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Front républicain (Ve République)

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Sous la Cinquième République française, le terme de « front républicain » désigne le rassemblement, lors d'une élection, de partis politiques de droite et de gauche contre le Front national (FN), considéré par ceux-ci comme un parti d'opposition au régime républicain.

Ce concept tire notamment ses origines de la coalition du Front républicain de 1956. Il est diversement appliqué depuis l'apparition du FN et davantage ancré à gauche qu'à droite, la droite de gouvernement ayant parfois passé des alliances locales avec l'extrême-droite. La droite justifie notamment sa stratégie face au FN en invoquant les alliances symétriques des socialistes et des communistes.

Le second tour de l'élection présidentielle de 2002 est considéré comme le point culminant de la stratégie de front républicain.

Définition

Le front républicain se réclame de la défense du régime républicain, ici représenté par un buste de Marianne, face au Front national (logo ci-dessus).

Le terme désigne le rassemblement, lors d'une élection, de partis politiques de droite et de gauche au second tour ou lors de l'élection des exécutifs pour faire barrage à une victoire du Front national (FN)[1], considéré dans cette configuration comme un parti d'opposition au régime républicain[2]. On parle aussi d'« arc républicain »[3],[4]. Pour le chercheur Joël Gombin, il s'agit d'« une arme dans le jeu politique mobilisée par les uns et les autres en fonction des intérêts de chaque formation. Elle n’a pas de valeur analytique ou scientifique réelle »[2]. La question de l'adhésion du FN au régime républicain ne fait pas l'unanimité parmi les universitaires[2],[5],[6].

La stratégie alternative dite du « cordon sanitaire » ou de la « digue républicaine »[7],[8],[9] « consiste à refuser l'inclusion des partis d'extrême droite dans les majorités de gouvernement local, régional et national ainsi qu'à ne pas appeler ses électeurs à reporter leurs voix » sur le FN[10].

Historique

L'historien Nicolas Lebourg et les politologues Pascal Perrineau, Philippe Braud, Joël Gombin et Marc Crapez[11] estiment que la stratégie du front républicain ne fait l'objet d'aucune tradition alors qu'elle est couramment présentée comme telle. Pour Nicolas Lebourg, « il y a en fait diverses tactiques et divers temps face au FN »[12]. Pour Pascal Perrineau, « c'est un concept fluctuant, qui fonctionne assez mal. Il est plus ou moins appliqué selon les enjeux, les aléas politiques et les situations locales »[13]. Pour Philippe Braud, le front républicain est un concept qui « a une fausse longue histoire » et qui n'a jamais été « enraciné »[14]. Pour Joël Gombin, le front républicain a « toujours été à géométrie variable. Il faut sortir de la mythologie selon laquelle ces alliances auraient fonctionné à tous les coups, ce n’est pas vrai »[2].

Origines

La plupart des observateurs font remonter ses origines au Front républicain de 1956, une coalition électorale de centre gauche nouée en France à l'occasion des élections législatives de janvier 1956 afin de contrer le mouvement poujadiste et de trouver une issue à la guerre d'Algérie[15],[16],[17],[18]. Le politologue Laurent Bouvet et l'historien Jérôme Grondeux renvoient également à l'antifascisme des années 1930[19],[20]. L'historien Nicolas Lebourg fait aussi référence à ce dernier mais comme partie intégrante, à partir de la crise du 6 février 1934, de la « discipline républicaine », une tradition plus ancienne qui s’est imposée au sein de la gauche durant la Troisième République et consistant à soutenir au second tour la formation la mieux placée à l’issue du premier tour[12]. Philippe Braud relie quant à lui le front républicain à la « défense républicaine » des premiers temps de la Troisième République, une formule visant à conclure une alliance électorale la plus large possible (des conservateurs républicains aux socialistes) pour faire barrage aux candidats monarchistes ou bonapartistes, à une époque où le régime était encore mal assuré de sa pérennité[14],[19]. Philippe Braud ajoute que « ce type d’alliance « Tous contre un » a joué plus tard au détriment du Parti communiste, entre 1947 et 1962 », du fait de son allégeance inconditionnelle à l'URSS[14]. Enfin, Marc Crapez affirme que le front républicain est contraire à « la principale position républicaine dans l’histoire de France » qui consiste à faire barrage à l'extrême droite comme à l'extrême gauche — évoquant notamment « la politique de concentration républicaine de Jules Ferry » et le Front républicain de 1956 — et qui a été « battue en brèche, sous la pression idéologique de l’extrême gauche, à plusieurs reprises, et notamment au début du XXe siècle par la politique de bloc républicain sous le combisme, puis de 1986 à 2006 par le chiraquisme »[11].

