Etats d'âme avec Franz-Olivier Giesbert: "Je ne cherche pas l’amour de mes confrères"
- Publié le 02-04-2017 à 10h30
- Mis à jour le 05-04-2017 à 15h52
Dans cette rubrique, "Etats d’âme", nous tentons de découvrir l’homme ou la femme qui se cache derrière le personnage public. Nous cherchons l’origine de l’engagement professionnel, la source, l’étincelle qui a déclenché les choix, les passions.
Après avoir rencontré plusieurs personnalités politiques (Charles Michel, Paul Magnette, Emily Hoyos, Olivier Maingain, Joëlle Milquet), nous changeons de registre : voici le parcours et les convictions de Franz-Olivier Giesbert.
Pourquoi vous a-t-on prénommé Franz-Olivier ?
Mon père était américain et avait été GI pendant le Débarquement. Ma mère était normande. Après la guerre, ils ont décidé d’aller vivre aux Etats-Unis, dans le Delaware. Je suis né là-bas. Mon père avait une grande passion dans la vie : Schubert, qu’il écoutait toute la journée. Donc, il voulait m’appeler Franz. Mais ils voulaient rentrer en France. Ils ont donc ajouté Olivier. Sur ma timbale de baptême, il est écrit FOG : ils étaient très contents de leur trouvaille. Aux Etats-Unis, ils m’appelaient Franz. Arrivés en France - j’avais trois ou quatre ans - mes parents ont décidé de m’appeler Olivier. Moi, je ne voulais pas : je ne répondais pas quand on m’appelait Olivier. Mais mon tout premier article, je l’ai signé Franz Giesbert, et j’ai vu qu’il y avait un truc qui ne faisait pas français. J’ai donc décidé de signer Franz-Olivier Giesbert. Aujourd’hui encore, je déteste qu’on m’appelle Franz-Olivier. On m’appelle Franz.
Vous sentez-vous français, américain ?
Je me sens toujours à cheval sur la double culture, mais j’ai choisi. Je suis un Franco-Américain qui a choisi la France et qui se dit français.
Dans quel milieu familial avez-vous grandi ?
Mes parents étaient des intellectuels. Mon père était artiste-peintre et ma mère, professeur de philo.
Comment vous est venue l’envie de consacrer votre vie à l’écriture ?
Ma mère lisait beaucoup d’essais. Mon père était porté vers les romans, qu’il dévorait. Il m’avait notamment obligé à lire Saul Bellow. A neuf ans, dans la bibliothèque, je suis tombé sur "Quatre-vingt-treize" de Victor Hugo. J’ai été fasciné par ce livre. Du coup, j’ai lu presque tout Hugo. Même chose avec Balzac. A neuf ans, j’ai donc décidé de devenir écrivain : j’ai écrit des romans, des essais, tenu un journal. J’ai aussi écrit des pastiches. Puis j’ai eu ma période russe avec Dostoïevski, américaine avec Steinbeck. Toute mon enfance, je l’ai passée dans la nature ou à lire.
Vous auriez pu être écrivain. Pourquoi avoir choisi aussi le journalisme ?
C’est venu par hasard. J’étais en seconde au lycée. J’ai eu une espèce d’emballement pour Giacometti. Avec des copains, on a décidé de faire un journal. Je l’ai fait uniquement pour pouvoir rencontrer Giacometti. Je l’ai vu, il a été formidable avec moi. J’ai écrit un article. Je l’ai revu plusieurs fois. Deux ans plus tard, j’ai proposé un article au journal "Paris-Normandie" sur Giacometti. Le rédacteur en chef m’a dit "c’est de la merde". J’ai réécrit : il a été accepté. On m’a engagé pour faire la locale, les chiens écrasés. J’ai aussi proposé des entretiens dans les pages littéraires : Aragon, Montherlant et les grands écrivains de l’époque. Ma mère était affolée à l’idée que je devienne écrivain; je l’ai donc rassurée avec le journalisme.
Qu’avez-vous cherché dans votre carrière de journaliste : la vérité sur l’Histoire, le sens du pouvoir, l’âme des hommes ?
En fait, je n’ai pas fait carrière… J’ai pris les trucs qui m’intéressaient, qui m’amusaient. La vérité ? C’est toujours un bout de vérité qu’on donne. Mais j’ai adoré aussi faire de grands articles sur le sommeil, des enquêtes scientifiques, économiques, sportives.
