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Un archéologue prend la direction du Louvre

Jean-Luc Martinez a été choisi par le président de la République pour succéder à Henri Loyrette. Il était chef du département des antiquités grecques, étrusques et romaines de l'établissement.

Par  et Nathaniel Herzberg

Publié le 03 avril 2013 à 09h59, modifié le 07 mai 2014 à 08h56

Temps de Lecture 6 min.

Jean-Luc Martinez, directeur du département des antiquités grecques, étrusques et romaines au Musée du Louvre, en août 2011.

François Hollande a tranché. Pour remplacer Henri Loyrette à la tête du Louvre, le président de la République a choisi de nommer Jean-Luc Martinez, 49 ans, chef du département des antiquités grecques, étrusques et romaines de l'établissement. La décision devait être annoncée en conseil des ministres, mercredi 3 avril.

Ce sera la première fois, depuis cinquante ans et le mandat d'Henri Seyrig (1960-1962), qu'un archéologue prend les rênes du temple français des arts plastiques. Au terme d'une campagne de trois mois, le candidat interne encore en lice l'a donc emporté sur ses deux derniers opposants : Sylvie Ramond, directrice du Musée des beaux-arts de Lyon, et Laurent Le Bon, patron du Centre Pompidou-Metz.

Avec Jean-Luc Martinez, François Hollande fait le choix sans doute le plus consensuel. Après un premier tour qui avait vu quatre conservateurs issus de la grande maison se porter candidat au poste, ceux qui n'avaient pas franchi la barre de la short list s'étaient regroupés derrière le panache de Jean-Luc Martinez. Tout juste certains regrettaient-ils la réticence d'Henri Loyrette à lui apporter un soutien plus clairement appuyé.

Mais Vincent Pomarède, par exemple, chef du département des peintures et rival malheureux, saluait "sa rigueur, son autorité son énergie" et assurait qu'il ferait "un excellent président". En interne, beaucoup reprochaient à Sylvie Ramond sa formation de moderniste, oubliant un peu vite que celle-ci avait dirigé deux musées patrimoniaux (Colmar et Lyon).

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Quant à Laurent Le Bon, spécialiste d'art moderne et même contemporain, le choisir revenait, pour certains, à placer une installation de Jeff Koons face à la Joconde.

L'homme du sérail cache pourtant un parcours assez atypique. Là où Henri Loyrette, fils d'avocat d'affaires, a grandi dans les beaux quartiers parisiens, lui vient d'un milieu modeste et a passé son enfance en Seine-Saint-Denis. Ecole et collège à Rosny-sous-Bois, lycée à Fontenay-sous-Bois, dans le Val-de-Marne voisin. C'est encore dans cette banlieue est que Jean-Luc Martinez enseigne dans le secondaire pendant deux ans, entre 1990 et 1992, après avoir décroché l'agrégation d'histoire. En 1993, il intègre la prestigieuse école française d'Athènes, pour laquelle il accomplit des fouilles à Délos et Delphes.

Car à côté de son cursus universitaire d'historien, il a suivi les cours de l'Ecole du Louvre en histoire de l'art et archéologie. Il va d'ailleurs enseigner cette même discipline successivement à l'institut français de restauration des objets d'art, à l'Université catholique de Paris et à l'université Paris X-Nanterre, avant de décrocher, en 1997, le titre de conservateur en chef du patrimoine.

Sa carrière prend cette fois une trajectoire plus rectiligne. Recruté au Louvre, il est responsable des collections de sculptures grecques et des moulages d'après l'antique romaine jusqu'en 2007. Puis il est nommé directeur du département des antiquités grecques, étrusques et romaines. Membre de plusieurs conseils scientifiques, il enseigne également l'archéologie et l'histoire de l'art du monde grec antique à l'école du Louvre.

On l'aura compris : la Grèce fut et demeure sa grande passion. Il y a consacré cinq ouvrages – dont le dernier (à paraître) sur la Venus de Milo –, plusieurs expositions (Porphyre, Praxitèle…), et parle grec ancien et moderne. Au chapitre linguistique, son CV mentionne encore une maîtrise de l'anglais, de l'espagnol, de l'italien et du latin, mais aussi de l'allemand et même quelques rudiments de japonais.

L'académicien Marc Fumaroli, président de la société des amis du Louvre, qui soutenait une solution interne, loue son "autorité", celle du "grand savant" mais aussi du "conservateur moderne". "Il a intégré toutes les dimensions du métier de conservateur, renchérit Marc Ladreit de Lacharrière, mécène privilégié du département des antiquités. Succéder à Henri Loyrette est un défi. Scientifique, chef d'entreprise, ouvert sur l'extérieur, capable d'attirer l'argent des mécènes et de représenter le musée à l'étranger… on ne peut pas encore dire si Jean-Luc Martinez saura incarner toutes ces dimensions mais il a beaucoup d'atouts pour ça."

