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Quand le PCF collaborait avec Hitler | Aventures de l'histoire
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Dossier à la une
Quand le PCF collaborait avec Hitler
Maurice Thorez est un personnage emblématique du communisme international qui a placé la fidélité au parti et à la patrie soviétique au dessus toute autre considération. Seule la victoire d’e sa patrie d’élection en 1945 lui permettra d’effacer l’ardoise où non seulement était inscrite sa désertion en 1940 et sa fuite du pays en guerre, amis aussi la contribution de son parti et de nombreux de ses militants à l’effort de guerre hitlérien par une campagne de sabotage de l’effort industriel de la France en faveur de ses soldats sur le front.

Quand le PCF collaborait avec Hitler

En juin 1940, dans le Paris occupé par les Allemands, Maurice Tréand, responsable des cadres du PCF et Jean Catelas, député d’Amiens, sous l’autorité de Jacques Duclos, négocient avec l’ambassade d’Allemagne la reparution légale de l’Humanité. Mais la politique soviétique change de cap et en août cette démarche est condamnée par le Kominform. Pour dédouaner Duclos de toute responsabilité dans cette initiative collaborationniste, la machinerie policière du parti communiste se met en marche.

Comme son grand frère soviétique, le Parti communiste français a eu recours à la langue de bois, notamment pour la période la Seconde Guerre mondiale. L’historiographie communiste de 1939 à 1945 est la suivante : le Parti a toujours résisté contre les nazis, il a été la pierre fondatrice de la résistance, il a été pur et sans tâche, il a châtié les traîtres, il a compté dans ses rangs 75 000 fusillés.

 

Les mauvais souvenirs du PCF

Pourtant, un par un, les mythes sont tombés : les 75 000 fusillés étaient en fait trois mille certains cadres du PCF ont eu une attitude des plus suspectes lors de leur internement (se souvenir de l’affaire Marcel Paul révélée par Laurent Wetzel), les FTP ont commis des crimes qui dans certains endroits égalent en horreur ceux de l’occupant (voir le livre en deux tomes de Philippe Bourdrel l’Épuration sauvage).

Le rôle du PCF de 1939 à 1941 a également été révélé depuis longtemps : la désertion de Thorez, sa fuite en Union soviétique via la Belgique, les nombreux sabotages commis par les communistes contre le matériel militaire français lors de la drôle de guerre (l’Union soviétique était alliée à Hitler depuis le 23 août 1939) sont des faits avérés, de même que la demande de reparution de l’Humanité faite aux autorités d’occupation. Que peut donc apporter le livre de Roger Bourderon, la Négociation, été 1940, crise au PCF paru aux éditions Syllepse à la connaissance historique ? En fait, l’intérêt principal de ce livre est qu’il a été écrit par un communiste et publié dans une maison d’édition proche de l’extrême gauche.

L’auteur ne peut guère être soupçonné d’être un « social traître » puisqu’il n’hésite pas à employer le vocabulaire en usage durant longtemps au sein du Parti communiste : ainsi, il évoque « l’agression hitlérienne contre l’Union soviétique ». De même, il qualifie l’Etat Français de Vichy de « régime mis en place par l’occupant » alors que c’est la chambre des députés née des élections de 1936 qui vota les pleins pouvoirs à Philippe Pétain. Si l’auteur sombre dans les travers de « la vérité du Parti » que l’on n’a plus guère l’occasion de lire depuis la fin des années soixante-dix, il n’en donne pas moins des éléments intéressants dans son livre.

 

Le contexte de l’époque selon Bourderon et Wolikow

De 1939 à 1941, le PCF a connu une importante crise de direction qui avait été longtemps occultée par l’histoire officielle du Parti, crise dont les racines se plongent dans les purges de 1936-1938, mais également avec la scission de Jacques Doriot en 1936. Alors qu’à la fin des années trente, l’Union soviétique ordonnait à ses disciples la stratégie dite « de front populaire » contre les « fascistes », la signature du pacte germano-soviétique le 23 août 1939 allait considérablement bouleverser la donne. Ainsi, alors que le PCF était censé voter les crédits militaires, ordre fut donné de ne plus le faire et de vilipender la « guerre bourgeoise » contre l’Allemagne.