Avant la Cinquième République, les républicains du centre et de la droite ne sont implicitement pas compris dans ce rassemblement des « forces républicaines ». Les gaullistes du Rassemblement du peuple français (RPF) sont, sous la Quatrième République, eux aussi perçus comme une menace et se voient alors dénier l'appartenance à l'arc républicain. Pour Jérôme Grondeux, « tout cela a bien sûr laissé des traces, et a rendu difficile de se proclamer du principe du front républicain sans être soupçonné de nourrir des arrière-pensées »[14],[19].

Selon Jérôme Grondeux, « l’idée de front républicain entre en sommeil dans les années 1960. Les institutions de la Cinquième République, surtout à partir de 1962, et le système du scrutin majoritaire pour les élections législatives ont rendu plus structurant que jamais le fossé entre droite et gauche. Quand bien même les modérés de chaque camp ne sont au fond pas très éloignés, ils sont tenus avant tout de s’ancrer dans leur camp. De plus, jusqu’aux années 1980, l’extrême droite est sans expression électorale forte, et, jusqu’aux mêmes années, le socialisme est bien davantage la référence des gauches que la République[19] ».

Une stratégie inverse de 1977 à 1986 : l'alliance des droites

Lors des élections municipales de 1977, des membres du FN, le plus souvent d'anciens militants de l’Algérie française, participent à quelques listes des Républicains indépendants dans le Sud[21]. Lors des élections municipales de 1983, une liste réunissant centristes, chiraquiens et lepénistes l'emporte à Dreux : l'alliance, largement soutenue à droite, est publiquement approuvée par Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing, Alain Juppé, Michel Poniatowski, Jean-Claude Gaudin, Bernard Pons ou encore Claude Labbé. Seuls Simone Veil et Bernard Stasi manifestent leur désapprobation[1],[12],[21],[22]. C'est pourtant à cette occasion que se forge le principe du front républicain d'après le politologue Pascal Perrineau[13], ou qu'il resurgit aux yeux de son confrère Philippe Braud[14]. Le 9 septembre 1983, Michel Rocard, alors ministre de l’Agriculture, et Pierre Juquin participent à une manifestation à Dreux même « pour la démocratie »[19].

C'est ainsi à partir de l'année 1983 que les ententes électorales entre le FN et la droite modérée, qui se limitent à la gestion des collectivités locales, sont justifiées ou relativisées par les dirigeants de cette dernière en invoquant l’alliance gouvernementale et « idéologique » des socialistes avec le PC, plus rarement en reprenant le thème du barrage à opposer au communisme : « alors que l’URSS existe encore et que personne ne pense qu’elle n’a pas dix ans à vivre, les hommes politiques de droite estiment souvent qu’on ne peut leur reprocher un rapprochement plus épisodique avec les gens du FN »[19],[23].

Charles Pasqua est l'un des principaux défenseurs de l'alliance des droites jusqu'en 1986.

Cette stratégie d'alliance des droites est défendue en particulier par Charles Pasqua, dont la garde rapprochée est composée d’anciens militants d’extrême droite, et qui déclare à l'occasion des municipales de 1983 : « Dans un contexte donné, il peut apparaître indispensable, nécessaire à nos instances locales, d’intégrer des représentants d’une liste qui vient de faire un certain nombre de suffrages, même si cette liste est dirigée par des éléments d’extrême droite ». Quelques mois avant les européennes de 1984 (où le FN dépasse les 10 %), Pasqua et Le Pen, qui se rencontrent souvent, envisagent le lancement d’un « appel », signé par leurs proches, à une « alliance » entre le RPR et le FN, mais ce projet est finalement abandonné. Lors des cantonales de 1985, plusieurs candidats FN sont soutenus en sous-main par Pasqua et ses hommes, notamment Marie-Caroline Le Pen dans le canton de Neuilly-sur-Seine-Nord face à Nicolas Sarkozy. La même année, Jacques Chirac déclare au Quotidien de Paris : « Le Pen n’a pas les mêmes idées que moi, mais ce n’est pas un fasciste »[21],[24]. En 1986, il accepte l’alliance conclue lors des régionales entre le FN et Jean-Claude Gaudin en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, et propose un programme aux législatives qui s'avère proche de celui du FN. D'après Jean-Marie Le Pen, cette stratégie « n’était pas dénuée d’arrière-pensées, comme Mitterrand avec le PC. Pasqua, qui ne manque ni de finesse ni de malice, a souvent joué double jeu[21] ».