Vous occcupez une place à part dans le journalisme, en France. Les portraits répètent souvent les mêmes adjectifs : dandy, don juan de pouvoir, obsédé, doté d’un plaisir inné de la transgression…
Dandy parisien ! Quand mes enfants lisent cela, ils se marrent. Dandy ? Mes enfants me voient toujours habillé n’importe comment. Voyez aujourd’hui, je n’ai pas fait attention : je me suis trompé, j’ai pris un pantalon que je ne porte jamais, il est trop petit, je devrais le jeter… Je ne suis pas parisien : je suis normand ou marseillais. Ces portraits racontent toujours les mêmes choses. C’est le problème de la presse : les journalistes passent leur temps à se recopier. Mais je le vis très bien.
Transgressif, quand même : vous êtes passé du "Nouvel Obs" au "Figaro" puis au "Point"…
Je suis devenu patron du "Nouvel Observateur" parce qu’ils ne trouvaient personne. C’est tombé sur le petit jeune… Je me suis laissé prendre par le métier de directeur de rédaction puis de directeur. Cela devait être un réflexe de jeune coq. Mais si j’ai fait tout cela, c’est parce que, toute ma vie, j’ai toujours voulu garder une grande liberté. Quand j’ai quitté les journaux, c’était toujours pour des questions de liberté. J’ai toujours voulu rester libre partout. Mes parents m’ont donné le goût de la liberté : il faut toujours dire ce que l’on pense. Après, on verra. C’est peut-être un côté américain, aussi. Si cela ne marche pas, on fait autre chose. J’aime renaître. Je ne suis donc pas un professionnel de la transgression. Et surtout, je me fous pas mal de ce que l’on dit de moi… J’ai de vrais amis dans la presse, mais je n’ai jamais cherché l’amour des confrères.
On vous applique cette formule : "Les journalistes lèchent, lynchent et lâchent…"
On a dit cela quand j’ai écrit mes livres sur Mitterrand et Chirac. J’avais, avec eux, des relations "viriles". Il y a eu des périodes de fâcheries puis de réconciliations. Le meilleur démenti à ce genre de propos, ce sont les "cadeaux" que m’a faits Mitterrand. Si je l’avais lynché, pourquoi m’aurait-il offert ses meilleures interviews, y compris quand j’étais au "Figaro" ? Il m’a donné des trucs tellement énormes que moi, en retour, je lui faisais aussi des cadeaux. Avec Chirac, c’était pareil.
Vous avez adoré votre mère, totalement ignoré votre père jusqu’à sa mort, violent avec vous. Est-ce pour cela que vous avez cherché d’autres pères ?
Oui, j’ai cherché d’autres pères : Jean Daniel, dans le journalisme, François Mitterrand en politique, Julien Green aussi. Les deux premiers, j’avais besoin de les aimer. De les tuer un peu aussi. Pas Julien Green. Je suis un peu leur enfant. Je ne l’ai jamais caché.
Quels ont été vos grands bonheurs professionnels et personnels ?
Les grandes joies professionnelles ont souvent été liées au succès de mes romans. Puis, il y a mon côté "petit con" : quand j’ai repris des journaux et qu’ils marchaient vite très bien, j’adorais voir les ventes se redresser. Les bonheurs personnels ? Je suis assez contemplatif, assez vite heureux : être avec des gens que j’aime, cela me suffit. Même si tout va mal autour de moi, je me remets vite. Avec un bon verre de rouge, une belle vue sur la montagne au pied de laquelle se trouve la maison de famille, une terrasse d’un café face à la mer, à Marseille… C’est une force que je tiens de ma mère.
S’il y avait des oliviers et du soleil, pourriez-vous vivre en Belgique ?
J’adore la Belgique, je suis heureux chaque fois que j’y viens. Je me sens toujours chez moi partout. Ici, l’esprit est un peu comme à Marseille. Le seul problème, c’est la pluie. Au bout d’un certain temps, j’en ai marre. J’ai tendance à penser que les journées avec de la pluie sont des journées "en moins" dans une vie. C’est plus facile d’être en harmonie avec le monde quand il ne pleut pas.