La répression ne se fit pas attendre. Bien que la chambre des députés de 1939 était celle du Front Populaire, son mandat s’achevait en 1940 et l’on prévoyait un ras de marée de la droite, notamment avec une forte percée du PSF (Parti Social Français, anciennement « Croix de Feu »), celle-ci n’hésita pas à interdire le PCF et ses satellites : le 25 août 1939, l’Humanité et Ce Soir étaient interdits. Le 26 septembre, c’est la dissolution du PCF qui est proclamée par Daladier, et la déchéance des députés communistes fut prononcée par 522 voix contre 2. Trente-cinq députés communistes fidèles à Moscou furent emprisonnés, les autres renièrent l’Union soviétique pour former l’Union populaire française, le Parti ouvrier et paysan ou pour rallier le Parti populaire français de Jacques Doriot.

Ardent patriote, le colonel de La Rocque prônait une profonde réforme de l’état dans  la tradition de la droite autoritaire. A la veille de la guerre, il animait un parti politique  en plein essor dont les succès inquiétaient beaucoup le Parti communiste.

Ardent patriote, le colonel de La Rocque prônait une profonde réforme de l’état dans
la tradition de la droite autoritaire. A la veille de la guerre, il animait un parti politique
en plein essor dont les succès inquiétaient beaucoup le Parti communiste.

Staline donnera l’ordre à certains cadres du Parti de se replier en Union soviétique pour pouvoir leur donner les nouvelles consignes. Il donna l’ordre à Jacques Duclos, député communiste de la Seine et vice-président de la chambre des députés de pratiquer au sein du PCF l’épuration des éléments jugés indésirables.

 

Et les éléments « omis »

Lorsqu’on analyse la préface de Serge Wolikow, on voit que la narration des faits de 1935 à 1941 est conforme à l’orthodoxie communiste la plus conformiste. Ainsi, s’il est fait mention de la présence de Maurice Thorez à Moscou, il n’est précisé nulle part qu’il avait déserté du 4e régiment de génie le 4 octobre 1939 et qu’il avait atteint la capitale soviétique via la Suède. De même, si l’auteur insiste sur le « patriotisme » des communistes et donne des leçons de « résistance », il « oublie » (ou plutôt, il l’indique mais en citant un ministre de Vichy, ce qui laisse à penser que c’est faux !) que les communistes ont multiplié les sabotages du matériel de guerre français durant la « drôle de guerre ».

De même, il oublie de préciser que l’Humanité clandestine prit fait et cause pour Staline, n’hésitant pas à faire l’apologie de ses crimes. Ainsi, dans le numéro 58 de ce journal, on trouve notamment : « Après avoir libéré treize millions de Biélo-russiens et d’Ukrainiens du joug des seigneurs polonais, après avoir brisé les plans criminels des garde-blancs finlandais, après avoir libéré les peu­ples des Etats baltes où se sont constitués des gouvernements ouvriers et paysans, l’Armée rouge vient d’entrer en Bessarabie et en Bukovine septen­trio­nale où elle libère les masses populaires qui, depuis vingt-deux ans, subissaient l’oppression des capitalistes roumains. »

« Le gouvernement roumain, sachant ce que vaut la garantie britannique qui lui avait été accordée, a fait droit aux légitimes revendications de

A la différence de Trotsky, Staline a toujours privilégié les intérêts stratégiques de l’Union soviétique à ceux de la révolution mondiale. Les partis communistes locaux étaient pour lui des outils et leurs responsables des exécutants dociles.

A la différence de Trotsky, Staline a toujours privilégié les intérêts stratégiques de l’Union soviétique à ceux de la révolution mondiale. Les partis communistes locaux étaient pour lui des outils et leurs responsables des exécutants dociles.

l’Union soviétique et ainsi la question de la Bessarabie a été réglée pacifiquement. Salut à la glorieuse Armée rouge qui porte la liberté des peuples dans les plis de ses drapeaux. Vive l’URSS de Lénine et de Staline, pays du socialisme et rem­part de la paix. »

Ce que le journal se garde bien de préciser (et ce que le préfacier de ce livre oublie bien de rappeler.), c’est que ces « libérations » ont conduit au génocide des peuples susnommés, coûtant la vie à un million de Polonais, deux cent mille Estoniens, trois cent mille Finlandais, deux cent mille Lettons, un million de Lituaniens, un million d’Ukrainiens, un million de Bessarabes et Moldaves et cinq cent mille Juifs.

