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Serge Latouche, La planète des naufragés. Essai sur l'après-développement, Paris, La Découverte, (Coll. « Essais »), 1991

[article]

Année 1992 104 pp. 144-145
Fait partie d'un numéro thématique : Anthropolgie de l'espace habité
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Serge Latouche, La planète des naufragés. Essai sur l 'après-développement, Paris, La Découverte, coll. Essais, 1991, 235 p. .

Serge Latouche est un iconoclaste. Ses idées dérangent et, par là, sont à même de jouer un rôle décapant et salvateur sur les scientifiques englués dans l'exploitation de la parcelle particulière de réalité qu'ils retournent laborieusement sans plus se poser de questions. Questions sur les fondements mêmes de la nature humaine, de son activité, et de sa finalité et aux obscurs détournements dont celles-ci ont fait l'objet et qui ne nous sont plus perceptibles. On peut ne pas être d'accord avec les thèses qu'il défend, mais on doit lui reconnaître le mérite de souligner le caractère à la fois actuel, permanent, mais occulté, des interrogations essentielles qu'il pose.

Dans un monde que l'utilitarisme et l'économisme, propres à la civilisation matérialiste occidentale, ont tendu à uniformiser de plus en plus (à "occidentaliser", thème du précédent ouvrage de Serge Latouche), le salut ou du moins l'idée de ce que sera ou pourra être notre avenir, doit être recherché dans les solutions, les adaptations, les inventions qu'ont dû y trouver et mettre en œuvre les exclus du système. Car la formidable machine à uniformiser est aussi une machine à exclure. L'uniformisation des cultures et des modes de vie va de pair avec la différenciation des niveaux de vie.

Or "l'économie n'est pas une réalité naturelle, c'est une invention historique et culturelle". Ayant été désenchâssée du social dans la civilisation matérielle, technique et utilitariste occidentale, elle a tendu à subvertir toutes les dimensions de la culture. Le calcul utilitaire a perverti le jeu, l'art, les sentiments, les croyances. L'analyse de ces débordements monstrueux de l'économisme débouche sur la démonstration de contradictions qui, rejoignant des débats très actuels, nous conduit à penser que loin d'être l'aboutissement de l'Histoire, cette civilisation court à sa perte. Et c'est seulement chez les naufragés de la grande société, chez les exclus du système, dans cette nébuleuse de l'informel où la pratique économique reste profondément enchâssée dans le social que l'on peut essayer de lire les prémisses de ce que pourrait être l'après-développement, puisque c'est un véritable laboratoire des avenirs possibles.

Dans sa description des deux planètes, celle de l'utilitarisme, de l'uniformisant et de l'occidentalisant et celle des exclus, Serge Latouche réactualise des thèmes que l'on avait eu tendance à ranger dans le rayon des antiquités et qui firent les riches heures de l'anthropologie économique : l'imbrication de l'économique et du social, l'ambivalence des concepts, structures et comportements dans les sociétés en transition vers et en articulation avec la "grande société", les obstacles qui s'interposent... Il y a une vingtaine d'années, j'avais moi-même interprété les blocages socio-culturels, non pas comme de simples obstacles dus à la survivance des traditions, mais bien comme des manifestations de résistance à la domination ; cependant la permanence et la gravité des crises qui se sont succédé depuis la fin des "30 glorieuses" avaient précipité les sociétés traditionnelles - en définitive sans transition - dans une économie marchande généralisée où elles s'étaient déstructurées. Serge Latouche vient nous dire que ces résistance n'ont pas disparu. Elles ont réussi à prendre racine ailleurs, chez ces naufragés ; il faut les aider à prospérer car c'est la médication salvatrice. Vingt ans après, je sais gré à Serge Latouche de m'avoir permis de retrouver ces racines que j'avais quelque peu oubliées. Et je crois que l'un des grands mérites de cet ouvrage est là, en dépit de passages parfois contestables, superficiels ou trop rapides. On sort du livre autre. Certes le quantificateur de l'informel et le mesureur des niveaux de vie que je suis ne jettera pas pour autant son tablier, mais il poursuivra sa route avec des yeux quelque peu dessillés et une vision renouvelée.

Certains pourront reprocher - à juste titre - un optimisme un peu candide sur certains aspects de l'informel. Mais on ne peut que lui accorder que l'afro-pessimisme prend sa source dans la faillite de l'Afrique "officielle" ; l'Afrique réelle que l'on donne perdante sur toutes les échelles de mesure du progrès, qu'il s'agisse du PNB par tête ou

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