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renee vivien, vie et oeuvre
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       Renée Vivien ou le drame de l'absolu                              (1877-1909)

 

                                                                    

     32 ans, l'âge où l'on rit d'être femme, femme-feu et femme-fleur, loin des tâtonnements de l'adolescence… 32 ans, l'âge où meurt Renée Vivien, terrassée par l'alcool, le manque de nourriture et la névrose. Cette vie avortée sous le signe du génie littéraire, on n'en lit plus que quelques vers gravés sur sa tombe, à l'intérieur de la chapelle néo-gothique que son ancienne amie, la baronne Hélène de Zuylen fit construire en son honneur au cimetière de Passy. Née Pauline Mary Tarn, Renée vécut sans cesse à la recherche d'une identité derrière les masques, d'un absolu dans la décevante réalité, et de l'amour à travers des visages de femme qui lui échappèrent et ne lui laissèrent que son propre visage à contempler. Car tout le drame de Renée est celui de l'absolu impossible à atteindre parce que synonyme de fuite et de néant, absolu de la passion qui n'est que la quête de la mort, de l'annulation de soi dans le corps et le cœur de l'autre. Drame de l'amour quand on aime, aimer sans se préoccuper de l'être aimé, juste pour trouver l'entêtante ivresse de la folie qui fait oublier la vie.  

 

Je hume en frémissant la tiédeur animale
D'une fourrure aux bleus d'argent, aux bleus d'opale ;
J'en goûte le parfum plus fort qu'une saveur,
Plus large qu'une voix de rut et de blasphème,
Et je respire avec une égale ferveur,
La Femme que je crains et les Fauves que j'aime.     

 

Toute sa vie Renée voulut fuir la réalité et se réfugier dans son monde de rêve, de littérature, sublimation du quotidien et des aventures amoureuses. Femme à la silhouette frêle et discrète généralement vêtue de noir ou de violet, elle semblait avoir rassemblé sa beauté dans "ses lourds et délicates paupières et leurs longs cils noirs" à tel point que la poétesse Lucie Delarue Mardrus disait d'elle que sa personnalité n'apparaissait que lorsqu'elle fermait les yeux. Ce n'est pas anodin quand on sait que toute sa vie s'est déroulée derrière ses paupières closes comme derrière les portes closes de son appartement, véritable sanctuaire oriental.  

 

     Ce refus d'affronter le monde extérieur est symptomatique d'une sensibilité presque maladive, d'une personnalité exaltée, éprise du beau absolu mais refusant tout compromis avec le monde extérieur, aimant la vie mais hantée par la mort. Seule la littérature pouvait faire jaillir du vide et de la douleur une eau de vie.  Aussi en neuf années de vie littéraire, Renée publie 15 volumes de vers et de proses, auxquels s'ajoutent six volumes posthumes. Son œuvre est souvent le commentaire lyrique de sa vie, mais elle constitue également une sorte de biographie chimérique, lieu du fantasme inassouvi. Celle-ci révèle sa vénération pour la grande poétesse Sappho dont elle traduisit et adapta les vers, mais aussi son idéalisme amoureux et mystique comme un penchant pour le romantisme noir et décadent du 19ième siècle.

J'adore la langueur de ta lèvre charnelle
Où persiste le pli des baisers d'autrefois,
Ta démarche ensorcelle,
Et la perversité calme de ta prunelle
A pris au ciel du nord ses bleus traîtres et froids.

 

