La genèse des jardins d'Eyrignac
La terre d'Eyrignac se transmet de génération en génération depuis 500 ans. L'histoire de cette famille périgourdine est profondément liée à celle du jardin du Manoir dont le premier état remonte au XVIIIe siècle. Comme nombre de jardins historiques français, celui d'Eyrignac a été soumis aux modes pour subir de profondes transformations, d'un jardin à la française devenant un parc à l'anglaise au XIXe siècle.
C'est Gilles Sermadiras de Pouzols de Lile, 21e descendant de la famille Costes de la Calprenède, qui donnent aux jardins d'Eyrignac leur forme actuelle. Aidé dans sa folle entreprise par son fils, Patrick, dépositaire de l'œuvre de son père, Gilles Sermadiras, amateur d'art certes mais novice en matière d'art des jardins, ne se doutait pas qu'il allait créer ce qui serait l'un des lieux les plus visités de Dordogne et labellisé « Jardin Remarquable ». Au cours d'un entretien, Patrick Sermadiras, a eu la gentillesse d'évoquer la genèse des jardins d'Eyrignac.
Patrick Sermadiras, quelles ont été les motivations de votre père, Gilles, de créer ce jardin ?
Mon père a passé son enfance à Eyrignac, c'était son terrain de jeu et très tôt il a imaginé des plans pour transformer les jardins. Lorsqu'il a hérité d'Eyrignac, il a aussi hérité d'un jardin à l'anglaise à l'abandon. Il a été confronté au fait qu'il est impossible de remettre en l'état un jardin qui n'a pas été entretenu pendant 50 ans. Et, puis il avait l'intime conviction qu'un jardin à la française conviendrait mieux stylistiquement aux bâtiments XVIIe et XVIIIe siècles qu'un jardin à l'anglaise.
Pour un projet d'une telle ampleur, comment s'est déroulée la phase préparatoire ?
Avant de mettre son projet à exécution, il a fallu à mon père 20 années de réflexion passées à faire des plans, des croquis et des maquettes. Dans un premier temps, il commandé des plans à 2 paysagistes de métier, Russel Page et Loup de Vianne, mais il n'a pas été convaincu par leurs propositions ; il a donc décidé de faire ses propres plans. Ce qu'il faut savoir, c'est que mon père était un décorateur de talent, mais qu'il n'avait que très peu de connaissances en art des jardins et aucune en jardinage. Il avait 2 références en tête : Versailles et Villandry. Pour vous dire à quel point il ne s'y entendait point en jardinage, il voulait créer un jardin de verdure avec des gazons et des topiaires… sans entretien. Les gazons et les topiaires sont une réussite, en revanche l'absence d'entretien est évidemment un échec cuisant car il faut une équipe de 6 jardiniers à l'année pour prendre soin d'Eyrignac.
Quelles ont été les grandes étapes de la création des jardins d'Eyrignac ?
Les travaux ont débuté vers 1960. Mon père a fait venir un bulldozer pour mettre le terrain complètement à nu. En dehors bien sûr des bâtiments, de bassins, de sculptures et d'arbres centenaires, tout ce qui restait du jardin à l'anglaise a été rasé pour partir d'une page blanche. Nous avons ensuite attaqué la phase de piquetage, puis nous avons tiré des cordeaux pour délimiter les futurs aménagements. Mon père avait les idées, dirigeait, et moi, âgé de 17 ou 18 ans, je faisais le manœuvre.
Nous avons commencé par l'allée des Vases, une perspective d'ifs décorée de vases italiens dans lesquels sont plantés des topiaires taillés en boule, puis nous avons enchaîné avec le jardin français, au pied du Manoir, pour finir avec l'allée des Charmes. L'allée des Charmes est unique, je me plais à l'appeler « les Champs Elysées des jardins ». En réalité, elle a été créée en 3 temps, à partir de 1966. D'abord, les virgules de charmes, puis 2 années après, pour équilibrer l'ensemble, mon père a fait rajouter des ifs taillés en cylindre. Enfin, pour adoucir l'effet, il a fait planter de part et d'autre un verger de pommiers, pas tant pour avoir des pommes, mais parce que les pommes sont rondes, elles sont rouges aussi, mais surtout, elles sont rondes et d'ailleurs vous noterez que le feuillage des pommiers est taillé en boule.
Il faut imaginer, même si cela est difficile aujourd'hui, que lorsque les ifs, les charmes, les buis, les cyprès, etc. ont été plantés, tout était au ras du sol, car nous ne plantions que des sujets jeunes arrivés à Souillac par le train. Il a fallu attendre 7 à 8 ans avant que les topiaires ne prennent forme et bien plus longtemps pour que le jardin arrive à maturité et corresponde à la maquette de mon père.
Des espaces plus récents existent, ont-ils tous été imaginés par votre père ?
Le jardin blanc est la dernière création de mon père. Il a été inauguré en 2002. Mon père souhaitait compléter le jardin initial d'un petit jardin secondaire, une sorte de jardin secret, à l'écart. Le jardin blanc doit son appellation aux fleurs blanches, principalement des roses qui y sont plantées. Le bassin placé au centre de ce jardin est orné de quatre grenouilles de bronze qui sont un clin d'œil au bassin de Latone de Versailles. C'est un espace harmonieux duquel se dégage une réelle sérénité.
Avec mon épouse, Capucine, nous apportons notre pierre à l'édifice. Nous avons créé le jardin potager, le jardin fleuriste et le jardin des Sources, pour notre plaisir bien sûr, mais aussi pour celui des visiteurs.
Aujourd'hui Eyrignac est l'un des lieux les plus visités de Dordogne. Pourtant parmi les motivations de votre père, vous n'avez pas cité l'ouverture au public.
Initialement, Eyrignac n'a pas été fait pour le public, c'était un jardin privé, c'est pour cela que l'on pouvait se permettre des allées de gazons. Si nous avions dès le départ eu le projet d'ouvrir au public, nous aurions peut-être fait un autre choix. En outre, l'intérêt du public pour les jardins est relativement récent au regard de l'intérêt porté aux autres formes d'art. Nous avons pris la décision d'ouvrir les jardins au public en 1987, et à notre grande surprise, nous avons accueilli dès le début un grand nombre de personnes. Les visiteurs sont très respectueux. Ils ont conscience qu'Eyrignac est un lieu privé, fragile, entretenu avec beaucoup de soin.
Merci Patrick
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