Du « cordon sanitaire » au front républicain (1986-2010)

Des alliances encore ponctuelles à droite (1986-1998)

Jacques Chirac met en place un « cordon sanitaire » contre le FN à partir de la première cohabitation.

La stratégie dite du « cordon sanitaire » se met en place lors de la première cohabitation, avec le refus officiel d’alliances à droite, tant de la part de Jacques Chirac — qui renonce à son programme et à sa ligne « droitière »[21], et demande à sa majorité de ne pas adresser la parole aux parlementaires frontistes élus grâce au scrutin proportionnel[22] — que de Jean-Marie Le Pen[12], dont la déclaration du 17 septembre 1987 — « Je n'ai pas étudié spécialement la question mais je crois que c'est [les chambres à gaz] un point de détail de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale » — remet en cause tout rapprochement avec le FN. L'affaire Malik Oussekine (fin 1986) joue également un rôle dans cette évolution[21]. D'après Marc Crapez, la nouvelle position de Jacques Chirac à partir de 1986 lui a « été dictée par les intellectuels de gauche » et consiste « même à faire élire des communistes contre des candidats frontistes »[11]. Pour Mathias Bernard, « l'une des clefs du détachement de la droite et de l'extrême droite au cours des années 1990 » réside dans « la rupture entre socialistes et communistes (juillet 1984), la chute du « bloc de l'Est » (1989-1991) et le déclin électoral du PC », qui « diminuent considérablement la force de l'argumentaire anticommuniste »[23].

En 1986 également, Laurent Fabius évoque quant à lui la possibilité d'un désistement républicain contre le FN en vue de la préparation des élections législatives, mais l'idée est peu reprise[25].

L'alliance électorale des droites continue malgré tout d'être évoquée par certains élus RPR, alors que le thème de l'immigration commence à être politisé au sein du RPR au tournant des années 1990[22]. Après les élections régionales de 1986, plusieurs régions (PACA notamment) sont cogérées par la droite et l’extrême-droite[2]. Au printemps 1987, Jacques Chirac convoque Alain Juppé, Michèle Barzach et Alain Carignon, qui approuvent la position anti-FN de Michel Noir, pour leur signifier qu'il privilégie la stratégie de Charles Pasqua en vue de la présidentielle de 1988. Lors de l'entre-deux-tours, Pasqua affirme que le RPR et le FN partagent des « valeurs communes »[21],[26]. Lors des législatives de 1988, un accord de désistement mutuel est mis en place entre RPR, UDF et FN contre le PS en région PACA[2]. La même année, Chirac impose à Pasqua de cesser toute relation avec le président du FN en 1988. Ce dernier estime que « Chirac était « tenu » et qu’il a toujours été en connivence avec Mitterrand, qu’il a fait élire en 1981 avant que Mitterrand ne lui rende la pareille en 1995 »[21]. En 1991, les partis nationaux condamnent officiellement toute alliance de leurs candidats avec le Front national[19].

Pendant la période où Jacques Chirac et Alain Juppé dirigent conjointement le RPR, l’un à sa présidence et l’autre au secrétariat général entre 1988 et 1995, et lors des deux premières années de mandat de Jacques Chirac à la présidence de la République (1995-1997), pendant lesquelles Alain Juppé cumule la fonction de Premier ministre avec la direction du RPR, les deux hommes ont pour consigne de renvoyer dos à dos gauche et FN en cas de second tour, ce qui conduit par exemple Alain Carignon à subir une procédure d’exclusion en juin 1990 lorsqu'il appelle à voter pour le PS à l’occasion du second tour d’une cantonale partielle à Villeurbanne[27]. En mai 1995, Henri Emmanuelli rejette l'éventualité d'un désistement républicain contre le FN, avant de revenir sur sa position au soir du premier tour de l'élection présidentielle. « Ce même soir, Philippe Séguin évoque également un possible « front républicain », afin de constituer une alliance entre tous les partis parlementaires, pour éviter la conquête de mairies par l'extrême droite » lors des élections municipales de juin[25].