 

Réunion avec Otto Abetz

Roger Bourderon a écrit son livre pour innocenter Odette Janvier des soupçons d’accointances avec le Reich qui ont été lancées contre elle, notamment lorsqu’elle fut accusée d’avoir livré Jean Catelas à la Gestapo.

Il néglige cependant d’évoquer une pièce supplémentaire qui permettait d’innocenter la militante. Otto Abetz est issu de la gauche allemande. Notoirement francophile (marié à une Française, Suzanne de Bruyker), cet enseignant qui fut communiste puis social-démocrate et ne rallia le NSDAP qu’en 1934. Responsable des questions françaises à la Hitlerjugend, il devint ambassadeur à Paris en 1940. Membre des milieux influents allemands, il protégera ses homologues parisiens dans le collimateur de Vichy.

Quelques jours après l’entrée des Alle­mands à Paris, Denise Ginollin, futur député communiste de la Seine (après la Libération), et Maurice Tréand, l’un des chefs de l’appareil illégal du PCF, s’abouchaient avec les services de presse les vainqueurs et leur exposaient les intentions de leurs camarades de publier le journal communiste.

Le 20 juin l’auto­risation leur était accordée, avec invitation de faire reparaître l’Humanité le plus tôt possible. L’ancien imprimeur du quotidien communiste, Georges Dangon, fut d’accord pour en assurer la fabri­cation. Le premier numéro de la nouvelle Humanité devait paraître le 23 vers midi. La police française, sur l’ordre de Vichy, intervint entre temps elle arrêta Mme Ginollin, Treand et quelques autres militants le 20, dans la soirée, en vertu d’un décret-loi du 26 septembre 1939 qui interdisait le quotidien du PC. Interrogée par la police, Denise Ginollin reconnaissait for­mellement avoir songé à faire paraître régulièrement le journal « l’Humanité » en accord avec ses amis Tréand et Mme Shrott :

AdH 8 P Odette janvier

Odette Janvier, ici photographiée de nos jours, est le témoin capital qui vient contredire la version officielle du parti selon laquelle Catelas et Tréand auraient agi de leur propre chef, sans ordres. Ci-dessous : Jean Catelas avant la guerre. Un destin tragique au service du Parti.

- Je me suis adressée à cet effet il y deux ou trois jours au service de presse de la Kommandantur, 12, boulevard de la Madeleine, à Paris. J’ai été reçue par le lieutenant Weber à qui j’ai exposé le dessein de mes camarades et le mien. Il m’a répondu qu’en principe, rien ne s’opposait à la publication d’un journal, sous réserve de se conformer instructions qui seraient données. Il a ajouté qu’il ne pouvait se prononcer immédiatement et de son propre chef, une conférence de presse devait avoir lieu à la Kommandantur. Je suis retournée le voir le lendemain, c’est-à-dire hier. Il m’a fait attendre toute la journée et s’est borné à m’inviter à repas­ser l’après-midi, le résultat de la conférence de presse n’étant pas encore connu. Dans l’après-midi, à quatre heures environ, il m’a reçue et après m’avoir donné les consignes générales dont j’ai parlé il m’a déclaré que « l’Humanité pouvait paraître, ajoutant même qu’elle devait le faire le plus tôt possible. Il était entendu que tous les articles devaient préalablement être soumis à la censure de la Kommandantur. »

Ginollin et Maurice Tréant fu­rent après, remis en liberté « sur l’ordre du Dr Fritz, conseiller supé­rieur près le chef de l’administration supérieure allemande ».

A peine libéré, Maurice Tréand fit une seconde tentative auprès des autorités allemandes. Il était accompagné dans sa démarche par le député communiste Jean Catelas et de l’avocat de l’ambassade soviétique, Maître Foissin. Mais les Allemands ne don­nèrent pas suite au projet. l’Humanité parut donc clandestinement. Elle fut à la fois anti-maréchaliste et anti-gaulliste, pacifiste et anglophobe. Le 1er juillet 1940, elle publiait une courte note ainsi conçue « Le général De Gaulle et autres agents de la finance anglaise voudraient faire battre

les Français pour la City et ils s’efforcent d’entraîner les peuples coloniaux dans la guerre. »

