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Les bases militaires responsables d'une pollution aux PFAS, l'eau potable de Beauvechain la plus contaminée de Wallonie - RTBF Actus
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PFAS

Les bases militaires responsables d'une pollution aux PFAS, l'eau potable de Beauvechain la plus contaminée de Wallonie

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InfoPar Romane Bonnemé et Emmanuel Morimont

Les bases aériennes belges sont-elles à l’origine de pollutions locales aux PFAS ? L’enquête d’Investigation et de Décrypte révèle des niveaux élevés de contamination dans le sol et les eaux de certains quartiers militaires, mais aussi dans les puits et les robinets de civils. C'est le cas à Beauvechain où la teneur en PFAS dans l'eau potable est dix fois au-dessus des recommandations sanitaires.

"On m’aurait parlé de PFAS il y a un an, [je n’étais] pas du tout au courant du problème, comme la majorité de la population". David Dupuis, commandant de la base militaire de Beauvechain, a appris l’existence des substances per et polyfluoroalkylées lors des révélations la RTBF en novembre 2023. Nul doute cependant qu’il ait côtoyé, sans le savoir, ces composés chimiques depuis ses débuts dans l’Aviation légère de la Force terrestre belge.

Pour cause : toutes les bases aériennes belges disposent de terrains d’exercice anti-incendie. Là où des mousses extinctrices, fortement chargées en PFAS, étaient utilisées jusqu’en 2021. Reliés à plusieurs cancers, à des troubles cardiovasculaires et thyroïdiens, ou encore à des altérations du système immunitaire, ces "polluants éternels", très persistants dans l’environnement, ont alors contaminé le sol et l’eau souterraine de ces bases. Plus inquiétant, ils se retrouvent aussi dans l’eau potable provenant des captages de la seule base où des mesures ont été faites : celle de Beauvechain.

Pour connaître l’ampleur de cette contamination tant dans les sous-sols de ces quartiers militaires que chez leurs riverains, les équipes d’Investigation et de Décrypte de la RTBF ont mené l’enquête. Elles ont collecté des analyses inédites de La Défense et ont effectué leurs propres prélèvements.

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Les résultats présentés dans la carte ci-dessus n’ont jamais été révélés au grand public (validés par La Défense, ils sont téléchargeables ici). Ils proviennent d’une campagne de prélèvements entreprise par la Défense belge peu avant l’éclatement du scandale des PFAS à Zwijndrecht, en Flandre. Sur les 165 quartiers militaires présents sur notre territoire, une vingtaine, identifiés comme "potentiellement suspects" selon l’expression du colonel Gunnar Plovie, chef de la section gestion de la Direction des ressources matérielles, a, pour l’instant, fait l’objet d’analyses de sol et d’eaux.

Au total, sur les dix-huit sites analysés, onze sont considérés comme des "hotspots" pour l’eau souterraine (en rose sur la carte), c’est-à-dire des sites "hautement contaminés […] sur lesquels nous devrions agir en priorité" car jugés dangereux pour la santé. Ce sont les termes de Martin Scheringer, professeur de chimie environnementale à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (Suisse) qui a participé à la conception de la méthodologie de la carte du consortium Forever Pollution Project, dont fait partie la RTBF.

 
L’image d’illustration montre un hélicoptère en train d’atterrir lors d’une démonstration, au cours d’une visite du ministre de la Défense au centre de contrôle et d’information CRC de la base aérienne militaire de Beauvechain, mercredi 23 mars 2022.
L’image d’illustration montre un hélicoptère en train d’atterrir lors d’une démonstration, au cours d’une visite du ministre de la Défense au centre de contrôle et d’information CRC de la base aérienne militaire de Beauvechain, mercredi 23 mars 2022. © BELGA – JONAS ROOSENS

Collecte de données inédite semée d’embûches

Pour pouvoir prendre connaissance de ces résultats, la RTBF s’est heurtée à plusieurs obstacles. Et ce dès, sa première demande le 13 avril 2023. La Défense refuse alors de transmettre une copie de ces analyses, invoquant des raisons techniques "les informations disponibles n’existent pas dans une forme qui puisse être facilement communiquée" – et propose une réunion d’information.

La RTBF introduit alors un recours le 24 mai 2023 auprès de la Commission fédérale compétente. Commission qui n’est pas en mesure de se réunir pendant plusieurs mois, raison pour laquelle la RTBF accepte la rencontre physique avec La Défense. À deux reprises, les 12 et 26 janvier 2024, la RTBF se rend au quartier Général. Elle est autorisée à consulter les analyses et à les retranscrire manuscritement – avec un risque d’erreur élevé – mais ne peut obtenir ni copie ni photo. La Défense invoque alors – tout comme la Commission fédérale qui rejettera le recours de la RTBF mi-mars 2024 des raisons de sécurité.