Lors de ces élections, le mouvement gaulliste, sous la direction de Jean-François Mancel, rejette le front républicain, tandis que l'UDF et le PS souhaitent examiner au cas par cas l'application de cette éventualité. Le 21 juillet 1995, Martine Aubry appelle dans Le Monde à « se méfier de l'idée de front républicain. [...] il faut se garder de toute stratégie politique qui donnerait le sentiment que les différences entre ce que propose la droite et ce que nous voulons entreprendre sont, en définitive, minimes, et que, dans le fond, la droite comme la gauche se satisfont peu ou prou de la société dans laquelle nous vivons ». Le politologue Bruno Villalba estime que c'est sur cette ligne que, « surtout à partir de septembre 1996, cette stratégie sera globalement abandonnée par le RPR, l'UDF, le PCF et le PS ». Néanmoins, « comme le montre l'élection législative partielle de Gardanne (octobre 1996), les chefs de file locaux de la droite (comme Jean-Claude Gaudin [...]) affichent leur préférence de voir élire un député communiste plutôt que de favoriser l'implantation du Front national »[25].

En 1997, Charles Pasqua déclare que « les dirigeants du Front national » sont « plus près » des « fascistes » que « d'autre chose », et qu'ils « ne sont pas des républicains »[26]. La même année, le député RPR du Val-d'Oise Jean-Pierre Delalande, député RPR du Val-d'Oise menant un groupe d'études sur le FN, présente ses conclusions aux membres du bureau politique du RPR, parmi lesquelles figure un rejet du front républicain[28].

Marginalisation du FN et acmé du front républicain (1998-2010)

Lors des élections régionales de 1998, le FN propose un contrat d’alliance aux droites sur un programme a minima rédigé par Bruno Gollnisch et accepté dans plusieurs régions[12] : alors que seulement 36 % des sympathisants de droite souhaitent des accords locaux avec le FN à ce moment[29], Jacques Chirac condamne cette attitude et les six têtes de liste en cause démissionnent successivement[27]. Édouard Balladur avait de son côté envisagé un « pacte » avec le FN lors de ces élections, qui marquent le tournant de l’histoire des relations entre la droite de gouvernement et le FN pour de nombreux observateurs, dont Jean-Marie Le Pen : « si Chirac n’avait pas mis tous ses moyens dans la balance, la droite aurait plié en 1998, et les relations avec le FN se seraient normalisées »[21]. Ces élections servent d'illustration à Pascal Delwit, Jean-Michel De Waele et Andrea Rea pour souligner que contrairement à la Belgique où un cordon sanitaire a été mis en place contre le Vlaams Belang, « une dynamique d'union contre le Front national n'a pu se réaliser en France où le clivage gauche/droite est à ce point rigidifié qu'il empêche de penser une coalition contre le FN »[30]. Au contraire, Pascal Perrineau considère que « le choc de 1998 entraîne un renforcement de la stratégie de front républicain »[1].

Des pancartes lors de la manifestation du 1er mai 2002 à Paris.