Le 1er mai 1941, l’Humanité flétrit d’un même élan, les Etats-Unis, l’Angleterre et De Gaulle qua­lifiés de « ploutocrates », d’« impéria­listes », de « réactionnaires ». Tout en affirmant hautement que « le nazisme n’est pas le socialisme » (Gabriel Péri, avril 1941), les communistes, qui s’en prirent volontiers à Déat et à Doriot, ménagèrent les AdH 8 P Catelas JeanAllemands. Ceux-ci, d’ail­leurs, ne les pourchassèrent pas. La ré­pression exercée contre les militants communistes était le fait du gouverne­ment Pétain, qui poursuivait l’œuvre du gouvernement Daladier. Les fameuses brigades anti-communistes, qui se distin­guèrent dans la lutte contre la propa­gande du PC clandestin, avaient été créées par Daladier ; sous Pétain, elles ne firent que continuer le travail commencé sous la IIIe République.

En 1940-1941, près de six mille communistes furent ainsi arrêtés. Fernand Grenier, Léon Mauvais, Charles Michels, Guy Moquet, Timbault, arrêtés avec trois cents autres militants, furent emprisonnés à Clairvaux, puis à Châteaubriant. Les Allemands n’y furent pour rien. Mais tout changea brusquement en juin 1941, quand les armées de Hitler envahirent la Russie. Dès lors, l’Allemagne, le na­zisme, le fascisme redevinrent l’ennemi. Et, pour vaincre, le PCF clandestin s’allia avec ceux qu’il insultait la veille. On sait la suite et le rôle important qu’ont joué dans la Résistance les FTPF communistes.

Homme de gauche, Edouard Daladier mérite mieux que des jugements caricaturaux et hâtifs dont il fait l’objet. Il a déployé une énergie considérable pour réarmer le pays face à la menace allemande et pour faire face aux efforts communistes cherchant à saboter l’effort de guerre.  Il est ici photographié à son retour de Munich en 1938 (à droite, Georges Bonnet, ministre  des Affaires étrangères et le préfet de police Langeron).

Homme de gauche, Edouard Daladier mérite mieux que des jugements caricaturaux et hâtifs dont il fait l’objet. Il a déployé une énergie considérable pour réarmer le pays face à la menace allemande et pour faire face aux efforts communistes cherchant à saboter l’effort de guerre. Il est ici photographié à son retour de Munich en 1938 (à droite, Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères et le préfet de police Langeron).

Qui est Jean Catelas ?

Jean Catelas a été un militant communiste dévoué corps et âme au Parti. Adhérant dès 1920, il fut élu député d’Amiens en 1936 après un premier échec en 1932. Il participa à la guerre d’Espagne comme volontaire dans la brigade francophone « la Marseillaise ». En 1937, il entra au Comité central du PCF. Comme tous les élus communistes, il fut déchu de son mandat de député en février 1940. Durant la « drôle de guerre », il fut l’un des organisateurs de l’Humanité clandestine, à la fois hostile à la poursuite de la guerre et au gouvernement. Mis sur la touche après le désaveu de ses négociations avec les Allemands, il demande à retourner à la base. Sa popularité auprès des cheminots lui sauve la mise et le parti accepte sa requête. A la veille de son transfert dans l’Eure ou l’Eure et Loir, il fut arrêté le 14 mai 1941, condamné à mort par le tribunal d’état sur ordre de Pucheu, il fut guillotiné quatre mois plus tard.

Odette Janvier fut accusée d’avoir livré Catelas. L’auteur consacre tout son livre à essayer de démontrer l’innocence de celle-ci. Il nous livre un intéressant panorama du fonctionnement interne du PCF, et insiste sur le rôle trouble de Jacques Duclos. Ce dernier, agissant probablement sur ordre de Thorez et de Staline, essaya de trouver un bouc émissaire pour rendre cohérente une version des faits qui arrangerait la nouvelle politique soviétique. Catelas mort, un témoin disparaissait. Janvier, qui avait été l’agent de liaison de ce dernier, était minutieusement discréditée par une campagne de dénigrement et sera brisée dans sa carrière au sein du parti. Eugen Fried, le vrai patron du PCF, sera liquidé par Staline lors des purges antisémites de 1948-1952.

