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L’extrême droite près du pouvoir en Autriche

Le candidat du FPÖ Norbert Hofer affronte à nouveau l’écologiste Alexander Van der Bellen à l’élection présidentielle, dimanche.

Publié le 30 novembre 2016 à 10h48, modifié le 03 décembre 2016 à 11h09 Temps de Lecture 4 min.

Et soudain surgit Gertrude. Après près d’un an d’une campagne hors norme, qui vit l’extrême droite (FPÖ, Parti libéral d’Autriche) perdre l’élection de moins de 31 000 voix le 22 mai, mais réussir à faire invalider le scrutin par la Cour suprême en juillet pour vice de forme, il aura fallu qu’une survivante de la Shoah poste une vidéo sur Facebook pour qu’il soit rappelé aux Autrichiens, avec la réédition du scrutin le 4 décembre prochain, que la formation du candidat Norbert Hofer n’est pas un parti comme les autres.

Le témoignage de cette Viennoise âgée de 89 ans a été posté le 24 novembre, à sa demande, sur le compte du candidat indépendant Alexander Van der Bellen, qui aura réussi durant cette campagne à mettre en place une stratégie électorale en ligne innovante. Il a été visionné plus de trois millions de fois. Celle qui a perdu ses parents et ses deux petits frères à Auschwitz demande à ses concitoyens, et surtout aux jeunes, de barrer la route au FPÖ, « un parti qui tente de faire remonter à la surface ce que le peuple a de plus bas ».

« Quand les juifs ont dû nettoyer les trottoirs, énonce-t-elle, les Viennois s’arrêtaient pour les regarder en rigolant. Et c’est cette haine qu’on essaie de faire sortir de nouveau chez les gens. J’ai vécu la guerre civile à l’âge de 7 ans. Jamais je ne l’oublierai. » L’Autriche fut le théâtre d’affrontements qui opposèrent, en 1934, les militants socialistes aux fascistes. Plusieurs centaines de personnes perdirent la vie durant ce conflit. En 1938, le pays fut annexé par Hitler à l’Allemagne nazie.

« Héritier du courant “national-allemand” »

Des menaces ont visé cette année le candidat soutenu par les Verts, Alexander Van der Bellen. Une journaliste, connue comme étant l’une des meilleures spécialistes de l’extrême droite en Autriche, a également subi des intimidations sans précédent de la part d’internautes, sur les réseaux sociaux du FPÖ et dans les commentaires d’un site de « réinformation » proche du parti.

« Le FPÖ est la variante d’un phénomène européen qualifié de national-populiste », écrit Patrick Moreau, chercheur au CNRS dans une note du think tank Fondapol. Il appartient au groupe parlementaire européen formé à Strasbourg autour des élus du Front national. « Néanmoins, il est enraciné, tant du fait de son histoire qu’idéologiquement, dans le passé autrichien depuis le XIXe siècle. Il est un héritier du courant “national-allemand” et à travers lui du national-socialisme. » L’idéologie « nationale-allemande » est née lors du « printemps des peuples » qui secoua l’Europe absolutiste en 1848. Entre 1870 et 1918, les partis nationaux-allemands furent opposés à la monarchie et à l’Eglise catholique et montrèrent de plus en plus ouvertement leur hostilité aux « non-Allemands » dans l’empire, jusqu’à faire de l’antisémitisme de type racial l’une des composantes principales de leur discours.

Dans les années 1920, ils ont recruté leurs cadres au sein des associations duellistes estudiantines élitistes interdites aux juifs, qui servirent de vivier à Adolf Hitler, à la suite de l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne, en 1938. Après la guerre, le FPÖ fut fondé en 1955 sur les bases d’une organisation, la VDU, dont le fondateur, Herbert Kraus, dénonça dans la presse la « prise de pouvoir par un petit cercle d’extrémistes de droite et d’anciens chefs nazis » dissimulés sous le « camouflage » de déclarations consensuelles.

Le FPÖ n’a pas soldé son passé

Jamais le FPÖ n’a soldé ce passé. Au contraire, en 2005, Jörg Haider fut contraint de rompre brutalement avec sa famille politique et de créer un autre parti, le BZÖ, lorsqu’il voulut tardivement effectuer un travail d’inventaire pour se « libérer de ce marécage brun ». Ceux qui restèrent avec le FPÖ derrière un nouveau chef – Heinz-Christian Strache, toujours en poste – souhaitèrent au contraire continuer de s’inscrire dans une ligne historique.

Aujourd’hui, toutefois, le parti concentre ses déclarations publiques sur son hostilité à l’immigration musulmane, en accablant la chancelière allemande, Angela Merkel, jugée coupable d’avoir fait rentrer des terroristes en Europe avec sa politique d’accueil en 2015. Depuis quelques années, M. Strache punit sévèrement les dérapages sémantiques et tente un rapprochement avec Israël. Il a publiquement dénoncé la période nazie et son chapelet d’horreurs. En 2014, la tête de liste du FPÖ aux élections européennes, Andreas Mölzer, a dû retirer sa candidature après des semaines de polémiques au sujet de ses déclarations racistes.

Mais l’extrême droite joue avec la sortie de l’Autriche de l’Union européenne en réclamant un référendum en cas d’adhésion de la Turquie ou d’un renforcement du fédéralisme. Elle s’est rapprochée des pays de l’Est, menés par le souverainiste hongrois Viktor Orban, et souhaite que l’Autriche noue des liens plus étroits avec la Russie.

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Norbert Hofer, qui est l’un des théoriciens du FPÖ, est par ailleurs membre de Marko-Germania Pinkafeld, une corporation scolaire réservée aux hommes « allemands » selon un « critère de filiation biologique », explique le chercheur Bernhard Weidinger, du centre de documentation et d’archives sur la résistance (DÖW). Elle se définit en tant que « communauté culturelle allemande » voyant en la « patrie allemande » un ensemble cohérent, « indépendamment des frontières étatiques établies ».

« Fiction »

Ses membres ont le « devoir explicite » de s’engager politiquement pour « l’épanouissement du caractère national allemand » et, en conséquence, cette corporation rejette dans son texte fondateur « la fiction contraire au sens de l’histoire d’une nation autrichienne » telle qu’elle a été « vigoureusement plantée dans le cerveau des Autrichiens depuis 1945 ». M. Hofer a indiqué qu’il était en désaccord avec ce texte, mais ne veut pas quitter Marko-Germania.

Nombre des députés du FPÖ appartiennent à des corporations semblables. Deux de ses élus, sous couvert de l’anonymat, ont confirmé au Monde que ni les immigrés slaves, africains ou français, ni même les Autrichiens naturalisés ne pouvaient intégrer ces corporations, n’étant pas des « Allemands » de souche.

Tout cela a fait très peu débat dans la campagne, avant que Gertrude ne mette les pieds dans le plat. Sa modeste parole, contrairement à celle des experts et des journalistes, ne peut être dénoncée par le FPÖ sans dommage politique. Elle vient semer le trouble chez ceux, désormais presque majoritaires, qui jugent sincère la volonté de dédiabolisation de l’extrême droite.

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