     Ce drame de l'absolu, c'est aussi celui de Narcisse, si amoureux de sa propre image qu'il s'y noya. Dans l'amour homosexuel, c'est sa propre image que chercha Renée et elle pensa la trouver dans le visage approchant des autres femmes, dans le reflet trompeur que renvoie le miroir, l'eau trouble qui perdit Narcisse. Trois femmes ont marqué au fer rouge son âme : incapable de choisir, elle hésita sans cesse entre l'amour-passion pour Natalie Clifford Barney, ponctué de ruptures et de reprises et l'amour-rêve pour Kérimé, moins inconstant parce que lointain et impossible à satisfaire. C'est pourtant l'amour-protection qui se révèlera en définitive le plus puissant, pour la baronne Hélène de Zuylen qui veillera sur elle jusqu'au dernier souffle. Mais tous ses amours sont des images de la mort, d'une mort désirée, et Renée les vécut selon un schéma dominatrice-dominée. Elle reproduit un rapport de force en s'attribuant ou en attribuant à la femme aimée le rôle de l'amant. Mais au fond, c'est toujours elle qui se donne la place du page soumis à sa suzeraine. Ses amours tumultueuses avec Natalie la hanteront tout au long de son existence car elle ne cessa d'aimer sa blonde Amazone, Ondine fourbe qu'elle haissait et vénérait tout à la fois.  Mettant beaucoup plus de gravité mystique dans l'amour que Natalie, Vivien rêvait d'une passion de tous les instants et d'une fidélité à toute épreuve, ce que l'inconstante Natalie ne pouvait lui offrir. La plupart de ses poèmes lui sont dédiés.

Tes yeux bleus, à travers leurs paupières mi-closes,
Recèlent la lueur des vagues trahisons.
Le souffle violent et fourbe de ces roses
M'enivre comme un vin où dorment les poisons…  

Vers l'heure où follement dansent les lucioles,
L'heure où brille à nos yeux le désir du moment,
Tu me redis en vain les flatteuses paroles…
Je te hais et je t'aime abominablement.

 

     Avec Kérimé, c'est au-delà de l'amour, le rêve de l'amour, rêve poétisé que Vivien va vivre et créer. Ce culte envers cette lointaine partenaire se transforme rapidement en culte de l'amour. Une correspondance naquit qui s'amplifia rapidement et devint un véritable dialogue par lettres. Vivien fut séduite et ses cris d'amour ne manquent pas de beauté. Le songe oriental ajouté au piment de l'interdit et du danger car Kérimé était mariée et cloîtrée dans un harem de Constantinople, enflammait Vivien. Cet amour de loin comme celui des troubadours s'alimentaient de rêves et d'imaginaire.  

 

"Cette nuit, l'obsession est plus forte encore que d'habitude. Je ne puis dormir…à cause de Vous, toujours… Je songe douloureusement que toutes les paroles sont vaines, que seuls les baisers sont immenses et profonds. Je rêve de voir toute la nuit ardente de vos yeux. Je respire les parfums de votre chair… De toute votre chair incomparable… Je rêve d'égarer mes lèvres parmi votre chevelure, pareille à une forêt nocturne. Ma bouche possède enfin votre bouche… ah ! votre bouche tant désirée !

Je vous aime avec passion et avec douceur. Et vous apprenez de moi la ténacité légère des caresses féminines. Je vous apprends tout ce que l'effleurement recèle de hardi et de passionné…et peu à peu, vos lèvres répondent à mes lèvres… Et votre doux corps s'anéantit dans la volupté…

Ecrivez-moi. J'ai soif. J'ai soif de vos lettres… et de vous."

                                                                                                                                                                                                 (Lettres à Kérimé Turkan-Pacha)

 

     Il servait aussi de prétexte pour Vivien pour écrire un long monologue. Elle se donne le beau rôle, celui d'une initiatrice à l'amour lesbien. La correspondance de Vivien avec Kérimé fait ressortir son indécision amoureuse. On l'y voit sans cesse aller de la très-blonde à la divinement brune avec toujours en arrière plan, celle qui représente le seul pôle de stabilité de sa vie, la baronne avec qui elle vivra une relation affective pendant près de six ans. Cette impossibilité de s'installer dans l'amour et la vraie vie, de se faire une place dans une société dont elle ne partageait pas les valeurs essentielles devait fatalement avoir des conséquences tragiques sur l'évolution de sa personnalité.

Je n'ai rien calculé, je suis née ivre et folle,
Au hasard, j'ai semé mon âme et ma parole.  