Jacques Doriot est une étoile montante du Parti communiste. Il passe même trois ans à Moscou  à l’exécutif du Komintern. Mais il se heurte de front avec Maurice Thorez en préconisant,  un an avant le changement de politique décidé à Moscou, une alliance avec les socialistes.  Exclu du PCF, il fonde le Parti populaire français en 1936 auquel vont se rallier de nombreux communistes et qui va progressivement incarner un « fascisme à la française ».

Jacques Doriot est une étoile montante du Parti communiste. Il passe même trois ans à Moscou
à l’exécutif du Komintern. Mais il se heurte de front avec Maurice Thorez en préconisant,
un an avant le changement de politique décidé à Moscou, une alliance avec les socialistes.
Exclu du PCF, il fonde le Parti populaire français en 1936 auquel vont se rallier de nombreux communistes et qui va progressivement incarner un « fascisme à la française ».

Les réunions politiques du PPF s’inspiraient des techniques de mise en scène mises au point  par les communistes et les fascistes et cherchaient à mettre en valeur « le chef » Doriot.

Les réunions politiques du PPF s’inspiraient des techniques de mise en scène mises au point
par les communistes et les fascistes et cherchaient à mettre en valeur « le chef » Doriot.

Duclos savait-il quelque chose ?

Après la fuite de Thorez en Union soviétique, la direction du parti échut à celui qui sera son successeur : Jacques Duclos.

Selon la version officielle colportée par le PCF, Jean Catelas aurait agi sans ordres. Dans ses Mémoires datant de 1970, Jacques Duclos déclarait : « Dans ce climat [celui des débuts de l’Occupation], écrit-il, des camarades animés sans aucun doute de bonnes intentions et qui, par la suite, se battirent courageusement contre les occupants, pensèrent que la presse du Parti pouvait paraître légalement puisque d’autres journaux étaient publiés. Ils firent donc des démarches en ce sens. La direc­tion du Parti désavoua ces démarches, et les auteurs recon­nurent leur erreur. »

Qu’il s’exonère de toute responsabilité dans l’affaire n’est somme toute pas le plus important. L’essentiel est que la demande apparaît comme le fait de « camarades » hors de la direction (ce qui implique que leur nom ne soit pas cité) et surtout qui reconnaissent leur erreur après que la démarche a été désavouée. Le dogme de l’unité du parti est intact. Des camarades font des erreurs en toute bonne foi, la direction du parti les ramène dans le droit chemin et ils reprennent le combat révolutionnaire. Or, cette vision idyllique des faits est démentie par des rapports secrets adressés à Duclos. Les recueils de lettres de fusillés publiés par les Editions com­munistes vont dans le même sens. Lorsque Jean Catelas figure pour la première fois dans l’un d’eux, en 1958, la vérité officielle du parti ignore encore la réalité de la demande de reparution. Dans l’évocation rapide de sa vie, il est donc « un des organisateurs de la parution clandes­tine de l’Humanité dès juin 1940 ».

En 1985, il n’est plus possible d’ignorer l’événement. Mais c’est une initiative individuelle, rien qu’individuelle, le faux pas sincère d’un camarade qui croit bien faire et qui se rattrape d’ailleurs immédiatement : « Profondément convaincu de la nécessaire survie du journal l’Humanité, il tente des démarches légales puis organise sa parution clandestine dès juin 1940. » La vérité officielle est sauve : l’innocence de Duclos, le gommage de l’activité de direction – Maurice Tréand est absent – l’héroïsation du « martyr ».

AdH 8  P Duclos

Maurice Thorez et Jacques Duclos expliquent à la presse quelle sera la position du parti après les élections de 1936. Ils étaient tous les deux de fidèles soutiens de Staline et de la politique soviétique en France. Leurs convictions ne vacilleront pas après le pacte germano-soviétique.

Constatons encore qu’en 1980, la première étude uni­versitaire sérieuse de la demande de reparution était fon­dée, non sur les archives internes du PCF ou du Komintern, encore inaccessibles, mais sur l’exploitation de témoignages et surtout des archives Daladier déposées à la Fondation nationale des sciences politiques. Par la suite, à partir de 1983, les publications d’archives en provenance de Moscou, par les Cahiers d’histoire notamment, ont permis d’ap­procher de mieux en mieux la question de l’intérieur.