Fausse alerte, vraie pollution

Retour à Beauvechain. Cette école de pilotage et escadrille d’hélicoptères est le seul quartier militaire belge dont les captages alimentent non seulement la base mais aussi quelques robinets à l’extérieur. En l’occurrence ceux de trois maisons de civils et ceux d’une rue d’une quarantaine de bâtisses où vivent des militaires et leurs familles.

Un camion de pompiers appelé Panther en exercice sur la base aérienne de Beauvechain.
Un camion de pompiers appelé Panther en exercice sur la base aérienne de Beauvechain. © BELGA – ERIC LALMAND

En novembre, dans la foulée de l’enquête de la RTBF, l’état-major souhaite tester l’eau potable qu’il distribue. L’un des échantillons prélevés au niveau de la crèche accueillant les enfants des soldats est "problématique", selon l’expression du commandant Dupuis. En effet, la concentration de PFAS mesurée est treize fois au-dessus de la future norme européenne de 100 nanogrammes par litre (ng/L) dans l’eau potable, applicable à partir de janvier 2026. Immédiatement la consommation de l’eau est interdite et des bouteilles sont mises à disposition des usagers en attendant les résultats d’une contre-expertise. Cette dernière révélera finalement une quantité de polluants de 54 ng/L. L’eau est donc à nouveau "potable" selon la communication de l’état-major, lequel, par la voix du commandant Dupuis, préfère néanmoins conserver l’eau en bouteille au sein de la crèche "jusqu’à ce qu’on ait des signaux rassurants ou qu’on ait pris des mesures plus importantes pour ramener les valeurs à un seuil plus acceptable", sans préciser la nature desdites mesures.

Depuis cet épisode, ajoute le commandant, "la qualité de l’eau potable est monitorée tous les mois".

On aurait pu faire mieux.

Colonel Gunnar Plovie

Pourquoi avoir attendu novembre 2023 pour mener ces analyses d’eau potable à Beauvechain ? Ce retard est difficile à justifier pour le colonel Gunnar Plovie : "On aurait pu faire mieux. On n’avait qu’une seule exception, c’était la base de Beauvechain et on aurait pu être plus réactif".

Aux sources de la pollution

Si l’alerte est levée pour l’eau des robinets de la base, celle distribuée à une partie des Beauvechainois par la Société Wallonne des Eaux (SWDE) est toutefois la plus contaminée aux PFAS de Wallonie.

Avec 70 ng/L mesurés au robinet, l’eau de la SWDE* reste toutefois conforme à la future norme européenne de 100 ng/L. Cette directive réglemente vingt substances PFAS différentes. Parmi elles, il y en a quatre qui sont plus toxiques que les autres, dont le PFOA, un cancérigène avéré, et le PFOS, un cancérigène probable. Pour la somme de ces quatre substances-là, l’eau de Beauvechain est à 40 ng/L alors que le Conseil supérieur de la santé, suivant un avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, vient de recommander 4 ng/L.

"Quarante, c’est dix fois plus que quatre", constate simplement Catherine Bouland, docteure en sciences et vice-présidente de l’Ecole de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. Sachant que "cette valeur de 4 ng/L est issue d’une revue de la littérature scientifique la plus récente, qui met en avant les risques potentiels pour la santé, ajoute celle qui est aussi membre du conseil supérieur de la santé, "on peut donc s’attendre à ce qu’il y ait plus de risques".

La SWDE semble avoir pris les choses en mains afin de réduire ces concentrations. "Pour renforcer la garantie d’une eau de qualité, la SWDE a décidé de renforcer le traitement de l’eau puisée à Beauvechain en mettant en place des filtres à charbon actif", lit-on dans le communiqué communal, distribué en toutes-boîtes, en date du 5 décembre 2023. Selon la bourgmestre de la commune, Carole Ghiot (MR) en contact avec la SWDE, le placement de ce filtre aura lieu vers le 17 avril prochain. Cette solution permettra probablement de réduire la teneur en PFAS dans l’eau de distribution, comme ce fut le cas à Chièvres.

*Le captage de Beauvechain correspond à 50.000 mètres cubes par an. C'est environ un tiers de la quantité d'eau du captage principal, celui du Nodebais, qui alimente la majorité des Beauvechainois. Celui-ci dispose d'un filtre installé depuis la fin du mois de janvier 2024.

Un “hotspot” de PFAS

La colonel Plovie (droite) et le commandant Dupuis) sur le terrain d'exercices anti-incendie de la base de Beauvechain.