L'utilisation la plus célèbre du front républicain a lieu lors de l’élection présidentielle de 2002, lors de laquelle l'ensemble des candidats échouant au premier tour, à l'exception d'Arlette Laguiller[13], mais également la société civile et médiatique, appellent largement et avec succès « à faire barrage », voire plus explicitement à voter pour Jacques Chirac au second tour du scrutin contre Jean-Marie Le Pen[Note 1]. Le comportement de la gauche à cette occasion s'inscrit dans une longue tradition de barrage à l'extrême droite[27], tandis que Jacques Chirac fait allusion, durant l'entre-deux-tours, à son refus de toute alliance avec le FN[13]. Jérôme Grondeux relève l'aspect inédit du front républicain observé lors de cette élection : « Venue de la gauche, l’idée de front républicain profite exclusivement à la droite au second tour : pour la première fois, ce sont les projets politiques des socialistes que le Front national contrarie »[19]. Cette stratégie est illustrée par les affichettes des Jeunes socialistes « Votez escroc, pas facho » qui évoquent les affaires du mandat présidentiel de Jacques Chirac, choix qui sera par la suite diversement commenté[31],[32]. À gauche, les électeurs de Noël Mamère sont proportionnellement ceux qui se reportent le plus au second tour (84 %) sur la candidature de Jacques Chirac ; à droite, il s'agit de ceux de Corinne Lepage (96 %). En revanche, les électeurs de Bruno Mégret, Jean Saint-Josse (73 %), Robert Hue (77 %), Jean-Pierre Chevènement et Olivier Besancenot se reportent plus faiblement que l'ensemble de l'électorat sur le président sortant. Par ailleurs, les femmes sont nettement plus nombreuses que les hommes à avoir choisi ce dernier (89 % contre 74 %) ; tandis que les ouvriers et les travailleurs indépendants ont moins massivement rejeté le candidat FN que les autres groupes professionnels[33]. Enfin, la constitution d’un front républicain unissant la gauche et la droite au deuxième tour des législatives est plus souvent approuvé par l'électorat féminin que par l'électorat masculin[34].

À Hénin-Beaumont (hôtel de ville ci-dessus) se constituent, pendant la seconde moitié des années 2000, de rares cas de fronts républicains auxquels participe l'UMP en soutien de candidats de gauche.

Jérôme Grondeux estime que durant les années 1990 et 2000, « la droite ne revendique pourtant pas le « front républicain », qui n’est pas dans son héritage. Elle le subit en quelque sorte »[19]. De son côté, Pascal Perrineau affirme qu'« une véritable culture du front républicain s'installe » après la présidentielle de 2002 : « la droite républicaine campe sur son refus de tout compromis direct ou indirect avec le Front national aux élections régionales de 2004 »[1]. Lors des législatives de 2007, un front républicain se constitue dans la quatorzième circonscription du Pas-de-Calais : seul le Mouvement pour la France n'appelle pas à voter en faveur de l'adversaire socialiste de Marine Le Pen ; celle-ci reçoit également le soutien de Paul-Marie Couteaux[35]. Lors des élections municipales partielles de 2009 à Hénin-Beaumont, la liste de Steeve Briois fait de nouveau face à un front républicain en soutien de celle du candidat divers gauche et républicain. L'UMP soutient notamment cette position par un communiqué officiel. Nicolas Sarkozy souhaite cependant que l'appel au front républicain soit écarté au profit d'une « consigne de vote pour un candidat républicain », quand Valérie Pécresse et Gérard Longuet font état de positions plus nuancées[36].

Retour au « ni-ni » de la droite face au regain du FN (2011-)

Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé imposent la consigne du « ni-ni » à l'UMP lors des cantonales de 2011.

Après un affaiblissement du FN à l'échelon local pendant les années 2000[27], celui-ci connaît un regain dans les urnes aux élections régionales de 2010[1]. Les cantonales de 2011 voient Nicolas Sarkozy, président de la République, et Jean-François Copé, secrétaire général de l'UMP, imposer la règle du « ni FN ni PS au deuxième tour » — ce dernier s'est montré favorable à cette consigne dès 1999[37]. L'UMP justifie notamment cette ligne par les alliances du PS avec le Front de gauche[38],[39]. D'après Pascal Perrineau, « cette rupture est révélatrice non seulement de la pression électorale que le Front national fait peser sur l'UMP, mais aussi des glissements idéologiques que cette dernière a enregistrés sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy »[1]. La presse évoque également un revirement, tandis que le Premier ministre François Fillon et les centristes en appellent quant à eux au front républicain. Le FN emporte plusieurs victoires à l'occasion de ces élections, puis des législatives de 2012[27],[40]. L’utilité de ce « front républicain » est donc d'autant plus remise en cause que ses électeurs font de moins en moins barrage, soit en votant contre les recommandations des partis de gouvernement, soit en s'abstenant[41],[42]. De son côté, le Nouveau Parti anticapitaliste appelle ses électeurs à voter pour « le candidat de gauche lorsqu'il reste en lice contre le Front national » au deuxième tour des cantonales de 2011, mais s'oppose à l'idée d'un front républicain, qui impliquerait de voter UMP contre le FN[43].

