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L'école de YAINVILLE

Autour d'une vieille photo scolaire...

Par Laurent QUEVILLY.

Ils sont une soixantaine en rangs d'oignons. Sur la plus vieille photo scolaire d'Yainville, voici toute une génération du village, celle des années 1890. Essayons d'entendre ce que racontent ces frimousses figées...

« Les petits devant, les grands derrière ! » C'est au début des années 1860 qu'est apparue en France la pratique de la photo scolaire. Toute l'école est rassemblée sur un même cliché à l'extérieur pour profiter de la lumière du jour. Plus tard viendra la photo de classe.
La

La plus ancienne photo d'Yainville répertoriée à ce jour est soigneusement conservée dans une branche de ma famille descendant des Chéron. Sans signature du photographe. Sans noms au dos. Mais la tradition familiale la date précisément de 1891.

Une année bien remplie...

En 1891, Sadi Carnot est président, Jules Ferry réorganise l'Algérie, Emile Silvestre, le patron des carrières d'Yainville, mène son second mandat de maire. Il est entouré de Patrice Costé, son adjoint qui lui succédera bientôt. C'est un gabelou à la retraite qui vit en haut de la Côte Béchère et tient un journal de compte que nous reproduisons par ailleurs . Les conseillers sont MM. Florentin Beaufils, lui aussi retraité des douanes, Charles Duonor, cafetier, Casimir Frémont, maçon. Le conseil d'Yainville compte encore quatre cultivateurs : Athanase Leroy, Louis Lucas,  Auguste Massé et Alphonse Grain, tenant de la métairie du château du Taillis et mauvais payeur si bien que Lenepveu ne va pas tarder à le congédier. Grain vit avec sa femme mais aussi son fils et sa fille prénommés comme lui. Il a d'autres enfants dont Alexandre, qui tient le café de l'église. Dans cinq ans, veuf, ayant maîtresse à Yainville, Alphonse Grain sera assassiné par son propre fils à Sainte-Marguerite. Ce qui fera causer sur le marché de Duclair plusieurs mardis de suite...

91... Un hiver rigoureux s'achève qui a vu l'une des gribanes du carrier engloutie par les glaces. Avec son épouse, Silvestre a des libéralités pour sa communale. Républicain convaincu, il organise un goûter le 14 Juillet et distribue aux gamins lanternes, drapeaux, jouets... Il instaure aussi à Yainville la tradition de l'arbre de Noël.
Des libéralités, Silvestre en a aussi pour les parents d'élèves que sont ses ouvriers. En 89, année où l'on a célébré avec conviction le centenaire de la Révolution, Madame en a accompagné une vingtaine en train à l'exposition universelle. Le patron carrier leur doit bien ça. Régulièrement, on relève des morts sur le chantier, on reprêche des matelots noyés. On compte au moins sept victimes à ce jour. Il y en aura encore autant jusqu'à la fermeture des carrières. En attendant, début février, Prunier, un ouvrier est encore tombé dans l'eau glacée. Il a été sauvé par ses camarades. Un mois plus tard, un autre employé de Silvestre n'aura pas cette chance.
Dans la carrière d'Heurteauville, un bloc de pierre lui écrasera la tête.

Louis Délogé, le garde-champêtre veille tant bien que vaille sur une population où sexe et alcool font parfois tâche sur la carte postale. Fin février, une femme attend le bac à Yainville pour rejoindre La Mailleraye. Soudain, un homme tente de l'entraîner vers un caillouteux mouillé près de la cale. Elle se débat. La main de son agresseur fait baillon sur sa bouche. Mais voilà que le mari surgit. Alors, l'autre s'enfuit. Seulement, le passeur du bac qui accoste à ce moment a le temps de reconnaître Gosselin, batelier chez Silvestre. On l'arrête. Son dénonciateur n'est pourtant pas un modèle de vertu. Dans quelques mois, on l'embastillera pour inceste...

En 91, Yainville compte 294 habitants répartis entre 71 maisons et 72 ménages. Mme Vallois nous vient de la rue Pavée, à Duclair, pour livrer son pain en voiture à cheval. Un jour, en retrant de sa tournée, son animal s'emporte et il faut toute la dextérité du sergent Lemarchand pour le maîtriser. Le presbytère vient de se vider de son dernier curé, l'abbé Caron, parti pour Anglesqueville-la-Bras-Long. C'est le vicaire de Duclair, l'abbé Rivière, qui vient ici apporter les secours de la Religion.
Une seule élève a été identifiée sur cette photo, il s'agit de Marie Chéron, 7 ans, l'une des filles de mon arrière-grand-père, alors batelier sans doute chez Silvestre mais qui reprendra bientôt du service sur le bac d'Yainville. La barbe fleurie,  Pierre Delphin Chéron est une figure tutélaire qui arbore fièrement la médaille d'Italie décernée par Napoléon III, encore présent dans toutes les mémoires chez les anciens. 

