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Mesnil-sous-Jumièges : vol à

Curé du Mesnil, Lefaucheur fut-il surnommé Lefauché du jour au lendemain ? Dans la nuit du 26 au 27 juillet 1791, on vola les objets du culte les plus sacrés dans son église. Cette profanation scandalisa le pays. Enquête avec ces messieurs de Caudebec...

Ce mercredi 27 juillet 1791, comme chaque matin, le jeune Philibert Thuillier, du haut de ses 16 ans, se rend à l'église Saint-Philibert pour y sonner l'Angélus. Il est six heures. Quand il découvre la porte de la sacristie forcée, celle du tabernacle aussi. L'autel est dans le plus grand désordre...

Derrière les pans de bois du presbytère, le curé du Mesnil coulait des jours heureux  avec sa bonne.
Alerté, le curé Lefaucheur rapplique aussitôt sur les lieux. Il est un peu plus de 7h. Dans le cimetière se trouve déjà Charles Lecointe, officier municipal, ainsi que plusieurs autres qui constatent les dégâts. Le maire est appelé pour dresser procès-verbal.

Tous cherchent à comprendre ce qui s'est passé. Les malfaiteurs auront fait sauter l'une des barres de fer qui obstrue la croisée de la sacristie. Après quoi, le carreau fut cassé et l'on passa la main pour tirer le verrou de la fenêtre.
Une fois dans la sacristie, les intrus ont ouvert et fouillé l'armoire aux ornements. Mais rien ne semble avoir disparu.. Du moins à première vue...
Il fallut sans doute une barre de fer aux voleurs pour arracher ensuite la serrure de la porte ouvrant sur l'église. Parvenus devant le tabernacle, ils en font sauter deux colonnes, détachent plusieurs statuettes mais les laissent sur l'autel. Puis ils forcent l'ouverture du tabernacle. Certainement avec un instrument à vis car on remarque des trous qui trahissent cet usage. Là, ils font main basse sur le ciboire en argent massif, sans oublier son enveloppe de couleur verte en tafta moiré à quatre côtés ainsi que le soleil, lui aussi en argent massif, qui s'adapte au pied du dit ciboire. Ce dernier contient des hosties. consacrées. Les profanateurs les jettent à la volée sur l'autel et les gradins. On en compte exactement vingt-six. Le soleil contenait aussi une hostie. Celle-là n'était pas consacrée. Elle a disparu avec son contenant.

On examine maintenant le cimetière et l'on retrouve une perche de pelard en chêne. Elle est longue de 14 pieds sur douze pouces d'épaisseur. On considère cette pièce de bois. Elle semble provenir de la vente de la forêt de Jumièges. A l'aide de cet instrument, les malfaiteurs auront fait sauter le barreau de la sacristie.

La justice est saisie


Dans l'herbe, on a retrouvé aussi la barre de fer ayant servi à forcer la porte de l'église ainsi que l'étui d'un calice ancien et  plusieurs bouts de cierge. Mais un détail intrigue nos enquêteurs : c'est ce petit cordon de padou noir retrouvé au pied de la croisée. De toute évidence, il provient du chapeau de l'un des cambrioleurs. Sa longueur est suffisante pour faire trois fois le tour d'un couvre-chef.

Il est huit heures du matin quand tout notre monde dresse un procès-verbal en double exemplaire. L'un d'eux parvient dans la journée au procureur du roi  siégeant au tribunal du district de Caudebec. Le 28 juillet, dressant un réquisitoire en forme de plainte, Guéret, l'accusateur public se jure d'arrêter les auteurs de ces "abominations" pour vol et profanation. Aussitôt, la machine judiciaire se met en marche...
La vierge à la pomme a tout vu.
Mais elle ne dira rien...
Les gendarmes enquêtent

Le 29 juillet, sur les ordres de leur lieutenant, M. de Cresté, deux gendarmes nationaux enfourchent leur cheval et quittent Caudebec. Parvenus à Jumièges, Jean Baptiste Jouan et Jacques Prévost questionnent les premiers venus. Tout le monde est au courant des faits. Voilà nos brigadiers  chez le curé du Mesnil. Là, Lefaucheur confirme le vol. Depuis le procès-verbal, il s'est rendu compte que, dans l'armoire aux ornements, manquaient une aube et un amict de grosse toile blanche brodée dans un coin des lettres "S" et "m" au fil de coton rouge.
Connaît-il les voleurs ? Non. Mais il fait venir une femme appelée par les gendarmes "de la Sassaine". La veille, elle a aperçu deux inconnus au Mesnil. L'un était vêtu d'une veste courte de couleur beige et portait de grandes culottes rayées de bleu.
L'autre avait une redingote brune. L'un de ces deux hommes était coiffé d'un chapeau rond et l'on se saisit comme pièce à conviction du petit ruban noir trouvé dans le cimetière. Elle sera versée au greffe du tribunal avec le procès-verbal des gendarmes.
Qui est cette femme qui décrit avec précision la vêture de ces deux hommes. Il s'agit sans doute de Marie Anne Sassaigne, la mère de la bonne du curé. veuve d'un certain Jean Fleury. On trouve alors quelques Sassaigne dans la presqu'île mais le berceau de cette famille est du côté de Mauny.
Convoqués à Caudebec