Ni Valérie Pécresse, ni Nathalie Kosciusko-Morizet, qui appellent publiquement à voter PS en cas de duel au second tour entre le PS et le FN, ne sont exclues de l'UMP alors qu'elles divergent de la consigne nationale[27]. Il en est de même pour Roland Chassain, qui se désiste au profit d'une candidate du Front national lors des législatives de 2012 pour faire barrage au socialiste Michel Vauzelle, alors que Jean-François Copé avait annoncé qu’il demanderait son exclusion au bureau politique de l'UMP[44],[45].

En mars 2013, lors de l'élection législative partielle dans la deuxième circonscription de l'Oise, la candidate FN, si elle échoue au second tour, gagne 6 000 voix entre les deux tours contre 2 885 pour le vainqueur, Jean-François Mancel. Entre 40 et 43 % des électeurs socialistes au premier tour se seraient reportés sur la candidate frontiste au second tour[46]. En juin 2013, lors de l'élection législative partielle dans la troisième circonscription de Lot-et-Garonne, la forte progression du candidat FN entre les deux tours fait dire à Marine Le Pen que « le soi-disant "front républicain" est mort »[47]. Pour Joël Gombin, dans la mesure où « la distance idéologique entre l’extrême-droite et l’UMP est plus réduite qu’elle ne l’était avant 2002 », il n'est « pas surprenant que les électeurs de gauche renâclent de plus en plus à suivre les consignes appelant à voter pour l’UMP ou contre le FN » ; il ajoute que la consigne du « ni-ni » de l'UMP peut aussi pousser les candidats socialistes à refuser le front républicain par réciprocité[2]. Un sondage BVA Opinion pour L'Express, la Presse Régionale et France Inter indique qu'en cas de duel FN/PS au second tour d'une élection, 41 % des sympathisants UMP préféreraient que leur parti appelle à l'abstention ou au vote blanc ; 35 % préféreraient qu'il appelle à voter pour le candidat FN ; et seuls 23 % souhaitent que l'UMP appelle au front républicain. En revanche, 69 % des sympathisants socialistes préféreraient que le PS appelle les électeurs à voter en faveur du candidat UMP en cas de duel UMP/FN[48]. En octobre 2013, lors de l'élection partielle du canton de Brignoles, Laurent Lopez, candidat du FN, est élu conseiller général du Var avec 53,9 % des suffrages exprimés, soit avec une avance nettement plus confortable que son prédécesseur en 2011[49]. La même année, les députés PS Razzy Hammadi et Yann Galut appellent à remettre en cause l'automaticité du front républicain[50].

Ce principe de front républicain est de nouveau d'actualité pour les élections municipales de 2014 où, face à la poussée du FN dans certaines communes, les dirigeants du Parti socialiste, des écologistes, des communistes et de l'UDI[51] appellent à sa constitution pour faire barrage aux candidats frontistes[52], ainsi que certaines personnalités de la société civile, comme Laurence Parisot[53]. L'UMP, quant à elle, reste fidèle à sa doctrine du « ni-ni »[54]. Sur le terrain, ces consignes sont diversement suivies[51],[55],[56],[57], avec des résultats variables[58],[59]. De nombreux observateurs estiment alors que le front républicain est « mort »[60],[61],[62],[63].

Efficacité contre le Front national

De façon directe, l'appel au front républicain a permis d'éviter que des candidats frontistes soient élus, notamment dans les années 2000. Jean-Yves Camus considère toutefois qu'il s'agit d'« un aveu gigantesque d'incapacité à enrayer les progrès du lepénisme »[64]. Jérôme Grondeux souligne quant à lui que le front républicain « retrouve les vieilles faiblesses de la défense républicaine, et même celles de l’antifascisme : celle d’être incapable de déboucher sur un projet politique global, cohérent, capable de rassembler au moins pour quelques années une grande majorité de citoyens. [...] Il apparaît comme un jeu cruel et hasardeux dont le seul résultat tangible est d’exclure du jeu politique une force en construction. Une gigantesque cocotte-minute, en somme »[19].

