Le sociologue et les acteurs :
épistémologie, éthique
et nouvelle forme d'engagement *
Philippe CORCUFF
Distanciation ou engagement ?
En France, les mouvements sociaux de novembre- décembre 1995 ont fourni l'occasion de relancer l'engagement civique d'universitaires et de chercheurs en sciences sociales. Est- ce qu'une nouvelle forme d'engagement a pu ou pourrait émerger dans ce sillage ? Dans quelle mesure les sciences sociales, que ce soit dans le cadre intérieur autonome de leurs métiers, ou/et à l'extérieur, dans des considérations sociales, politiques, éthiques plus larges, peuvent-elles trouver des points d'appui pour un tel engagement ? Autonomie ou hétéronomie ? Ce sont ces questions qu'on voudrait commencer à clarifier ici, en traçant quelques pistes.
On mènera cette réflexion exploratoire, en essayant, pour reprendre des catégories de Norbert Elias lt de dialectiser l'engagement et la distanciation, dans les relations entre sciences sociales et intervention civique. Cette dialectisation sera notamment liée à des modèles idéaux-typiques de rapport à l'engagement déjà testés historiquement, et par rapport auxquels une éventuelle figure déplacée peut être amenée à se situer.
* Ce texte est la version retravaillée de ma communication au colloque « La sociologie est-elle un humanisme ? Politique, objectivité et sciences sociales », organisé par l'Institut de sociologie politique de l'université de Lausanne, les 29 et 30 mai 1997. Il a bénéficié, par rapport à la version initiale, des débats du colloque. Je remercie en particulier Bernard Voutat, grand organisateur de cette rencontre.
1. Norbert Elias, Engagement et distanciation — Contributions à la sociologie de la connaissance, trad, fr., Paris, Fayard, 1993 [1983].
L'Homme et la Société, n° 131, janvier-mars 1999