Le matin du 31 juillet, dépêché à Jumièges, Jérôme Le Cœur, huissier de l'Amirauté de Caudebec assigna les différents témoins à comparaître le lendemain lundi, trois heures de l'après midi, en la chambre du conseil.

Ce 1er août, Martin Louis Carel, juge du tribunal, est assisté de Pierre Adrien Julien, greffier. Ses adjoints sont Louis Nicolas Anquetil et Jacques Le Cœur. Comme le veut la procédure, on va entendre les témoins séparément.
Pierre Louis Lefaucheur, 43 ans, est le premier à comparaître . Lefaucheur est né à Rouen le 15 janvier 1748.

Vicaire de Saint-Maclou, chapelain de la duchesse de Gesvres, à la Vaupalière, très bon prédicateur, il obtint la cure du Mesnil par la protection d'André Marescot, vicaire général de Rouen, qui l'avait distingué.

La famille Marescot, famille de robe, était propriétaire de la plus grande partie du Mesnil et leur maison s'exposait avec insolence.

 Lefaucheur raconte tout ce qu'il a constaté ce fameux matin du 27 juillet  Mais ne fait aucune allusion aux deux étrangers aperçus la veille.
Après ce vol, le curé Lefaucheur fit les choux gras de la presqu'île. Le 10 décembre 1792, il fait son entrée au conseil municipal. Doutant de ses capacités, des habitants du Mesnil signèrent cependant une pétition contre lui. Le 23 Juillet 1794, il épouse sa bonne, Marie Anne Fleury ! Née le 24 février 1753 à Saint-Pierre de Manneville, elle avait d'abord épousé au Mesnil Nicolas Petit en 1771. Veuve, elle convole avec son curé à 38 ans. On ne lui connaît pas d'enfants. Au Concordat, Lefaucheur va continuer à dire la messe. L'archevêché s'y opposera et il faudra l'expulser de son église. Dès lors, il vivra de ses rentes et mourut au Mesnil sans avoir perdu l'habitude de réciter son bréviaire. 
Pierre Philbert Bucquet, le maire du Mesnil. 52 ans, dépose à son tour. Lui, il était 7h et demie quand Lefaucheur le fit mander à l'église afin de dresser procès verbal. Il y fut à 8h et remarqua ce que tout le monde avait vu avant lui. Bucquet indique que le curé renferma dans les fonts. les hosties éparpillées sur l'autel.
Nota : Bucquet s'est marié à Jumièges en 1786 avec Marie Magdeleine Rose Levillain.

Jean Baptiste Duparc, laboureur, 45 ans. Lefaucheur l'a fait mander lui aussi mais il était absent et ne rentra chez lui qu'à 9h. C'est alors qu'il rejoignit l'église pour constater le vol. Au sortir du temple, on trouva dans le cimetière les instruments ayant servi au vol ainsi que l'étui, les bouts de cierge, le fameux ruban.

Jean Jacques Bouvier, laboureur de 42 ans, fut appelé par le maire. Sa déposition ne diffère pas des autres. La barre de fer trouvée dans l'herbe, précise-t-il, était ployée.
NB : originaire d'Hauville, Bouvier est l'époux de Marie Madgeleine Durand.

Philbert Thuillier, 16 ans, habite chez son père Pierre, couvreur en chaume. C'est lui qui a découvert le vol. C'est lui qui, à la demande du curé, est allé chercher les autres officiers municipaux et les notables afin de dresser procès-verbal.

Pierre Alleaume, laboureur, 38 ans, a rejoint le groupe en 9h et demie et 10 h. On finissait alors de rédiger le procès-verbal qu'il signa pour avoir constaté les faits rapportés.

Charles Lecointe, laboureur, 62 ans, a entendu Philbert Thuillier crier qu'on avait volé l'église. Il était entre 6h et demie et 7h. Lecointe accourut sur le champ et fit les premiers constats à l'intérieur de l'église. C'est aussi lui qui découvrit les objets dans le cimetière.
NB  : Lecointe est originaire d'Yville et l'époux de Anne Elisabeth Mabon.