Les effets indirects sont considérés par certains observateurs comme contre-productifs : la mise à l'écart du pouvoir, même local, sert d'argument électoral par la suite[65], renforçant la légitimité du FN à se présenter comme différent des autres partis et comme « alternative unique à la classe dirigeante »[64], et légitimant sa vision de l'échiquier politique, divisé dès lors « entre un bloc national-populiste et un bloc libéral-socialiste »[25]. Ainsi, le front républicain est parfois accusé de valider le slogan « UMPS » du FN, mot-valise lui servant à dénoncer la bipolarisation de la vie politique française, ou encore de « nier les différences de sensibilités entre la droite et la gauche de gouvernement »[14],[66], d'autant plus en cas de « droitisation » de l'UMP[20],[67]. Par ailleurs, le front républicain peut engendrer une surmobilisation de l'électorat potentiel du FN face à une posture qui peut « passer pour arrogante et méprisante »[20]. Lors des municipales de 2014, les responsables du parti frontiste ou soutenus par celui-ci indiquent ne plus craindre le front républicain, voire bénéficier des appels à ce dernier, comme le dit Robert Ménard : « Chaque fois qu'ils l'ont mis en avant, nous avons grimpé dans les sondages »[62].

La dénonciation du front républicain par le FN peut cependant l'amener à se contredire, entre une volonté de briser sa mise à l’écart symbolique dans une perspective de « dédiabolisation », et celle de montrer que l'UMP et le PS se réfèrent aux mêmes valeurs[2].

Par ailleurs, la banalisation du FN de Marine Le Pen dans le paysage politique réduit l'efficacité du front républicain[20]. Jérôme Grondeux relève que « Marine Le Pen n’a connu, de par sa génération (elle est née en 1968), aucun des grands rendez-vous de l’extrême droite française ; elle est donc plus difficile à saisir pour un antifascisme qui fonctionne essentiellement par une chaîne de références historiques ». Il ajoute que le FN s'est trouvé être le principal parti dans le camp majoritaire du « non » lors du référendum de 2005 sur le traité établissant une constitution pour l'Europe, ce qui lui a donné « un surcroît de légitimité démocratique »[19].

Annexes

Bibliographie

Notes et références

Notes

  1. Le Parti communiste français appelle notamment à voter pour Jacques Chirac. Source : Robert Rochefort, La France déboussolée, Éditions Odile Jacob, 2002, p. 173. De son côté, Olivier Besancenot, candidat de la Ligue communiste révolutionnaire, appelle à faire barrage à Jean-Marie Le Pen mais n'appelle pas à voter pour Jacques Chirac, dont il pense qu'il « n'est pas un rempart face à Le Pen ». Source : interview d'Olivier Besancenot, JT de France 2 du 23 avril 2002.

Références

  1. a b c d e et f Perrineau 2014
  2. a b c d e f g et h Joël Gombin, « FN à Villeneuve-sur-Lot : le front républicain, cette arme politique à géométrie variable », sur Le Nouvel Observateur, .
  3. Laurent de Boissieu et Corinne Laurent, « Le front républicain à l’épreuve d’une victoire du FN », sur La Croix, .
  4. « Martine Aubry condamne Le Pen », sur La Dépêche du Midi, .
  5. Interview avec Grégoire Kauffmann, publiée dans L'Express n° 3283 du 4 juin 2014 (lire en ligne une retranscription)
  6. Thomas Guénolé, « Municipales : face au FN, le Front républicain est un devoir pour l'UMP de Copé », sur Le Nouvel Observateur, .
  7. Caroline Fourest, « D'une digue républicaine à l'autre », sur Le Monde, .
  8. « Désir reproche à Copé de ne pas « maintenir la digue républicaine » face au FN », sur Le Monde, .
  9. « Christian Bourquin : « La digue républicaine a été dynamitée » », sur Midi libre, .
  10. Jean-Yves Camus, « La normalisation de l'extrême droite en Europe », dans Birgitta Orfali, La banalisation de l'extrémisme à la veille de la présidentielle. Radicalisation ou dé-radicalisation ?, L'Harmattan, (ISBN 978-2-296-96514-0), p. 18
  11. a b et c Marc Crapez, « Extrême droitisation, ah bon ? », sur Causeur, .
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Articles connexes