Mais c’est avec la découverte récente des deux rapports Dallidet et la demande de témoigner, à peine moins récente, for­mulée par Odette Janvier après qu’elle a trouvé dans les Cahiers d’histoire un début de réponse à ses interrogations, qu’il est devenu possible de pénétrer au cœur de la crise, mesurer sa gravité, démonter ses rouages.

Au terme de ces réflexions, il faut revenir à Odette Jan­vier, car l’on connaît enfin l’origine de la suspicion dont elle a été victime dès son incarcération.

Nous avons vu qu’en février 1941, le second rapport Dallidet la met au cœur du dispositif Tréand et du « groupe » antiparti. Ce rapport la marque définitivement auprès de la direction, et notamment de Duclos. Quelques semaines passent. En avril, Duclos dresse son réquisitoire contre Tréand. Le 16 mai, Catelas est arrêté. Relatant ce « coup dur » le 2 juin, puis le 11, dans deux télégrammes au Komintern jusqu’à présent inédits et dont Serge Wolikow fait état pour la première fois dans la préface de cet ouvrage, Duclos affirme sa « conviction », sans citer nommément Odette Janvier, mais elle est aisément identifiable en se référant au rapport Dallidet de février (« femme qui dirigeait RP »), qu’elle est « très suspecte » et met en cause ses agisse­ments à propos de l’arrestation du député d’Amiens : un militant qui s’est laissé aller à constituer un « groupe » n’est-il pas capable de tout ? Le 3 juin, Odette Janvier est arrêtée. Venue de haut et dûment colportée, l’accusation larvée alimente désormais rumeurs et sous-entendus, de La Roquette à Ravensbrück, puis après la Libération, ces sous-entendus sur l’arrestation de Catelas qui ont si forte­ment marqué la mémoire d’Odette Janvier qui est encore vivante et confia son désarroi à Roger Bourderon en 1994

 

Les rapports Dallidet

Véritable commissaire politique pour la France lors de la fuite des instances dirigeantes du PCF, Arthur Dallidet remit à Jacques Duclos plusieurs

Arthur Dallidet en 1939. Héros du parti, il est arrêté le 28 février 1942 à Paris  et subit d’épuisants interrogatoires sans pourtant lâcher les renseignements dont  la police avait besoin pour remonter jusqu’au secrétariat du parti. Il est fusillé  le 30 mai 1942 en compagnie d’autres responsables du FCF. Il meurt courageusement.

Arthur Dallidet en 1939. Héros du parti, il est arrêté le 28 février 1942 à Paris et subit d’épuisants interrogatoires sans pourtant lâcher les renseignements dont
la police avait besoin pour remonter jusqu’au secrétariat du parti. Il est fusillé le 30 mai 1942 en compagnie d’autres responsables du FCF. Il meurt courageusement.

rapports, datés notamment du 18 octobre 1940 et du 26 février 1941. Il y porte de graves accusations contre Maurice Tréand et contre Odette Janvier. Dans une lettre du 16 avril 1941 Duclos accuse Tréand d’avoir une activité déviationniste et de « regroupement, destiné à mettre aux postes de responsabilité, des personnes totalement dévouées à Legros. » Il dénonce explicitement ses liens avec Catelas et son opposition aux mesures de réorganisation du parti dans la région parisienne.

Dans des échanges de missives et divers télé­grammes, les arrestations qui atteignent les responsables du parti sont mis au compte de Tréand rendu ainsi res­ponsable de ces arrestations. Le 2 juin, après des difficul­tés de liaison, Duclos annonce ainsi l’événement transmis par Fried : « Paul, Stern, André. Voici communication de Yves : Coup dur nous est arrivé. Le 15 Catelas a été arrêté chez lui, le lendemain Mounette qui devait avoir rendez-vous avec lui pour régler définitivement certaines ques­tions a été pris au lieu de rendez-vous. Un jour après Gabriel [Péri] était pris chez lui. Dans tout cela il y a provocation évidente sur laquelle tacherons faire lumière. En tous cas avons conviction que la femme qui dirigeait RP voici quelques mois et faisait travail de groupe avec Grégoire est très sus­pecte. »

Quelques jours plus tard Duclos persiste dans une nouvelle missive où il attribue l’arrestation de Catelas aux agissements de « l’ancienne dirigeante des RP créature de Grégoire écartée de tout depuis trois mois et que Cate­las s’obstinait à défendre. En faisant tomber Catelas on voulait aller plus loin et un résultat a été obtenu par nos ennemis du fait de trahison d’Armand qui travaillait autre­fois aux cadres, a fait un voyage chez vous comme courrier de Grégoire et qui a donné Gabriel. [Péri]. »

Un courrier des ser­vices de renseignements, adressé par Fitine à Dimitrov dès le 24 mai, reprenait la même thèse. Ainsi jusqu’à l’invasion de l’Union soviétique la théorie

du groupe Tréand fut reprise par la direction du PCF en dépit de ses incohérences.