Marie est assise à gauche au premier rang. 61 enfants figurent sur cette image. Tous tête nue à l'exception d'une gamine coiffée d'un bonnet qui évoque les coiffes traditionnelles normandes. Elle est le dernier témoignage d'un passé vestimentaire au moment où les chaussures remplacent les bottines. Mais les bézots n'ont pas fini de chausser des galoches à Yainville.

Si le saint patron de la paroisse est André, fêté par une messe en fin d'année, la fête patronale est curieusement dédidée à sainte Madeleine. Depuis quand ? Mystère de la Passion... En 91, la "fête de la Madeleine", comme on dit, aura lieu le dimanche 2 août. Avec des jeux divers l'après-midi, de même qu'un concours de tir. Les lots sont offerts par le préfet, Ernest Hendlé le sénateur Richard Waddington, le député républicain Maurice Lebon, Emile Silvestre, le maire et le négociant Alexandre Lamiré, fine gachette et figure des pompiers de Duclair... A 7 h du soir, les prix sont distribués au dix lauréats : Gruley, Albert Lecointre, le chef de gare, Charles Hébert, l'instituteur, les sieurs Chepelière, Bavant, Lechevalier, Louis Narcisse Turmine, un Chti, J. et P. Séhet, un nom porté à Varengeville, enfin un Mauger simplement désigné par la lettre J. Peut-être Joseph, domestique chez Héricher. Le soir, bal, feu d'artifice et illumination chez Alexandre Grain, le cafetier de l'église. Lui, c'est un homme au sang chaud. Voici peu, il a levé la main sur le carrier Lenoir, ce qui lui a valu condamnation. Bientôt, il fera faillite. Alors, il ira s'établir à Jumièges où il apprendra le parricide dont fera l'objet son père.
En fin d'année, on verra le gros Léon Prat, propriétaire de la forêt de Jumièges, achever un sanglier au couteau près de la gare d'Yainville.

Cette année 1891, Charles Hébert, l'instituteur, a 26 ans et n'est pas encore marié. Il vit avec sa sœur, Angèle, 24 ans. C'est sans doute elle qui figure à gauche sur la photo. Elle dispense aux fillettes des cours de couture. Avec talent certainement puisque trois d'entre elles au moins exerceront un temps ce métier. Dont Marie Chéron et sa sœur Martine. Mais celles-ci ont surtout des cours particuliers à la maison. Leur sœur aînée Delphine, 24 ans, fait profession de couturière, aidée en cela par Marie Hibert, ouvrière de 15 ans, qui vit sous le toit des Chéron. 

En février, le conseil municipal prit cette délibération : 

"M. le Président donne lecture d'une lettre de M. Hébert, instituteur à Yainville, demandant qu'il plaise au conseil de pourvoir l'école mixte de la carte murale scolaire du département dont le prix est de 25 francs.
Considérant que la demande de l'instituteur est fondée puisque l'école ne possède pas de carte du département, que Monsieur Hébert a à diriger une classe difficile puisqu'il a soixante élèves (garçons et filles), et qu'il faut lui rendre sa tâche plus facile en lui fournissant un bon matériel scolaire, Considérant d'autre part que les finances de la commune ne permettent pas au conseil de noter l'acquisition de la carte sollicitée, demande à Monsieur le Préfet de bien vouloir accorder à la commune une subvention de 25 francs afin qu'il puis être fait droit à la juste pétition de l'instituteur..."

Selon le recensement du 12 avril 1891, voici les enfants de 6 à 13 ans susceptibles de figurer sur cette photo. Ils sont exactement 60, ce qui correspond au nombre d'écoliers entourant Charles Hébert sur le cliché. 

