La portée d’un prix littéraire est-elle fonction de la renommée de celui qui lui a donné son nom ? Si oui, alors précipitons-nous tous sur l’œuvre de Christophe Thouard, alias Mo/CDM, lauréat en avril du prix Gotlib pour Tirez sur mon doigt, monsieur le président (Fluide glacial, 2023), un recueil de gags en une planche, initialement parus dans la revue humoristique. Marcel Gottlieb (1934-2016), alias Gotlib, oui, en personne : le génie du second degré appliqué au 9e art ; le Danube de la dérision façon phylactère ; « Deconum Rex » – le roi de la déconnade –, comme il aimait se caricaturer sur un mode statue antique, des lauriers sur la tête…
Foin de comparaison hâtive, cela dit. « Ce prix est décerné à des auteurs dont la tonalité rappelle celle de Marcel », tempère Mo/CDM, qu’aucune effronterie mal placée ne conduit à se prendre pour qui il n’est pas. Et d’évoquer, avec gourmandise, le jour où il put côtoyer de près le maître, à l’occasion d’un week-end de trois jours dans la maison de campagne du dessinateur Jean Solé, compagnon de route du créateur de la Rubrique-à-brac. « Solé m’avait conseillé de ne pas lui dire “J’adore ce que vous faites”, car il détestait ça, mais de lui parler des [humoristes britanniques] Monty Python. Il avait déjà plus de 75 ans, je me souviens de lui comme d’un gamin espiègle. »
L’« espiègle » Gotlib connaissait-il l’origine du drôle de pseudonyme de ce disciple de trente-cinq ans son cadet, devenu un pilier de Fluide glacial, publication créée par Gotlib lui-même en 1975 ? Né à Papeete dans un foyer de métropolitains, l’enfant, appelé Christophe, se voit alors donner un deuxième prénom polynésien par son père, employé au Commissariat à l’énergie atomique : Heimoana (« couronne du bleu profond de la mer », en tahitien). « Ado, j’étais tout le contraire des Polynésiens, qui sont grands [lui mesure 1,62 mètre], bronzés et forts en surf. Trouver un diminutif est apparu rapidement comme une évidence », confie-t-il. Va pour « Mo ».
Savants fous et milliardaires blasés
La mention CDM est, elle, l’abréviation d’un fanzine baptisé Chieurs de mondes, créé au sein du lycée Paul-Valéry, dans le 12e arrondissement de Paris, où la famille Thouard était revenue s’installer. Tirée à deux cents exemplaires et distribuée dans l’enceinte de l’établissement avec l’aval du proviseur (« qui [leur] avait d’abord dit : “Hors de question”, avant de se raviser s[’ils] corrig[eaient] une faute d’orthographe sur la couverture »), la micropublication verra éclore, outre Mo/CDM, deux autres auteurs de BD professionnels : Julien Solé (alias Julien/CDM), le fils de Jean Solé, et Ralph Meyer (alias Ralph/CDM).
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