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Agnès Sorel


Le profil de la victime

« Oncques, en aucun pays reine tant belle ni divine ne fut. Et comme, entre les belles, elle était tenue pour la plus belle du monde, elle fut appelée damoyselle de Beauté… » Ainsi parlait d’Agnès Jean Chartier, le chroniqueur officiel de la cour. Le profil de la victime ? Il est ma foi fort beau.

Encore une fois, Agnès, tu brouilles les pistes. Tu serais née vers 1422 au beau village de Fromenteau, en Touraine. A moins que ce ne fut à Froitmantel, en Picardie, le pays de ton père. De petite noblesse, Jean Soreau était un mercenaire du roi. Ta mère a pour nom Catherine de Maignelais. Tu as quatre frères. L'aîné sera grand veneur de France. Tu aimes particulièrement André, ton cadet. Cela se lit entre les lignes de ton testament.

Fillette, Agnès a donc le minois joli, les yeux bleus en amande. Un astrologue croise une jour son regard : "Tu seras aimée du plus grand souverain d'Europe." Bon, c’est ce qu’elle prétendra plus tard. Sans doute un mensonge bien féminin. Un argument stratégique comme nous le verrons plus loin.

Son père meurt. Agnès est recueillie par sa tante maternelle, dame de Maignelais. Mais celle-ci a déjà une fille, Antoinette, qui supporte mal l’intrusion de cette cousine dans le cœur de sa mère. La voyant bien mélancolique, Madame de Magnelais se résout à placer sa protégée à cour du Roi René, dans la suite d’Isabelle de Lorraine, soeur de la reine de France.

Agnès apprend les bonnes manières, le goût des arts. Quand René est fait prisonnier, Isabelle se précipite chez son beau-frère, Charles VII, pour implorer son soutien. Agnès la suit à Chinon. Nous sommes en 1444. La prophétie du mage va bientôt prendre corps...

Le roi en devient tout assoté
 
Quoi ! Voilà un roi sans fortune qui, alors que l'on assiège Orléans, répète un ballet. La Hire, le grand capitaine venu aux ordres à Chinon, n’en revient pas:

—   Sire, jamais on n'a vu ni ouï qu'aucun prince perdit si gaiement son Etat !
 
 Indolent monarque au royaume occupé par l'Anglais, le roi de Chinon est encore marqué par sa mère. Épouse d'un roi fou, Isabeau de Bavière, l'ogresse, aura collectionné les amants. Devant son arbre généalogique, Charles a parfois des doutes. Quand il regarde sa femme aussi. Marie d’Anjou n’est pas l’épouse rêvée. Sa belle-mère lui est en revanche de bonne influence. Sans Yolande d’Aragon, il se vautrerait dans les débauches de la cour.

Alors, quand le regard de Charles tombe sur les vingt printemps d'Agnès, là, au premier rang de ses courtisans, Brezé"Plus ne pouvoit parler auculnement". comprend tout. Ce grand sénéchal vient de voir briller l’œil du roi. Il organise leur rencontre. Secrète. On échange quelques mots. Et dans la nuit qui suit, Charles ne trouve pas le sommeil.
Maintenant, comment retenir cette jeune beauté à la cour. Tout simplement en la bombardant confidente de la reine. Vieille recette monarchique. Agnès se défend d’appétit charnel pour le souverain. Elle s'en confie à Poton de Xaintrailles, gentilhomme gascon :

—Je le vénère et je l'honore. Mais je ne crois pas que j'aie rien à démêler avec la Reine à ce sujet.      
                        
 Des mots. Notre beauté est au lit du Roi. Alors, quand Isabeau s’apprête à s'en retourner en Lorraine, Agnès feint la maladie pour demeurer encore à Chinon. Elle reste. Et recouvre la santé aussi vite qu’était venue  Et Charles en devient si "assoté" qu'il ne peut bientôt plus se passer d'elle "ni au lit, ni à table, ni au Conseil."
 

Charles lui fait bâtir un castel où il la retrouve en douce, la couvre de privilèges. "Elle avait plus beaux parements de lits, meilleure tapisserie, meilleure vaisselle, meilleurs bagues et joyaux, meilleure cuisine, meilleur tout !" Sans compter 300 livres de rente. La Reine? Marie d’Anjou s'arrange de cette affaire. Et puis, Charles continue à l’honorer. Il lui fera autant de fils qu’Agnès aura de filles.

A la naissance de l'aînée, la première favorite officielle de l'histoire reçoit de son royal amant un cadeau des plus somptueux : la seigneurie de Beauté-sur-Marne, tout près du bois de Vincennes. Le nom lui sied à merveille. Ce sera désormais son surnom.