Enfants de carriers

Henri Acron, 11 ans, ses sœurs Aline et Marie Acron, 9 et 8 ans. Ce sont trois des neuf enfants de Michel Acron et d'Alphonsine Mainberte, mon arrière-grand-tante. Michel, le père, était un "bureautin", autrement dit un enfant abandonné dans la tour de l'hospice de Rouen. D'abord appelé Ancron, journalier à Jumièges, il devint cultivateur à Yainville puis carrier et même contremaître.
Adolphe
et Ernestine Lefebvre, 8 et 6 ans. 
Ernestine Delestre, 10 ans.
Justine Barbey, Albertine Barbey et Victor Barbey, 12, 11 et 7 ans. Blond aux yeux gris, Victor fit la guerre de 14. Blessé et paralysée du bras droit, il fut réformé en 17. Il s'établit ensuite au Mesnil puis à Yville.
Marie Masson
, 8 ans, enfant de l'hospice élevée par Edmond Carpentier. 
Henri Dutas, 6 ans. Il cohabite sous le toit familial avec deux bureautins élevés par ses parents :  Madeleine Prosper, 11 ans et Alexandre Delaître, 10 ans. A l'Armée, Henri Dutas fut d'abord ajourné pour faiblesse, il fut brièvement mobilisé durant la Grande-Guerre avant de rejoindre Mustad où il était ajusteur. 
Albert Virvaux
, 10 ans, cohabite à la maison avec Marie et Eugénie Durand, 11 et 8 ans, enfants de l'hospice. 
Caporal, Albert n'avait pas d'affectation de guerre après son service, étant employé des chemins de fer de l'Ouest. Il ne sera pas mobilisé en 14, la vie l'ayant quitté au mois de février à Romilly, dans l'Eure.
Louise Mauger
, 10 ans, enfant de Victoire Egret, veuve Pierre Arthur Mauger et remariée en troisièmes noces avec Albert Colignon, carrier. Louise cohabite avec Jeanne Carlet, enfant de l'hospice. 
Le carrier Pierre Théroulde accueille aussi deux bureautins : 
Gaston Décamps, 8 ans et Laurent Poyer, 9 ans. Tous deux quitteront Yainville. Le premier, de petite taille sera jockey, domicilié à Neufchâtel. Forcément, il fera la Grande-Guerre dans la cavalerie où, sous-officier, il est cité à l'ordre de son régiment. Ensuite, il sera chaisier et mourra jeune. Le second s'établira à Campneuseville puis dans le Nord. Il fit aussi 14-18. Dans les années 20, il est condamné à Dieppe pour coups et blessures. La guerre a laissé des traces...
Eugénie Deshayes,
9 ans, le nouvel époux de sa mère est le carrier Sénateur Lenoir. 
Emile, 12 ans, Alphonsine, 10 et Polonyces Renard, 8 ans. 
Louise Rigault
, 7 ans, cohabite avec Isabelle Sainsaulieu, 12 ans, en pension chez les Rigault, 

Enfants de bateliers et marins...
Martine Chéron, 9 ans et Suzanne Chéron, 6 ans, sœurs de Marie Chéron déjà citée. Couturière, Marie tiendra plus tard le café du Passage où sera souvent organisée la Sainte-Madeleine. Couturière aussi, sa sœur Martine épousera un ingénieur norvégien de chez Mustad et mourra de tuberculose à Oslo.
Arsène Leféez, 6 ans. On le retrouvera marinier à Tancarville. Plusieurs fois blessé durant la guerre, il sera médaillé.
Marie Gosse, 12 ans.
Louis-Marie Mauger
, 9 ans, fils de Louis Mauger, marin.
Ernest Mauger, 13 ans, est domestique à la ferme Héricher. Il est le fils de Pierre Arthur Mauger. Il sera marinier, matelot sur le bac de Jumièges et participera à la Grande-Guerre.
Victor Agnès a 13 ans, et son frère Léon Agnès, 11. ils sont recensés comme passeurs d'eau bien qu'étant encore d'âge scolaire. Ce sont les fils d'Alexandre Agnès, passeur d'eau d'Yainville, qui bientôt sombrera dans une sordide affaire de mœurs. A 20 ans, Victor est domestique à Anneville. Il souffre de bronchite chronique, ce qui lui vaut d'être réformé. Mais il finit par être mobilisé en 1915 et rentrera en 19 avec la médaille Interalliée. Léon, a 20 ans, est quant à lui marin à Rouen. Il fera toute la guerre dans le Génie, localisé un temps à Madagascar, et rentrera avec la médaille de la Victoire. On le retrouve après-guerre à Yville.