Au niveau de l’Internationale on peut avancer deux hypothèses per­mettant d’éclairer la genèse de cette accusation dont le deuxième rapport Dallidet est la pièce maîtresse. Il y a tout d’abord le contexte politique et stratégique, marqué conjoin­tement par une série de difficultés organisationnelles du parti, la stagnation de l’activité des comités populaires et une inflexion de la politique de l’Internationale commu­niste. Le 27 janvier puis le 26 avril 1941, la direction du Komintern, à travers des missives signées de Marty et Thorez, apporte des modifications substantielles à la politique du PCF.

Dès le début de l’année le parti est appelé à mettre l’accent sur la lutte contre les occupants, à élargir l’activité du parti « pour unir les masses dans un véritable front popu­laire de la lutte pour leurs intérêts, leurs droits, leur liberté et pour l’indépendance nationale ». Le parti était invité à « développer une campagne contre l’antisémitisme en ouvrant le feu contre le régime réactionnaire et la théorie raciste des occupants ». Les dirigeants du PCF étaient enfin appe­lés à « vérifier les conditions des échecs et réagir contre les sous-estimations optimistes de la nocivité des répressions. »

En janvier 1941, le Komintern évoquait « les conditions naissantes pour la libération du peuple français » mais en avril il était clairement expliqué

édition clandestine de l’Humanité datée  du 26 mai 1941 qui relate l’arrestation  de Jean Catelas et de Gabriel Péri.

édition clandestine de l’Humanité datée
du 26 mai 1941 qui relate l’arrestation de Jean Catelas et de Gabriel Péri.

que « la tâche actuelle essentielle est la lutte pour la libération nationale. La lutte pour la paix est subordonnée à la lutte pour l’indépendance nationale. Une paix sans libération nationale signifierait l’asservis­sement du peuple en France. Au moment actuel cette lutte doit viser surtout à ne pas permettre que le peuple, le ter­ritoire et les ressources de la France soient utilisés dans la guerre entre l’Allemagne et l’Angleterre. »

En conséquence le PCF pouvait envisager des alliances et des initiatives : « Luttant pour création de ce large front de libération natio­nale, le parti est prêt à soutenir tout gouvernement français, toute organisation et tous hommes dans le pays dont les efforts tendent à une véritable lutte contre envahisseurs et traîtres. » Cela devait se concrétiser dans la propagande et l’action du parti : « Le Parti dirige le coup principal contre les capitulards et les agents des envahisseurs qui sont l’obstacle principal sur le chemin lutte pour libération nationale du peuple français. » Les accents clairement anti-allemands, le programme de rassemblement sur des objectifs patrio­tiques et démocratiques limités étaient à l’opposé de la poli­tique anticapitaliste, pacifiste et légaliste dont Tréand s’était fait le porte-parole durant l’été 1940 !

La part de respon­sabilité du Komintern dans l’épisode pouvait d’autant mieux être dissimulée que chez la délégation française à Moscou des réticences étaient apparues très tôt à l’égard de cette poli­tique. Surtout, la rupture des liaisons de plusieurs semaines entre Paris et Moscou et de près de deux mois entre Bruxelles et Paris, permettait d’imputer les erreurs seule­ment à certains.

La manière dont Duclos et Frachon vont prendre en main la direction du parti avec le soutien de Fried est inséparable de leur expérience antérieure. Face à Jacques Duclos suspecté par l’Internationale de faiblesses dans le domaine de l’organisation, Frachon fait figure de leader expérimenté. La notoriété interna­tionale de Duclos, ses liens avec Fried, sa connaissance du monde politique français et le soutien de Maurice Thorez, jouent en sa faveur pour qu’il prenne le rôle dirigeant auquel Tréand pouvait prétendre en ces temps agités. N’était-il pas le mieux aguerri à l’action clandestine, fort de son expé­rience espagnole et de sa formation en Union soviétique ? Son impli­cation dans de nombreuses affaires comme celle de France-Navigation explique sans doute la politique pru­dente d’attente adoptée à son égard.