J'ai donné mes baisers, et mes fleurs et mes lais,
Et je n'ai point compris que je me dépouillais…

     Renée ne pouvait assumer son être : elle haissait son corps et détestait ses origines. Elle aura toujours voulu cacher, ensevelir sous les pseudonymes sa réelle identité, éditant sous les noms divers de Renée Vivien, Paule Riversdale ou Hélène de Zuylen. Elle rejetait sa mère comme la mère patrie, l'Angleterre où elle était née et avait vécue. En effet, sa mère la négligea extrêmement pendant son enfance après la mort de son père, puis fut jalouse des attraits de sa fille et découragea les jeunes gens qui voulait s'en approcher, ce qui ne l'empêchait pas de rechercher pour elle la compagnie des hommes. Elle laissait ainsi Renée toujours seule : les hommes devinrent vite pour elle des démons qui lui volaient sa mère. De même, sa mère lui a refusé son affection et lui donnait à peine de quoi vivre. Elle devint pupille de la nation pour échapper à ses mauvais traitements et dès sa majorité alla s'installer en France, vivre des rentes de son père.

     Il lui a toujours fallu être autre tout en cherchant le même, cette obsession du même qu'est l'amour homosexuel, jusqu'à se perdre elle-même et devenir femme factice dans un décor factice. Et toute sa vie est la répétition d'un même cri, écho répété de l'angoisse de vivre, de la terreur de choisir l'être aimé, de l'horreur de soi. Ses poèmes sont parcourus d'une tension permanente, qui est celle de la tristesse, du regret, de l'angoisse, du sentiment de l'impossible. Collette a souligné la "tristesse élevée" des œuvres de Vivien où "les amies rêvent et pleurent autant qu'elles s'y enlacent." Le bonheur presque toujours, se situe dans le passé. Il semble qu'il soit toujours trop tard.  

        

 

 

Je m'éveille au milieu d'une forêt de torches
Eteintes froidement dans la froideur du jour,
Songeant à ma jeunesse, à son tremblant amour,
Aux jasmins qui faisaient plus radieux les porches.  

 

 

     Elle cherche sa vérité qui lui échappe sans cesse. Son seul recours est alors de rêver sa vie. Femme à l'immense énergie de se détruire parce qu'elle n'a jamais su bâtir, si ce n'est son œuvre littéraire, mais elle avait cessé d'y croire dans les dernières années de sa vie. Quand on n'aime pas son propre corps, on cherche à aimer un autre corps qui lui ressemble mais on refuse complètement la découverte de l'Autre, du double asymétrique qu'est l'homme. On peut lire dans ce refus de l'autre un désir de rester dans l'enfance et dans le monde éthéré des baisers de sœurs, sans doute liée à cette candeur enfantine que ses proches ont si souvent décrit en elle. Mais l'impossible union des corps se traduit par celle des cœurs, et les lèvres ne suffisent pas à sceller les âmes.

     Toute la poésie de Vivien n'est au fond qu'une répétition de la mort, et traduit l'hallucination que peut produire la réalité sur une sensibilité féminine particulièrement blessée. L'écriture ne fut-elle pas pour elle une forme d'enfermement ? Plus on approche de la fin et plus toute foi en la gloire littéraire l'a quittée, plus le souffle se fait court, haletant. Le poème devient simple quatrain, bribes, cri d'angoisse sans forme. Dès 1906, elle avoue ses défaites :

Mes vers n'ont pas atteint à la calme excellence,
Je l'ai compris, et nul ne les lira jamais…  

     Mais jusqu'à son dernier jour, Vivien ne cessa de publier ou de préparer des rééditions corrigées de ses œuvres. Toutes ces variantes, ces perpétuelles révision ne trahissent-elles pas un complexe d'échec ? Sans compter tous ces livres qu'elle signa de pseudonyme …

     Ce qui caractérise avant tout Vivien en tant que poète, c'est son pessimisme foncier, ce goût des cendres qu'elle retrouve au fond de ses plaisirs, cette fascination un peu morbide de la mort et du néant. En effet, à la recherche de l'éternel féminin, Renée vivait comme les fleurs, tournées vers un soleil amoureux, nourrie de larmes, elle s'est fanée dès que ses illusions n'ont plus pu la nourrir.

 

  Laureline Amanieux.

(Article paru dans la revue 34 "vivre en poésie" du Club des Poètes.)

  (d'après les travaux de Jean-Paul Goujon)

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