Vous faites toujours vos confitures…
J’adore faire des confitures. Je me suis replié sur des valeurs sûres : les abricots, les fraises et les poires. Un peu de rhubarbe. Il n’y a pas de secret : il faut acheter des fruits au sommet de la saison, de préférence un peu petits. Il ne faut pas hésiter à acheter des produits chers. Et surtout, pas trop de sucre.
Quel sens donnez-vous à la vie ?
Je ne me pose absolument jamais la question. Cela explique le bonheur que j’ai en moi. Je vis dans un rapport fusionnel avec le reste du monde. Je suis dans l’harmonie. Je ne m’interroge jamais.
Je suis croyant par ma mère. Mon christianisme m’a suffi pendant assez longtemps. Puis j’ai découvert Spinoza, Giono. J’ai élargi mon christianisme vers le panthéisme. L’idée d’être en communion avec le ciel, la terre, les éléments, les animaux, les êtres qui vous sont chers, c’est cela, ma vie.
Etes-vous obsédé par la mort ?
Par la mort, non. Par l’âge, oui. Le fait que le corps ne réponde plus, que les articulations deviennent douloureuses, c’est difficile à accepter. Il me faut désormais deux, trois jours pour me remettre d’une nuit blanche. Avant, ça roulait tout seul. Maintenant, on est fatigué plus vite.
Dans le livre, "Le vieil homme et la mort", vous dites à Mitterrand : "Les morts sont plus proches de nous que les vivants…"
Je le crois fondamentalement. Là, je vous parle en ce moment et je vois ma mère, qui est morte il y a trente ans. Les morts circulent. C’est étrange. J’ai été élevé à la campagne : là-bas, la mort y est naturelle. Quand un homme devient vieux, il fait descendre son lit. Puis il s’y installe et tourne la tête vers le mur et dit : voilà, c’est fini.
Quand vous revoyiez Mitterrand après une brouille, il vous demandait : "Croyez-vous toujours en Dieu" ?
Je lui répondais "toujours". Il me disait : "Quelle chance vous avez…" Oui, je crois toujours en Dieu, je crois en une force supérieure, je crois en la transcendance. Toujours, toujours. Je n’ai jamais de doute. Je n’ai jamais mis cette foi en doute. J’aime aller dans les églises, allumer un cierge et dire merci. Mon bonheur, c’est aussi écouter de la musique classique qui m’emmène très haut. En ce moment j’écoute le "Requiem" de Brahms. Celui de Mozart est triste : en écoutant Brahms, j’éprouve un réel sentiment de communion avec le monde. Il y a une forme de joie. J’ai besoin de cela.
Votre mère disait que vous aviez une foi "indigeste"…
Il est vrai que je mélange beaucoup. J’adore la figure de Bouddha, je ne vois pas pourquoi je ne peux pas le mettre dans mon panthéon religieux. J’ai été très influencé par Spinoza, même s’il est un peu contradictoire avec le christianisme parce qu’il dit que Dieu, c’est nous. Je vois les choses comme cela. Je crois au Dieu univers et pas au Dieu créateur. L’idée que l’homme est tout en haut de l’échelle de la création me paraît grotesque. Mais ma religion, c’est du christianisme, un peu de bouddhisme, un peu de taoïsme aussi. Je suis très heureux avec cela.
Quelle sera votre épitaphe ?
J’aime beaucoup : "Merci, la vie". Oui, j’aime la vie, je suis très heureux d’avoir vécu. De vivre. Et je veux vivre encore longtemps.
Bio express
18 janvier 1949. Naissance à Wilmington (Etats-Unis).
A 19 ans, il collabore aux pages littéraires de "Paris-Normandie". Il entre ensuite au service politique du "Nouvel Observateur" avant d’en prendre la tête.
1985. Directeur de la rédaction du "Nouvel Obs". Il rejoint "Le Figaro" en 1988 qu’il quitte en 2000 pour diriger "Le Point".
Auteur prolifique, il a écrit de nombreux romans (dont "L’Affreux", Grand prix du roman de l’Académie française en 1992 et "La Souille", prix Interallié 1995). Il vient de publier "Belle d’Amour" (Gallimard) et "Le Théâtre des incapables", recueil de ses éditoriaux au "Point" (Albin Michel).