Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?
Offrir Le Monde

Alain Juppé : "Je n'ai jamais cru à la rupture"

En avril, le maire de Bordeaux développe son "offre" en tirant les leçons de l'échec de la droite aux élections régionales.

Par Propos recueillis par Françoise Fressoz et Sophie Landrin

Publié le 10 avril 2010 à 13h42, modifié le 16 décembre 2010 à 17h14

Temps de Lecture 8 min.

Alain Juppé est entré en campagne. Pas contre Nicolas Sarkozy qui, assure-t-il, "reste le candidat naturel de la droite en 2012" mais en alternative, si d'aventure le président de la République décidait de ne pas se représenter. Dans l'entretien qu'il accorde au Monde, trois semaines après l'échec de la droite aux élections régionales, le maire de Bordeaux se démarque de "la rupture" que M. Sarkozy a voulu incarner. Face au "pessimisme" des Français, il appelle au "rassemblement", défend l'idée d'une grande réforme fiscale et revendique l'héritage "gaullo-chiraquien".

Qu'arrive-t-il à Nicolas Sarkozy ?

Après la sarkofolie, la sarkophobie ! Une partie du désamour est incontestablement liée au style, mais il faut relativiser les mouvements d'opinion. Il y a deux mois, Barack Obama était au fond du trou, il a fait voter la réforme de l'assurance-maladie et repris la main. Tout cela va et vient.

Plus profondément, la crise économique, que personne n'avait prévue, a complètement changé le regard de l'opinion publique sur l'action de Nicolas Sarkozy. C'est en grande partie injuste, car il a bien géré la crise.

Alors, d'où vient l'erreur ?

Peut-être du rythme des réformes. On ne peut pas tout faire en même temps, en bousculant trop d'habitudes à la fois, et en coalisant trop de mécontentements.

C'est cela qui s'est manifesté dans les urnes, lors des élections régionales. La réforme des collectivités territoriales dans son calendrier et ses modalités nous a coûté cher. Elle a permis à l'opposition socialiste de mener une campagne forcenée qui a marqué l'opinion. On a sous-estimé le pouvoir d'influence que représentent 600 000 élus.

Faut-il abandonner la réforme ?

Non, maintenant qu'elle est lancée, autant aller jusqu'au bout. Elle a des aspects positifs, notamment sur le rapprochement possible entre le citoyen et le futur conseiller territorial

Comprenez-vous le recul de Nicolas Sarkozy sur la taxe carbone ?

Quand quelque chose n'est pas compris, mieux vaut se donner le temps de rectifier le tir. Mais on ne peut pas se contenter de dire qu'on va attendre que les Européens se mettent d'accord sur une taxe carbone aux frontières. D'autres pays, comme la Suède, ont verdi leur fiscalité sans souffrir d'une perte de compétitivité

Newsletter
« Politique »
Chaque semaine, « Le Monde » analyse pour vous les enjeux de l’actualité politique
S’inscrire

Le sénateur UMP Alain Lambert affirme que Nicolas Sarkozy ne doit pas se représenter en 2012, parce qu'"il n'est pas en situation" de faire gagner la droite. Est-ce aussi votre avis ?

Non, le candidat naturel de la droite en 2012, c'est Nicolas Sarkozy. Mais s'il advenait qu'il décide de ne pas se représenter, l'UMP devra organiser des primaires. Dans ce cas, j'envisagerai de concourir.

Donc, vous êtes porteur d'une offre alternative ?

Soyons modestes. Le quotidien Sud-Ouest a récemment commandé un sondage : 34 % des Français pensent que je ferais un bon président de la République, 65 % sont d'un avis contraire. Mais, après tout, on peut penser que pour quelqu'un qui n'est pas très présent dans le débat national, cela constitue une bonne base de départ. Je vais préciser mon offre autour de deux ou trois sujets qui me tiennent à coeur.

D'abord, le pessimisme des Français. Nous sommes le peuple le plus pessimiste d'Europe, alors que nous avons un très haut niveau de vie, des atouts formidables, un sentiment de vie agréable dans les villes.

Mais il y a la peur de la mondialisation, une perte de confiance des citoyens dans leurs élus, des Français les uns envers les autres. J'ai trouvé détestable tout ce qui était de nature à monter les communautés les unes contre les autres, à l'occasion du débat sur l'identité nationale. Nous avons besoin de rassemblement, de réconciliation, de recherche du consensus pour essayer de progresser.

Vous n'adhérez pas à l'idée d'une loi d'interdiction générale de la burqa, comme le plaide Jean-François Copé ?

Non. Soyons clairs ! Cette pratique, qui n'est pas une prescription religieuse mais une habitude importée de certaines zones géographiques, est contraire aux valeurs de la République. Mais une loi générale risque de donner le sentiment d'une stigmatisation de l'islam. Le premier ministre a choisi la bonne démarche en demandant l'avis du Conseil d'Etat sur les mesures qui s'imposent. On devrait suivre cet avis.

L'idée de rassemblement est à la mode. Des socialistes comme Manuel Valls appellent à un pacte national sur les retraites. Vous y croyez ?

Oui, parce que le constat est consensuel et qu'on sait sur quels paramètres jouer : la durée de cotisation, l'âge réel de départ à la retraite, le tout en intégrant la pénibilité. Quand on est au pied du mur et qu'on doit assumer ses responsabilités, il n'y a pas trente-six solutions. Le lapsus de Martine Aubry lorsqu'elle a évoqué l'âge de la retraite n'en était, à mon avis, pas un.