Marie, Charlotte, Jeanne, Charles reconnaît ses trois bâtardes et met à chaque fois un château dans leur dote.

A la cour, la dame de Beauté lance les modes. On lui épile les sourcils, les cheveux pour dégager un haut front bien bombé. Douceur et intelligence émanent de son visage. Ses coiffures s'envolent en pyramides vertigineuses, la traîne de ses robes atteint huit mètres et laisse dans son sillage un parfum de chypre rouge. En revanche, ses épaules, ses seins se dénudent. Et toutes les femmes l'imitent. Elle puise ses folles toilettes dans les trésors d'Orient de son ami Jacques Cœur, le grand argentier des besoins du roi. Devant ses robes "avec des ouvertures par-devant", l'archevêque de Reims se voila la face. En écartant les doigts. "On voit les tétons, tettes et seing!" Elle aime aussi exercer des talents culinaires. Quelques recettes portent aujourd'hui son nom. Souvent à base de langue. Allez savoir pourquoi...

Mais Agnès n'est-elle que frivole?

Non. Elle est aussi de bon conseil. Sur la reconquête du Royaume, les grandes réformes. On devine sa présence lors d’entrevues capitales. La campagne de Normandie ? Interrogeons Brantôme :

  La belle Agnès voyant le roi amoureux d’elle et ne se soucier que de lui faire l’amour, le voyant mou et lâche et indifférent à son royaume, la Belle Agnès lui tient un jour ces propos. Lorsque j’étais jeune fille, un astrologue m’avait prédit que je serais aimée par l’un des plus vaillants et courageux rois de la chrétienté. Quand vous m’avez fait l’honneur de m’aimer, j’ai pensé qui vous étiez le valeureux roi de cette prédiction. Mais je vois bien que je me suis trompée. C’est le roi d’Angleterre qui vous livre de si belles batailles et prend vos villes à votre barbe. Je m’en irai donc le trouver car c’est lui que m’a désigné l’astrologue. Ces paroles, poursuit Brantôme, piquèrent si fort le cœur du Roi qu’il se mit à pleurer. Puis, puisant courage et quittant sa chasse et ses jardins, il prit le frein aux dents, si bien que par sa vaillance, il chassa les Anglais de son royaume. [1]

On crédite encore Agnès d'avoir éliminé de l'entourage du roi les ventres mous pour leur substituer de solides hommes d'Etat: Brezé, Jacques Cœur. Bref, d'avoir doté la France d'un véritable gouvernement. Enhardi, le mollasson monarque surmonte en tout cas sa timidité, tient tête aux Anglais si bien qu'on le surnommera le "bien servi" et bientôt "le victorieux". Et il le doit à des femmes: Yolande de Bavière, Jeanne d'Arc qu'il laisse brûler sans grande émotion, Agnès qui va connaître aussi une fin tragique.

Lasse des vexations
Durant toutes ces années à la cour, notre Pompadour de la première heure accumule les richesses. Mais aussi les vexations. Lors d'un tournoi, elle revoit Isabeau de Lorraine. Qui lui manifeste publiquement du dédain ! Blessée, la Dame de Beauté songe pour la première fois à quitter la cour. Une idée que balaye immédiatement Charles. Elle se retire cependant quelque temps à Loches où les deux amants se retrouveront souvent.

Novembre 1437. Le Roi s’affiche à Paris avec femme et maîtresse. Agnès est suivie d’une cohorte de servantes. Les bourgeois de Paris rechignent à s’incliner devant une concubine croulant sous l'or et les diamants. Charles a beau leur expliquer qu'Agnès est là en qualité de suivante de la reine, c’est pour la Belle des Belles un nouvel affront.

La parole à Georges Chastellain, chroniqueur de Bourgogne, contemporain d’Agnès, « laquelle je vis et connus… Dans toutes voies, cent mille murmures sourdaient contre elle ! »

On va jusqu’à prétendre que Louis, le propre fils du Roi, leva un jour la main sur Agnès.

— Par Sang-Dieu, c’est elle la cause de toutes nos discordes !

Charles bouscule alors son fils. Agnès s’interpose, supplie le roi de pardonner. Rien n’y fait. Le futur Louis XI est banni en Dauphiné.

Voilà. Sa décision est prise. Agnès ne demeurera plus à la cour. La Roi, la Reine même tentent de l’en dissuader. La Belle se retire définitivement  à Loches. Pour de brèves apparitions à Chinon. Pour un voyage sans retour à Jumièges…

Agnès

  Pour suivre: L'AGONIE:

 




[1] Adapté en français moderne.

GE SANS RETOUR