La forte présence de polluants dans l’eau de la SWDE trouve-t-elle son origine dans la base militaire à Beauvechain, seule structure utilisatrice connue de PFAS dans cette région ? La question se pose. Surtout au regard des quantités élevées de polluants détectés dans le sol et l’eau souterraine de la base. Plus précisément au niveau de son terrain d’exercices anti-incendie, où des carcasses d’avions côtoient des hélicoptères calcinés. C’est là que les soldats s’entraînent à éteindre des feux à l’aide "d’eau en cas d’exercice et [depuis 2021] en cas d’incendie réel, de nouveaux types de mousse qui ne contiennent plus de fluor", précise le commandant Dupuis.

Jusqu’en 2021, les militaires utilisaient donc des mousses riches en PFAS, ignorant les risques d’intoxication de leur organisme et de l’environnement autour. Aucun test sanguin des troupes de Beauvechain n’a pour l’heure été mené.

En revanche, les prélèvements effectués par la base en 2021 révèlent des concentrations de l’un des polluants, le PFOS, 97 fois au-dessus des valeurs limites pour le sol fixées en Wallonie.

Malgré son revêtement en ciment, l’infiltration de ces polluants dans la nappe phréatique était inévitable. En effet, selon Catherine Bouland, "les PFAS percolent au niveau du sol, même avec une dalle imperméable". Ils y percolent, et pas qu’un peu.

Ainsi, dans cette eau souterraine, la somme des PFAS s’élève à 5800 ng/L. Soit 580 fois plus que le seuil de 100 ng/L au-delà duquel les experts parlent de "hotspots".

Petit ruisseau, grande contamination

Le ruisseau fortement chargé en PFAS, le Nodebais, s'écoule derrière cette petite chapelle.

Les limites de la nappe souterraine, et sa contamination aux PFAS, ne s’arrêtent pas au périmètre du territoire militaire.

Pour le prouver, les équipes de la RTBF ont mené leurs propres analyses au niveau des eaux de ruissellement. Elles ont identifié un minuscule ruisseau en contrebas d’une petite chapelle débouchant du champ mitoyen de la base. Si le débit de l’eau y est faible, il n’en va pas de même de sa teneur en PFAS. Le laboratoire met en évidence une somme totale de PFAS de 2800 ng/L. C’est 280 fois au-dessus de la limite d’un "hotspot".

Suivant le courant de ce petit ruisseau, le Nodebais, ces 2800 ng/L de PFAS provenant de la base militaire se déversent naturellement dans la rivière la Dyle, laquelle se jette, au terme de son périple, dans l’Escaut. En résumé, "les PFAS vont rejoindre le cycle de l’eau qui emmène ces contaminants dans son voyage. Cette eau va alimenter les nappes aquifères qui sont la source de l’eau potable", explique Catherine Bouland.

Cette dissémination n’étonne pas le commandant de la base selon lequel "il n’est pas impossible, si le terrain descend par-là, qu’il y ait à un moment donné des substances type PFAS qui soient entraînées avec les eaux de ruissellement", ajoutant que des prélèvements au niveau des exutoires d’eau de la base sont prévus. "C'est effectivement un point d'attention, et moi comme commandant j'essaie de protéger à la fois mon personnel mais également de maintenir des bonnes relations de voisinage. Et donc je suis très conscient de ce problème et je prendrai mes responsabilités", poursuit-il.

Pour l’heure, aucun élément de cette enquête n’indique que l’eau de ce ruisseau ou de ces défluents est utilisée par des civils à Beauvechain.

En revanche, les équipes de la RTBF ont découvert, au cours de cette enquête, qu’une autre base aérienne avait contaminé de l’eau directement utilisée par des riverains. Il s’agit du quartier de Kleine Brogel dans le Limbourg.

Puits privés pollués

"La plus grande unité de la Défense belge" est la fierté de notre armée. C’est là-bas que les pilotes des fameux F-16 s’entraînent. Certains de ces chasseurs bombardiers sont notamment utilisés dans la formation de soldats ukrainiens.

Mais c’est aussi là-bas que les teneurs en PFAS dans le sol et l’eau souterraine atteint des niveaux très élevés.

Des records connus de la Défense belge puisque dans leurs propres analyses menées en 2020 et 2021, les teneurs en PFOS sont de 19.300 microgrammes par kilo (µg/kg) dans le sol et de 186.000 ng/L dans l’eau souterraine. En ce qui concerne le PFOA, le cancérigène avéré, il a été mesuré à 14.700 ng/L dans la nappe souterraine.