Quelles réformes préconisez-vous pour lutter contre le mal-être français ? Un paradoxe me frappe : nous avons le système de protection sociale le plus sophistiqué du monde, et pourtant la pauvreté et la précarité augmentent, ainsi que le sentiment d'injustice. Cela nous oblige à prendre à bras-le-corps la question du logement, notamment pour les travailleurs pauvres, et à remettre à plat tout notre système fiscal, pour le rendre efficace et plus juste. Il faut s'interroger sur le rapprochement entre l'impôt sur le revenu et la CSG, la retenue à la source, la modulation de l'impôt sur les sociétés, la TVA qui n'est pas l'impôt abominable décrit par certains. Elle est neutre sur le plan de l'investissement, taxe les textiles chinois que nous importons, mais épargne les Airbus que nous vendons à l'étranger. TVA sociale, TVA verte, il ne faut rien s'interdire dans la réflexion.

Est-ce votre récent travail au côté de Michel Rocard qui vous conduit à proposer, comme les socialistes, une grande réforme fiscale ?

Je discute beaucoup avec lui, et, sur certains sujets, c'est vrai, nous nous retrouvons. Si je ne suis pas "de gauche", c'est notamment que, du temps de ma jeunesse universitaire, je ne supportais pas l'arrogance des intellectuels de gauche.

Nicolas Sarkozy doit-il renoncer au bouclier fiscal ?

Je lui conseille de l'adapter. Il semble qu'il en ait l'intention, puisqu'il vient d'annoncer "un prélèvement spécifique sur une catégorie de la population". Attendons de voir ce que cela signifie précisément. En tout cas, ce que je ne digère pas, c'est le triomphe de la cupidité. C'est indécent de voir les bonus, les "retraites chapeau", toutes ces rémunérations extravagantes qui se chiffrent par millions d'euros et que rien ne justifie, alors qu'on explique par ailleurs qu'il n'est pas possible d'augmenter les bas salaires de 20 euros.

Ma proposition : une tranche d'impôt sur le revenu de 50 %, qui s'applique non pas comme d'habitude aux classes moyennes mais aux très hauts revenus.

Peut-être faut-il aussi s'interroger sur l'ISF (impôt de solidarité sur la fortune), et envisager une exonération de la résidence principale. Les bénéficiaires du bouclier fiscal ne sont que 20 000, mais on compte 500 000 redevables de l'ISF. Parmi eux, des cadres qui ont acheté leur logement à Paris, il y a quinze ans. Je reconnais que le sujet est casse-gueule. On a perdu les élections en 1988 après avoir supprimé l'impôt sur les grandes fortunes et celles de 1997 après avoir supprimé le plafonnement de l'ISF.

Vous avez annoncé la création d'un "think tank". Avec qui allez-vous mener votre réflexion ?

Des élus, des économistes, des syndicalistes, des représentants d'entreprise, des militants associatifs, s'ils l'acceptent, en essayant autant que possible de transcender les étiquettes politiques. Lorsqu'on arrive à un tel désamour à l'égard des politiques, à un tel doute face à leur capacité d'action, mieux vaut rechercher, autant que possible, le consensus. J'en parle en connaissance de cause.

Vous faites allusion à votre période "droit dans mes bottes" ?

Dans certaines circonstances, il vaut mieux apparaître droit dans ses bottes que mou dans ses baskets !

Pourquoi ne travaillez-vous pas plus directement au sein de l'UMP ? Son fonctionnement vous déplaît ?

L'objectif de l'UMP, lors de sa création en 2002, était de constituer un pôle majoritaire pour sortir de cette bagarre incessante entre le RPR et l'UDF, qui a amené aux défaites de 1981 et 1988. Cette stratégie reste la bonne, mais le parti souffre d'un déficit de débat, de diversité, d'anticipation. Il faut que l'UMP évolue, revienne vers sa philosophie première, un rassemblement de sensibilités différentes qui puissent s'exprimer librement. Je suis pour la reconnaissance des sensibilités. J'ai peut-être commis une erreur en 2004, lorsque j'en ai été le président, en n'allant pas plus loin dans la reconnaissance des courants.

Si M. Sarkozy ne se représente pas, vous risquez de vous retrouver en compétition avec François Fillon, Jean-François Copé, Dominique de Villepin...

J'ai un avantage et un inconvénient : dix ans de plus qu'eux. L'expérience peut servir. Nicolas Sarkozy avait été élu par effet de contraste face à un président que l'on disait roupillant et en bout de course. Aujourd'hui, retournement de tendance, on entend "Vive Chirac, lui, au moins, ne bousculait pas".

Vous revendiquez pleinement l'héritage de Jacques Chirac ?

Je me sens la fibre gaullo-chiraquienne. Mon gaullisme, c'est une pensée politique qui allie patriotisme et humanisme. Chirac y a ajouté un certain pragmatisme, une connaissance de la France profonde, du terroir, de la ruralité. On a une histoire, un passé, une culture. Même dans notre société de l'instantanéité absolue, de l'inconstance, il y a des tendances profondes qu'il faut sentir. Je ne crois pas à la rupture. Je n'y ai jamais cru.

La fibre gaullo-chiraquienne est également mise en avant par Dominique de Villepin. Qu'est-ce qui vous différencie ?

Je ne suis pas anti-Sarkozy. J'ai de l'amitié pour lui. Je me considère dans la majorité, mais avec ma liberté de parole.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.