Jeudi, lors de la remise de ses prix annuels, l’Académie française a distingué l’écrivaine québécoise Hélène Dorion en lui décernant son Grand Prix de poésie, qui récompense l’ensemble d’une œuvre. Un honneur qui s’ajoute à une foultitude d’autres dans une carrière de plus de 40 ans, et plus particulièrement ces derniers temps.
Hélène Dorion a appris la nouvelle de son petit « pavillon d’écriture » à Orford, situé en pleine forêt, m’a-t-elle raconté au téléphone. « Je suis sous le coup d’une espèce de stupéfaction. On est toujours un peu incrédule quand ça arrive. C’est sûr, j’ai eu des prix au cours des années pour ma démarche, mais j’en mesure l’importance, pour l’ensemble d’une œuvre. Ça a été une émotion très belle et très forte. Dans la liste des lauréats de ce prix, je trouve mes lectures fondatrices – Jaccottet, Bonnefoy, Ponge, etc. – et dans les plus récents, des poètes que j’admire énormément. Là, je vois mon nom, mais je ne me compare pas à eux, c’est sûr… »
Pourtant, elle pourrait, car pour vrai, j’ai rarement vu une écrivaine québécoise ayant consacré la majeure partie de sa vie à la poésie – une forme qui mène rarement à la célébrité au Québec à moins d’une mort tragique – être autant célébrée de son vivant par les récompenses les plus prestigieuses, ici ou ailleurs.
La liste est étourdissante, et je n’aurais pas assez de place pour détailler dans un article la particularité de son CV : prix Alain-Grandbois, Aliénor, Anne-Hébert, Mallarmé, Léopold-Senghor, Athanase-David, élection à l’Académie des lettres du Québec, membre de l’Ordre du Québec et de l’Ordre du Canada, du jury du prix Louise-Labé…
Ce prix de poésie décerné depuis 1957 par l’Académie française, une institution qui date du XVIIe siècle, arrive comme une surprise supplémentaire pour Hélène Dorion, qui revient tout juste d’une tournée de trois mois en France, où elle a participé à tous les festivals importants, mais aussi rencontré des libraires, des professeurs et des étudiants, car elle est la première poète vivante dont une œuvre, Mes forêts, est inscrite au baccalauréat français. Et croyez-moi, ça impressionne beaucoup les Français, ce genre de chose. J’ai pu le vérifier au Festival du livre de Paris le printemps dernier.
À son retour, à peine le pied posé sur le sol québécois, elle recevait l’insigne de l’Ordre des arts et des lettres du Québec, avec d’autres artistes, le 10 juin dernier.
« C’est beau, non ? »
Elle accepte les prix parce qu’elle connaît les doutes qui ont parsemé son parcours, et qui reviennent toujours.
« J’ai toujours cru en ce moment où on est chez soi, assis à sa table de travail, à écouter cette espèce de nécessité intérieure de faire ce qu’on a à faire, maintenant, à travers l’écriture, à travers l’art. Ce moment-là est pour moi fondateur », dit-elle.
C’est facile de dire qu’on a de la gratitude quand on voit les prix et les reconnaissances comme ça, mais vous savez, je connais les écueils, les risques qu’on prend, et ça, c’est dans la vie de tout écrivain et de tout artiste.
Hélène Dorion
« Ça ressemble beaucoup à la vie, finalement, continue-t-elle. Quand on a des moments de joie, on se dit que ça vaut la peine de continuer, comme une espèce d’encouragement à cet élan. On me demande souvent ce que j’apprécie le plus de ma démarche et pour moi, c’est de durer. »
Et que ces prix éclairent la poésie, en général. « Je suis contente pour moi, mais je souhaite que les gens se disent que la poésie est accessible. Qu’elle puisse avoir une résonance médiatique. Je sais le travail qu’il y a dans un livre de poésie, ce que ça demande de travailler dans un genre qui n’est pas celui qu’on met de l’avant. C’est important que les médias soient accordés à la réalité de la poésie, qui a une grande importance non seulement dans la vie littéraire, mais dans la vie des gens. Je pense qu’elle a quelque chose à dire dans nos sociétés, parce qu’elle aborde le monde d’un angle particulier, et cet angle-là, je suis persuadée qu’on en a besoin. Parce qu’on a regardé tous les problèmes par les mêmes angles. Peut-être que la poésie peut nous amener à déplacer nos questions, car c’est ce que fait la poésie : elle pose des questions. »