Son choix n'a pourtant pas été si facile. La décision d'Henri Loyrette de ne pas briguer un cinquième mandat, après douze ans passés à la tête du Louvre, avait laissé tout le monde un peu abasourdi. Les statuts de l'établissement prévoient que le président soit choisi en fonction de ses "compétences scientifiques". Il n'était donc pas question de nommer à la tête du plus grand musée du monde un homme ou une femme politique de premier plan, comme la rumeur l'a voulu un temps (Martine Aubry, Ségolène Royal). Ni un de ces énarques spécialistes de culture, comme au Centre Pompidou ou à la BNF.

Vite pourtant, le ministère a acquis la conviction que les talents ne manquaient pas parmi les conservateurs. Aussi le choix a été fait de rompre avec la tradition qui voulait que le patron du Louvre soit coopté par son prédécesseur. "Henri Loyrette a été consulté, indique-t-on rue de Valois, mais il n'a pas été le seul." Le ministère n'a pas poussé la transparence jusqu'à rendre publique la règle du jeu. "Mais chacun a pu rédiger un projet et le défendre, aussi bien au ministère de la culture qu'à l'Elysée et à Matignon. C'est inédit", insiste Vincent Pomarède.

Le chef du département des peintures n'est pas rancunier. Lui aussi avait posé sa candidature, de même que deux autres "internes" : Sophie Macarioux, patronne du nouveau département des arts de l'islam, et Laurence des Cars, chargée du Louvre Abou Dhabi. Quatre dossiers "extérieurs" étaient déposés : ceux de Sylvie Ramond et Laurent Le Bon, mais aussi Michel Hilaire, directeur du Musée Fabre de Montpellier, et Laurent Salomé, responsable des expositions du Grand Palais et du Musée du Sénat. Enfin la Franco-Canadienne Nathalie Bondil, patronne du Musée des beaux-arts de Montréal, était sollicitée.

"Dossiers de grande qualité", "candidats excellents" : les trois pôles de l'exécutif entonnaient la même musique au terme de la première phase de la procédure. Au ministère de la culture, on se félicitait de voir exprimer, chez la plupart des candidats, la conviction que "la période d'expansion est terminée, par nécessité financière mais aussi parce que l'existant doit être consolidé". C'était notamment l'analyse partagée par Sylvie Ramond et Jean-Luc Martinez.

Le 14 mars, Aurélie Filippetti proposait ces deux noms au président et au premier ministre. Un interne, une externe. Deux candidats qui, selon elle, se détachaient du lot. Dans la lettre imprimée qui analysait les raisons qui la conduisaient à proposer ce dernier duel, elle ajoutait même, à la main, sa préférence : Sylvie Ramond.

Un choix assez logique finalement : depuis son arrivée, la ministre n'a pas caché sa volonté de féminiser une haute hiérarchie culturelle encore très masculine. A qualités égales, il fallait choisir une femme.

Si Matignon semblait prêt à suivre ce raisonnement, l'Elysée éprouvait plus de doutes. La présidence invitait d'abord Aurélie Filippetti à ajouter à sa dernière liste le nom de Laurent Le Bon. Certes, le patron du Centre Pompidou-Metz pouvait sembler plus familier de Dada et des artistes contemporains exposés lors de la Nuit blanche parisienne que de la statuaire grecque ou de la peinture classique italienne. Mais sa réussite à Metz, son rayonnement à l'étranger, sa connaissance des mécènes, bref "sa personnalité", méritaient qu'il participe à la lutte finale.

Restait donc cette dernière ligne droite à trois. Trois candidats et au final un juge, François Hollande. Mais aussi trois arbitres. A l'Elysée, le conseiller culture David Kessler s'adjoignait le soutien de ses deux supérieurs hiérarchiques – la directrice de cabinet Sylvie Hubac et le directeur-adjoint, Nicolas Revel – pour auditionner une deuxième fois les derniers prétendants. Avec un constat commun : "quel que soit le choix, il y a un pari". Entre le "petit Louvre" de Lyon et le palais-musée parisien aux 2 000 salariés et presque 10 millions de visiteurs, le changement d'échelle va de 1 à 10. De même, piloter un département, fut-il important, ou tenir les manettes de ce qui constitue, et de loin, le plus grand musée de la planète, c'est changer, sinon de monde, du moins de métier.

Minimiser les risques ou maximiser les gains ? Les trois membres du cabinet de François Hollande ont livré leur verdict. Deux penchaient vers Jean-Luc Martinez, le troisième en faveur de Laurent Le Bon. Quant à Aurélie Filippetti, lors de l'entretien qu'elle a eu mercredi 27 mars avec le président de la République, elle a défendu son choix initial. Vendredi 29 mars et mardi 2 avril, le chef de l'Etat a reçu les trois candidats. Mercredi matin, la décision était prise.

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