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« Il y a trop de temps passé (toute l'histoire vient de là) » : Les temps verbaux pris dans la reconduction du même

[article]

Année 2011 131 pp. 37-42
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L’Information grammaticale n° 131, octobre 2011 37 Aude Laferrière «Il y a trop de temps passé (toute l’histoire vient de là)* » Les temps verbaux pris dans la reconduction du même

Introduction

Selon Joris Lacoste, l’écriture théâtrale, depuis Anouilh, Giraudoux ou Sartre, travaille à «accentue[ r] le jeu que la parole se joue à elle-même, les activités rythmiques, les variations formelles, les conjugaisons d’affects, les débordements verbaux de toute sorte 1 » . Si Juste la fin du monde s’inscrit pleinement dans ce sillage, c’est qu’il y a bien dans cette pièce une multitude de «conjugaisons » au sens premier de variations de formes temporelles et de «débordements verbaux » , au sens littéral de surabondance de formes verbales.

Le «temps linguistique » est tiré sur le devant de la scène et brouille même «le temps chronique » , «temps des événements » 2. De manière emblématique, la seule notation calendaire est le «8 mars » (p. 28). Mais ce qui devrait être une datation fonctionne ici comme une marque cyclique et non chronique : elle équivaut à «chaque 8 mars » . Ainsi, elle ne suffit pas à placer le procès correspondant dans une linéarité chronologique : il s’agit d’une date anniversaire, événement cyclique s’il en est. En outre, les temps verbaux dans Juste la fin du monde

semblent correspondre, non plus au temps physique, mais à un temps métaphysique, pour des événements perçus comme d’outre-tombe. Ainsi, alors que le présent est le «centre générateur et axial » 3 du temps, qui plus est au théâtre, genre de la présence centré sur le hic et nunc par excellence, dans Juste la fin du monde, le présent de l’énonciation de Louis semble parfois difficile à situer, créant une présence en point de fuite, pour un personnage, qui, comme l’affirme la Mère n’est pas «toujours tellement tellement présent » (p. 21). Cette absence, déplorée par ses proches au sein de l’intrigue, est même donnée à voir par la structure de la pièce avec l’existence de nombreux monologues de Louis (prologue et épilogue notamment), signal d’une parole solitaire, ne parvenant pas à formuler l’annonce de sa mort qui motivait pourtant sa venue. Ce qui condamne la parole de Louis à rester en marge – sa voix semble émaner des limbes – est un temps familial dominé par la répétition. Dans ce contexte

1. «Il est temps» : le temps en scène

(*) Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde [ 1999], Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2004, p. 38. 1. Joris Lacoste, cité par Chistian Biet et Christophe Triau, Qu’est-ce que le théâtre ?, Paris, Gallimard, coll. «Folio essais » , 2006, p. 647. 2. Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, 2, Paris, Gallimard, coll. «Tel » , 1974, p. 70. 3. Ibid., p. 73.

corseté par les habitudes, Louis ne peut révéler l’inédit, la rupture par excellence qu’est la mort, et devra, pour ce faire, adopter une énonciation posthume.

Les temps, au sens de tiroirs verbaux, sont tirés sur le devant de la scène par Jean-Luc Lagarce : un retour métalinguistique est opéré sur eux, par la figure massivement présente du polyptote, tel que «Je pers. J’ai perdu » (p. 47). Cette variation formelle sur le même paradigme verbal peut être personnelle (avec simple changement de sujet syntaxique mais conservation du même temps) :

je me suis énervé, on s’est énervés (p. 55) Il ne change pas, je le voyais tout à fait ainsi, tu ne changes pas, il ne change pas […] (p. 10)

Le retour à la ligne renforce l’aspect formel d’une conjugaison en recréant plus précisément l’aspect visuel des listes de formes fléchies, telles qu’on les apprend dans les tableaux de conjugaison. Cependant ici, la répétition («Il ne change pas » ) s’est substituée à la progression (je, tu, il…) des conjugaisons. La déclinaison peut être aussi uniquement temporelle :

Ce ne doit pas, ça n’a pas dû, ce ne doit pas être (p. 18) [….] on ne t’aime pas, qu’on ne t’aimait pas, que personne, jamais, ne t’aima. (p. 69)

La reformulation peut même superposer variations temporelle et personnelle :

je crois, nous croyons, nous avons cru (p. 16)

Les temps verbaux relèvent ainsi pleinement de cette poétique de l’auto-correction décrite par Cécile Narjoux 5. Ces juxtapositions verbales semblent marquer un refus d’une assignation temporelle univoque des procès, comme s’il s’agissait à chaque fois de les réinscrire dans une continuité. Le procès peine à être ancré et isolé dans une époque de la chronologie unique, à être campé dans sa singularité événementielle. C’est

4. Juste la fin du monde, op. cit., p. 47. 5. Cécile Narjoux, ««J’allais rectifier » : auto-rectification et auto-reformulation dans Juste la fin du monde » , in La rectification, dir. Candéa Maria et Reza-Mir Sami, Ophrys, coll. «L’homme dans la langue » , 2010, p. 131-150.

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