Sauf que cette nappe alimente aussi plusieurs puits privés de riverains. Théoriquement, ces derniers n’ont pas le droit de les utiliser "comme eau potable, ni pour préparer du thé, du café, des glaçons, pour cuisiner avec, pour remplir leur piscine et arroser votre potager". En effet, ils se situent dans un périmètre autour de la base classé "zone de non-regret". Plusieurs courriers de la commune de Peer, qui héberge la base, leur ont été envoyés depuis 2021, les informant de cette pollution et des interdictions associées. Le flamand ministère des déchets, l’OVAM, a aussi envoyé une lettre le 22 mars 2022 aux propriétaires de puits privés. Ces derniers consomment une autre eau, traitée en amont. Ce qui explique qu'"aucun filtre à charbon actif supplémentaire n’est nécessaire pour les riverains", indique le bourgmestre de Peer.

La Défense estime, quant à elle, "ne pas connaître les habitants a priori et, par conséquent, c’est à la municipalité de fournir des informations correctes et opportunes".

Des lances de mousse extinctrice éteignent l’incendie d’un F-16, suite à son crash près de la base de Kleine Brogel, en août 2012.
Des lances de mousse extinctrice éteignent l’incendie d’un F-16, suite à son crash près de la base de Kleine Brogel, en août 2012. © Belga Images

L’un de ces résidents confirme effectivement ne jamais avoir reçu quelconque information de la part de sa – bruyante – voisine militaire. Il n’a jamais cessé d’utiliser l’eau de son puits pour abreuver ses chevaux dont la clôture jouxte celle de la base. Cette eau lui sert aussi pour donner à boire à son chien, à ses poules élevées en plein air et pour arroser son potager.

Son puits n’avait pas été testé lors de la campagne de prélèvement menée par la Défense en 2021 dans des forages voisins. Le maximum mesuré était alors de 10.569 ng/L pour la somme des quatre les plus préoccupants.

Le puits de cet éleveur équin est-il aussi contaminé ? Pour le savoir, la RTBF y a prélevé un échantillon. Le résultat est sans appel : 44.000 ng/L pour la somme des PFAS dont 27.000 ng/L pour celle des quatre les plus préoccupants. C’est 6750 fois plus que la recommandation du Conseil supérieur de la santé.

Réactions en chaîne… alimentaire

À la vue de ces résultats, Catherine Bouland est inquiète. Selon la scientifique, avec de telles quantités de PFAS, c’est toute la chaîne alimentaire qui est mise en danger. Et in fine, la santé des habitants. "Les PFAS véhiculés par cette eau peuvent contaminer le sol qui va lui servir comme support pour des plantes. Il peut donc y avoir une contamination de notre alimentation par les légumes qu’on fait pousser dans un potager ou bien par les poules via leurs œufs, parce que les poules mangent les vers de terre qui boivent l’eau qui est dans le sol."

Les PFAS ont la faculté de s’accumuler dans la matière graisseuse.

Catherine Bouland, Vice-Présidente de l’Ecole de Santé publique de l’ULB

Une fois ingérés via les légumes ou les œufs, les "polluants éternels" portent bien leur surnom, car ils se dégradent très lentement dans l’organisme humain. "Ils ont la faculté de s’accumuler dans la matière graisseuse", précise Catherine Bouland. Une accumulation qui entraîne non seulement des problèmes pathologiques de long terme ainsi qu’une diminution de la réponse immunitaire.

Les effets des PFAS sur la santé.
US National Toxicology Program (2016) ; C8 Health Project Reports (2012) ; CIRC OMS (2017) ; Barry et al. (2013) ; Fenton et al. (2009) et White et al. (2011) apud Emerging chemical risks in Europe – 'PFAS'
Les effets des PFAS sur la santé. US National Toxicology Program (2016) ; C8 Health Project Reports (2012) ; CIRC OMS (2017) ; Barry et al. (2013) ; Fenton et al. (2009) et White et al. (2011) apud Emerging chemical risks in Europe – 'PFAS' © Agence européenne de l’environnement

Pour protéger la santé des personnes en contact avec des PFAS, la scientifique n’a qu’une solution : limiter voire arrêter la contamination de l’environnement le plus tôt possible.

La Défense défend aussi cette vision mais à l’heure actuelle, les permis d’environnement des bases militaires belges n’imposent aucune limite de rejet de PFAS. Le colonel Gunnar Plovie "sait bien qu’il faut à tout prix éviter la dispersion des "polluants éternels". Il ajoute avoir "vraiment besoin de plus d’expertise pour voir quelles barrières mettre en place".

Une campagne de prélèvement menée par la Défense dans les eaux de rejet, l’eau souterraine et l’eau potable est en cours à Beauvechain et à Florennes. Les résultats devraient être disponibles à la fin du mois d’avril.

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