Enfants de cultivateurs

Eugénie Prévost, 8 ans.
Charles Vigreux, 6 ans. Cheminot, sa profession lui vaudra de faire une guerre écourtée.
Albert Fial, 7 ans. Après une guerre dans le Génie, il sera gardien de la Paix à Rouen.
Alice Leroy, 10 ans, fille du marchand de fruits des Fontaines qui sera maire en 1904. Un truculent personnage dont parle Sacha Guitry et qui reprêche de temps à autre quelques noyés devant chez lui... 

Enfants de journaliers 
Alphonsine Magnac, 7 ans.
Louis Larchevêque, 8 ans, il vit chez sa grand-mère, Clémence Auvray, veuve Leroux, journalière. A 20 ans, Louis est d'abord domestique à Yainville. Puis son statut de cheminot lui épargnera la guerre. Mais il meurt à Sotteville en 17. Ecolier, Louis cohabite avec Octave-Clément Sainsaulieu, 7 ans, en nourrice chez la veuve. Natif d'Heurteauville, ce petit garçon a perdu sa mère voici trois ans et sa fratrie est éclatée entre plusieurs foyers. A 20 ans, il sera matelot à Heurteauville. Mais, borgne, il n'intéresse pas l'Armée. Sauf quand la guerre s'éternisera... Après l'Armistice, on le retrouvera à La Mailleraye.

Enfants de commerçants-artisans

Blanche Chauvin, 13 ans, ses frères Henri et Gaston Chauvin, 7 et 6 ans, enfants de cafetier chez qui logent nombre d'employés des carrières. Il y a là un atelier de maréchal-ferrant.
Charlotte Duboc
, 11 ans, petite-fille d'un maçon et d'une cultivatrice, les Frémont.

Emile Sainsaulieu, 11 ans, neveu du forgeron Albert Néel. A 20 ans, il est matelot à Heurteauville.  Inscrit maritime, il semble avoir échappé à la conscription. Ecolier, Emile cohabite chez son oncle avec deux bureautins : Marius et Jules Lecœur.
Adolphe Dorléans, 7 ans, son père est maçon, sa mère cordière. A 20 ans, il a embrassé la profession de son père. Puis il passe à la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest. Du coup, il fait la guerre comme brigadier reconnaisseur à Petit-Quevilly. Il y meurt en 1928.
Henri Bruneau
, 12 ans, fils du charpentier Aristide Bruneau, il sera conseiller municipal, tiendra le café de l'église et mourra à la guerre avec son frère Ernest, ici âgé de 8 ans. Leurs noms sont inscrits sur le monument aux morts.

Enfants d'ouviers-employés

Suzanne Lecointre, 6 ans, fille du chef de gare.
Eugène-Paul Cuffel
, 8 ans, fils du cantonnier. Il mourra en 1900.
Marie Mullot, 7 ans, enfant de l'hospice, élevée chez le cantonnier Eugène Lecoq.
Marguerite Mainberte, 10 ans, fille de mon arrière-grand-père Pierre Mainberte, alors bûcheron. Marguerite épousera Henri Bruneau, déjà cité. 
Robert Carielle
, 6 ans, petit-fils du bûcheron Louis Tellier. A 20 ans, il est matelot à Cherbourg. Au début de la guerre, il est maintenu dans les Douanes au Trait et finit par être mobilisé. Caporal, il est blessé en 17 et se retirera à Caudebec. Enfant, Robert cohabite avec Amable Eloy, 8 ans, enfant de l'hospice. A 20 ans, il y retournera. Mais comme comptable. Ce fils de père inconnu mais dont on connaît la mère se distinguera durant la guerre. Sous-officier d'infanterie, il sera plusieurs fois cité et décoré pour sa bravoure.


Divers

Blanche Lecoq, 10 ans, enfant de l'hospice placée chez Victoire Grain, veuve Duquesne. Blanche cohabite avec deux autre bureautines : Eugénie et Jeanne Lefèvre, 9 et 7 ans.

On aura remarqué le nombre d'enfants de l'Assistance placés dans les foyers yainvillais et qui constituent une activité lucrative subalterne. Ils sont plus d'une douzaine, sans compter tous ceux qui sont encore en bas-âge et leurs aînés qui ont quitté l'école. On observe par ailleurs que l'activité dominante d'Yainville est alors celle des carrières qui achèvent l'endiguement de la Seine avec une imposante flottille de gribanes. 

Laurent QUEVILLY.
Sources


Délibérations du conseil municipal d'Yainville, numérisées par Edith Lebourgeois.
Recensement de la population d'Yainville, 1891, Archives départementales.
Inscription maritime, Archives départementales.
Sacha Guitry en Normandie, Laurent Quevilly, BoD


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