weber et marx
notes critiques sur un dialogue implicite
MICHAEL LOWY
On dit habituellement que L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme de Weber est un dialogue avec le fantôme de Marx, c'est-à-dire, dans un . certain sens, une réfutation du matérialisme historique. Les positions de Marx et de Weber sont fréquemment résumées dans les termes suivants : pour Marx, toute tentative d'expliquer le rationalisme occidental devra admettre l'importance fondamentale de l'économie, et tenir compte, avant tout, des conditions économiques ; pour Weber, par contre, l'esprit du capitalisme ne saurait être que le résultat de certaines influences de la Réforme.
Le problème est clair et les différences entre les deux thèses sont évidentes ; mais il y a un petit fait qui détruit la belle harmonie de ce tableau clair et évident : ce que nous avons présenté ci-dessus comme le « résumé » de la conception de Marx est une citation littérale de... Max Weber ! Dans son introduction aux Gesammelte Aufsdtze zur Religionssoziologie (1920) -dont le premier volume inclut L'Ethique Protestante — Weber écrit : « Il s'agira donc, tout d'abord, de reconnaître les traits distinctifs du rationalisme occidental et, à l'intérieur de celui-ci, de reconnaître les formes du rationa-^ lisme moderne, puis d'en expliquer l'origine. Toute tentative d'explication de cet ordre devra admettre l'importance fondamentale de l'économie et tenir compte, avant tout (vor allem), des conditions économiques » (1). Et ce n'est pas tout : ce que nous avons présenté comme le « résumé » de la conception de Weber est en réalité une thèse qu'il considérait « déraisonnable et doctrinaire » ; je cite :
« D'autre part, il est hors de question de soutenir une thèse aussi déraisonnable et doctrinaire, qui prétendrait que "l'Esprit du capitalisme"... ne saurait être que le
(1) Max Weber, L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme, Paris, Pion, 1964, p. 25. Cf. Max Weber, Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie, Tubingen, J.C.B., Mohr, 1920, p. 12.