L’invention du groupe déviationniste, puisqu’il faut bien employer cette terminologie à la suite de la démonstration de Roger Bourderon, prend place dans la phase de changement de ligne de l’Internationale et du PCF. La mise en place d’une accusation en règle avec consti­tution d’une argumentation qui impute à un groupe dissident les difficultés du parti et permet de critiquer des erreurs, mises exclusivement au compte du groupe, est une pratique en honneur dans le Komintern depuis longtemps et dans le PCF depuis 1931 !

A la tribune d’un meeting communiste en 1936, Jacques Duclos à gauche et André Marty,  à droite. Ce dernier devient en 1939 le représentant français à l’exécutif du Komintern  à Moscou et jouera un rôle important dans les choix du PCF en 1940 et 1941.

A la tribune d’un meeting communiste en 1936, Jacques Duclos à gauche et André Marty,
à droite. Ce dernier devient en 1939 le représentant français à l’exécutif du Komintern
à Moscou et jouera un rôle important dans les choix du PCF en 1940 et 1941.

De ce point de vue l’hypothèse avan­cée par Roger Bourderon selon laquelle derrière la mise en cause systématique d’Odette Janvier dans le rapport Dal­lidet il y aurait Catelas, mérite d’être retenue à la lecture des mis­sives de Fried qui, dès le mois de mars, évoque systématiquement le travail de groupe opéré conjointement par Tréand et Catelas. Sachant que les documents, envoyés par Duclos, passaient par Bruxelles avant d’être transmis à Moscou, on ne peut écarter l’hypothèse complémen­taire que Fried ait joué un certain rôle dans la mise au point du dossier : il avait sur ce point une certaine expérience qu’il pouvait mettre au service d’une ligne politique nou­velle qui lui convenait, tout en recommandant que Tréand soit appelé en Union soviétique. Ce que ce dernier avait réclamé à son encontre par l’intermédiaire de Togliatti, en juin 1940 < ;

 

En conclusion

L’auteur loue le dévouement au Parti des militants communistes, dévouement allant jusqu’à la mort, jusqu’au sacrifice. Pour lui, Jean Catelas fut

Vouloir condamner l’adhésion inconditionnelle des communistes français aux objectifs politiques de l’Union soviétique est anachronique. L’ouvrier communiste de Renault qui sabotait les chars en partance pour le front ou celui d’Hispano-Suiza qui endommageait les moteurs d’avion se voulait le patriote d’un nouvel ordre social. Les soldats français qu’ils condamnaient à mort par leur acte criminel n’étaient pas à leurs yeux des compatriotes, mais des ennemis de classe.

Vouloir condamner l’adhésion inconditionnelle des communistes français aux objectifs politiques de l’Union soviétique est anachronique. L’ouvrier communiste de Renault qui sabotait les chars en partance pour le front ou celui d’Hispano-Suiza qui endommageait les moteurs d’avion se voulait le patriote d’un nouvel ordre social. Les soldats français qu’ils condamnaient à mort par leur acte criminel n’étaient pas à leurs yeux des compatriotes, mais des ennemis de classe.

l’honneur du PCF, lui qui obtempéra aux ordres de Duclos et de Thorez quelles qu’en fussent les conséquences. Toutefois, cet honneur des militants fidèles de septembre 1939 à juin 1941 s’accommode bien mal avec la historiographie mythique diffusée par le parti communiste après la guerre. Leur patriotisme militant était bien éloigné du patriotisme tout court des véritables résistants qui dès l’armistice ont pris des risques pour défendre leur idée de la France et de la liberté, sans attendre pour reprendre le combat que l’Allemagne hitlérienne attaque l’Union soviétique.

 

Christophe Dauvergne

 

La négociation été 1940 : crise au pcf Roger Bourderon Syllepse, 260 p., notes, annexes, ill., 15,24 E, ISBN 2-907993-22-2. www.syllepse.net

 

Archives des communistes

Jacques Borgé et Nicolas Viasnoff éditions Michèle Trinckvel, 190 p. grand format, relié sous jaquette, très nombreuses ill., textes, ISBN 2-85132-087-4.

 

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