Il ne résulta rien de l'information. Et l'on ne découvrit jamais les voleurs.

Quelques mots sur l'église...

Une église Saint-Philibert est attestée au Mesnil en 1147. L'édifice dans lequel se déroula ce fait-divers datait du XVIe siècle. Sa nef avait été reconstruite à partir de 1710.

En 1795, lors du partage du mobilier de l'abbaye de Jumièges, le curé du Mesnil choisit pour son église un Saint-Jean, une Sainte-Vierge et le Christ qui était sur la grille du choeur et règne aujourd'hui sur la poutre de gloire. Mais que sont devenues les deux premières statues. Louis-Marie Michon s'interroge : "Ces pièces, aujourd'hui inconnues au Mesnil, ont dû, à une certaine époque, faire retour à Jumièges"

 L'église connaît une première tranche de travaux de 1851 à 1860 sous la houlette de l'architecte Martin. Elle concerne le chœur et le transept.
Une seconde touche, en 1878, la nef et le clocher-porche sur des plans d'Alfred Frégard. Parmi les trésors de l'église : une vierge à la pomme du XVe siècle en bois polychrome, un bas-relief dit Dormination et couronnement de la vierge, daté du XVIe siècle.


Annexe : le procès-verbal du Mesnil


L'an mil sept cent quatre vingt onze, le mercredi vingt sep juillet, sur les huit heures de matin, nous maire, officiers municipaux et notables de la paroisse du Mesnil-sous-Jumièges soussignés réunis en l'église de la dite paroisse, présence de Monsieur Le Faucheur curé de la ditte paroisse qui nous a fait prévenir ce matin qu'ayant été averti par un petit garçon nommé Philbert Thuillier qui venoit comme à son ordinaire sonner l'angélus s'étant aperçu qu'il s'étoit arrivé dans la nuit dernière différentes fractions à la ditte église, le dit sieur curé s'y étant dans l'instant transporté a reconnu la vérité des désastres affreux qui sy étoient passés et en voici les faits.

Premièrement

Etant entrés les malfaiteurs dans le cimetière munis d'un perche de bois de chêne en plard de près de quatorze pieds de long sur douze pouces de grosseur, laquelle nous a paru sortir de la vente de la forêt de Jumièges, paroissant qu'avec icelle ils ont empesés (?) arraché une barre de fer du nombre de celles de la croisée de la sacrastie (sic) de quatre pieds de long sur dix lignes en quarré que nous avons retrouvée dans l'herbe du cimetière après s'être introduits dans la sacrastie ont avec ferments arraché la serrure de la porte pour entrer dans l'église s'étant adressés au tabernacle où ils ont fait sauter deux colonnes après encore avoir détaché plusieurs petites statues qui environnaient le tabernacle, les ont laissées sur l'autel puis avec un instrument à visse ont ouvert et forcé la serrure du tabernacle, les vols qu'il s'en sont suivis sont les suivants

Scavoir

Dans le tabernacle ils ont pris le ciboire en argent massif avec son enveloppe de couleur verte en taffeta moiré à quatre cotés, la tête du soleil aussi en argent qui s'apdate au pied du dit ciboire, ses scéléras non comptants d'avoir volé les objets cy dessus mentionnés ont ouvert le ciboire, étant ajouté la profanation à leur vol en jetant les hosties consacrées que nous avons retrouvées dispersées sur l'autel au nom de vingt six finalement avons retrouvé encore dans l'herbe du cimetière l'étuit du calice ancien, avec plusieurs bouts de cierges, de plus au bas de la ditte croisée ou a été commis le délit avons trouvé un cordon de padou noir qui paroit provenir du chapeau des délinquants, il nous a encore paru, les portes des armoires étant ouvertes renfermant les ornements ils avoient fouillé sans nous être aperçus qu'ils ayient rien pris, + puis ont cassé un carreau de la croisée pour passer la main et tirer le verout dont dutout avons dressé notre présent procès verbal pour être adressé à Monsieur le procureur du Roy du tribunal du district de Caudebec pour par lui être ordonné ce qui appartiendra fait et arrêté double les jours et an susdits approuvé  trois mots rayés nuls et un mot en interligne.  Le Cointe officier, J Bste Marc, Pierre Alleaume officier, Jacques Bouvier, De la meterie, P Le faucheur curé , Etienne Duparc, greffier, Bucquet maire, Guéret etc.


Sources


 AD76, L5759, document numérisé aux archives départementales par Jean-Yves et Josiane Marchand, transcription Laurent Quevilly
Le Patrimoine de la Seine-Maritime, Flohic.