FAISALABAD (Pakistan) de notre envoyée spéciale
ON dit, au Pakistan, que Faisalabad est une ville de nouveaux riches. Avec ses trois millions d'habitants, la " Manchester " du Pendjab n'a pas les prétentions culturelles de sa prestigieuse voisine, Lahore. Elle tient sa renommée du coton, et son nom du roi Fayçal d'Arabie saoudite, assassiné en 1975. Le chef des ismaéliens, l'Agha Khan, y a construit un hôtel de luxe pour hommes d'affaires, et les yellow cabs y prolifèrent avec une audace suspecte. Ces taxis jaunes sont l'éphémère parade au chômage des plus pauvres imaginée, pour le bien des plus riches, par Nawaz Sharif, premier ministre déchu au début de cette année et adversaire malheureux de Benazir Bhutto aux élections du 6 octobre.
Quand il fit édifier la cité, en 1890, suivant le modèle de l'Union Jack, le drapeau britannique (huit sections symétriques _ huit bazars _ se rejoignant autour d'une tour d'horloge), Sir James Lyall, gouverneur britannique du Pendjab, songea-t-il à l'avenir de sa ville ? A son affairisme courtois ? A son identité désordonnée ? Faisalabad n'est toujours pas dans les guides touristiques. Mais, par les hasards de l'histoire (le partage de l'Inde en 1947) et de la géographie (elle est à mi-chemin entre la tombe Chamseddine de Tabriz, à Multan, et celle de Data Ganj Baksh à Lahore, deux saints parmi les plus vénérés par les soufis), Faisalabad l'industrieuse est devenue le point de ralliement des familles qawwal, adeptes du chant mystique dédié à l'amour du Prophète.
Comme beaucoup d'autres, lors de la formation de l'Etat musulman, Ustad Fateh Ali Khan, grand maître de qawwali, musicien classique rompu à l'art du râga et du ghazal, passa du côté pakistanais. Il eut des fils et les forma à son savoir. L'un, né en 1948, s'appelait Nusrat. Il avait la voix " trop douce ". Son père, les élèves de son père, lui promirent un avenir bouché : un bon qawwal doit savoir traverser les octaves et les tempos. Le premier voulut l'envoyer faire des études. Les seconds se moquèrent de lui : apprenti chanteur, Nusrat le timide, le silencieux, avait des airs patauds. L'enfant s'enferma " seul, dans une chambre, jusqu'à ne plus penser qu'à la musique. Quand j'eus treize ans, mon père mourut. J'ai continué à m'entraîner au chant ". Obstinément.
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