble sa seconde année à l'école des Chartes, prend Jumièges pour sujet de thèse. Sans doute sur les conseils de Maurice Ray. Et puis, les Lepel-Cointet, propriétaires des ruines, sont des amis de la famille du Gard.  Au cours de l’année 1905, à grand frais, l’étudiant est autorisé par Mme Lepel-Cointet à dégager les assises du transept et du chœur de la grande église. Logeant forcément chez les Ray, à La Broche.

« Si étrange que cela paraisse, écrit-il dans son journal, quand j'ai choisi Jumièges comme sujet de ma thèse à ma sortie de l'Ecole des Chartes, ces ruines imposantes d'une de nos plus anciennes, d'une de nos plus belles abbayes normandes, n'avaient été l'objet d'aucun examen archéologique autorisé et complet. J'y ai travaillé avec acharnement pendant mes deux dernières années d'Ecole.

«Seul, j'ai relevé tous les plans, toutes les mesures de cet ensemble monumental. Sans aucune aide, aucune expérience, avec l'inconcevable présomption d'un blanc-bec de vingt ans, j'ai embauché une équipe de terrassiers, j'ai fait creuser des tranchées, j'ai mis à jour des vestiges de fondations où j'ai pensé voir des soubassements du Xle siècle. Enivré par ces découvertes, j'ai cru pouvoir reconstituer le plan du chœur primitif, qui aurait été le premier en date, le prototype des chœurs romans de Normandie et d'Angleterre »

Oui, aux yeux de RMG, un plan du XIe siècle se dessine peu à peu dans les tranchées, semblable à celui de Cluny, semblable à celui qui inspirera les architectes de Boscherville. Mais il se trompe. En attendant, 
Du Gard réalise de nombreuses photographies des ruines, des statues conservées au musée lapidaire. Des photos mais aussi des croquis comme celui du gisant de l’abbé Champart. Sa thèse prend forme. Ce sera une somme. La première étude d’importance sur l’abbaye. Celle à laquelle on va sans cesse se référer. Elle ne s’attache pas qu’aux pierres. L’auteur brosse l’histoire de Jumièges, enquête jusqu’en Angleterre pour tenter de retrouver le cloître disparu. 10 février 1906, le voilà archiviste et paléographe diplômé.


19 février 1906, mariage avec Hélène Foucault, église de Saint-Augustin. Cette année-là, Maurice Ray alerte Martin du Gard au sujet de l'effondrement d'une ogive à l'abbaye.
1907, naissance de leur fille Christiane, baptisée le 26 à Notre-Dame-des-Batignolles. RMG est déjà happé par sa carrière littéraire quand, en 1909, intervient la publication de sa thèse à Montdidier. 300 exemplaires dont la moitié est offerte ou vendue. « Le reste a dû être passé au pilon par les Allemands qui occupèrent Montdidier.» Un libraire m’en proposa un jour un exemplaire original. Hors d’atteinte de mon budget. Après tout, j’en connaissais les grandes lignes. Car en 1927, en publiant une monographie sur Jumièges, Louis-Marie Michon reprit les travaux de RMG. Qui en signa l’introduction. Mais il était déjà en marche vers le prix Nobel de littérature... L'archéologie est derrière lui d'autant plus que cette même année 1927 des fouilles entreprises par Georges Lanfry viennent contredire la thèse de RMG. Il confie sa honte à son journal : « Et quelques années plus tard - j'avais "brillamment" soutenu ma thèse et je l'avais publiée -, un simple entrepreneur, qui n'était pas un archéologue professionnel, mais un "homme du métier", et qui avait été chargé de certains travaux de consolidation par les Monuments historiques, a eu l'occasion d'examiner à nouveau les maçonneries anciennes que j'avais attribuées au Xle siècle, et il s'est aperçu que je m'étais trompé. Devant la compétence de son argumentation, j'ai dû me rendre à l'évidence : les conclusions sensationnelles que j'avais fièrement tirées de mes "découvertes" s'avéraient indiscutablement inexactes ! ... Ç'a été - je n'exagère pas - la plus cuisante humiliation de ma vie... »

Du Gard ne s'éloigna cependant pas de la Normandie. En 1924, il séjournera à la commanderie de Sainte-Vaubourg, au Val-de-la-Haye, en compagnie de Louis-Marie Michon, un familier de la maison. Les deux hommes feront paraître, trois ans ans plus tard, une monographie sur l'abbaye de Jumièges chez Laurens, à Paris.
Mais surtout, de 1925 à 1940, RMG habitera le château du Tertre, en lisière de la forêt de Bellême, à Sérigny. Il est toujours propriété de la famille.


Le départ de Maurice Ray

Maurice Ray restera un conseiller de Martin du Gard, voire l'inspirateur de certains de ses personnages. Abondante fut la correspondance entre les deux hommes. En 1913, de Yainville, Ray demanda à son ami d’intervenir auprès de Francis Copeau pour placer au théâtre du Vieux Colombier une comédienne de ses protégées : Paulette Serty, 19 rue Poncelet à Paris. Martin du Gard s’exécuta. Manifestement sans succès.

Que sais-je enfin de l’œuvre de Maurice Ray lui-même ? D’abord qu’il réalisa un portrait en ombre chinoise de Roger Martin du Gard en 1901. Mais aussi un profil au crayon de couleur et lavis daté de Jumièges, juillet 1902. Il fit aussi le portrait de Christine Martin du Gard en 1913. Je sais encore qu'il illustra d’aquarelles, de miniatures Barbey d’Aurévilly, André Chénier, Henri de Régnier, Mallarmé, Pierre Louys, cet autre familier de Jumièges. Vu des tours de l’abbaye, le monde est décidément bien petit.

Au salon des aquarélistes de 1905, Maurice Ray se signale pour un portrait d'homme, quatre illustrations pour un livre de Henry Houssaye et une Salomé dont l'extraordinaire précision se relève d'un curieux parfum d'étrangeté.

En 1907, Ray participa au 29e salon des Aquarellistes français, à la galerie G. Petit. Il fut remarqué pour une œuvre intitulée Lr vieil escalier.


Illustration de Maurice Ray pour Aphrodite, de Pierre Louÿs, un habitué de l'abbaye de Jumièges.

Maurice Ray sera resté une dizaine d'années à Yainville. Il céda La Broche à M. et Mme Gouy en 1911. Il avait acheté le domaine 5.000F au père de Maurice Leblanc. Il en tirait le double. Les Gouy s'empressèrent de revendre La Broche à une certain Sacha Guitry.


Laurent QUEVILLY.

Notes

[1] La Broche, lieu-dit répertorié par Charles de Beaurepaire dans son étude toponymique de la Seine-Inférieure. La Broche aux religieux de Jumièges 1487, 1530.

Sources

Délibérations du conseil municipal d'Yainville.
Claude Michon (séjour de RMG à Sainte-Vaubourg)
Site de l'association des amis de Roger Martin du Gard. (Fermé par SFR)

Qui en sait plus sur Maurice Ray, le séjour de RMG à Jumièges et Yainville ?
Vos réactions



CONTACT



Un internaute : La fille de Roger, Christiane, est morte en 1973. Elle avait installé au Tertre le peintre Valaisan Fernand DUBUIS qui y avait son atelier. Il est mort au Tertre et est enterré au cimetière de Sérigny près de Bellême