Après être entré, ce 30 novembre, dans le petit salon attenant à la salle Paul-VI, le pape n’a pas attendu longtemps avant de dire le fond de sa pensée. « Il y a quelque chose que je n’aime pas chez vous, excusez ma sincérité. » Face à lui, les membres de la Commission théologique internationale, reçus en audience, se figent. François développe : « Une, deux, trois, quatre femmes : pauvres femmes ! Elles sont seules ! Ah, pardon, cinq. Sur ce point, nous devons avancer ! Les femmes ont une capacité de réflexion théologique différente de celle des hommes. »

Le pape voit bien, ce jour-là, la perplexité des membres de ce groupe de théologiens de haut vol, chargés de réfléchir aux sujets les plus délicats. Alors il choisit d’enfoncer le clou : « Vous vous demanderez : où mène ce discours ? Non seulement pour vous dire qu’il faut que vous ayez plus de femmes ici – c’est une première chose –, mais aussi pour vous aider à réfléchir. La femme de l’Église, l’épouse de l’Église. Et c’est une tâche que je vous demande, s’il vous plaît. Démasculinisez l’Église. »

Prendre en compte le « malaise » des femmes catholiques

Le 4 décembre, c’est à cette fin que le pape a ouvert un cycle de réflexion sur « le caractère féminin » de l’Église. Le cadre a changé puisque ce sont les membres du Conseil des cardinaux (C9) qu’il entend faire travailler. Pour cela, il a convoqué trois théologiens spécialistes de la place des femmes dans l’Église. Au centre des réflexions, deux concepts mis au point par le théologien Hans Urs von Balthasar dans les années 1940, auquel il a souvent recours quand on l’interroge sur la place des femmes dans l’Église : le principe pétrinien et le principe marial. Le premier, en référence à saint Pierre, premier des Apôtres, est lié aux ministères dans l’Église. Le second est rattaché à la Vierge Marie.

« Le pape voulait que la question soit abordée sous divers aspects », explique sœur Linda Pocher, religieuse et théologienne, qui coordonne ces travaux. « Le principe de Balthasar peut être un paradigme très utile pour penser la différence entre institutionnel et spirituel. Mais il a aussi des limites, explique-t-elle. Il ne convient pas vraiment pour exprimer une différence entre hommes et femmes dans l’Église. »

Ce sont ces « limites » que cette religieuse auxiliatrice spécialiste de Balthasar a pointées pendant la réunion. Un autre théologien, le père Luca Castiglioni, a aussi plaidé en ce sens. « Ce principe ne peut être utilisé pour séparer hermétiquement les hommes et les femmes », estime-t-il, soulignant que l’Église ne peut ignorer le « malaise » régulièrement exprimé par les croyantes, « c’est-à-dire la moitié de la population catholique ». « On ne sortira de cela qu’en prenant en compte réellement le point de vue des hommes et des femmes pour avancer », préconise-t-il.

Linda Pocher place aussi ces travaux, qui se sont poursuivis lors d’une session de travail du C9 début février, dans le droit fil de la réflexion engagée par le Synode sur la synodalité, en particulier sur le diaconat féminin. « Dans le Conseil, la majorité des membres comprend l’urgence de réfléchir au sujet du diaconat féminin, pour voir s’il faut ouvrir cette possibilité aux femmes, et sous quelle forme. »

Une femme évêque anglicane au Vatican

Linda Pocher y voit aussi une manière de préparer la prochaine assemblée du Synode, en octobre, dont le diaconat féminin constituera l’une des questions majeures. C’est notamment ce qui l’a poussée à inviter une évêque anglicane, Jo Wells, à s’exprimer début février devant le pape et les cardinaux.

Celle-ci a longuement abordé la question de l’ordination des femmes, prêtres et évêques, dans l’Église anglicane. « Quand je vois que l’Église catholique vient seulement d’ouvrir des ministères (de lecteurs et d’acolytes, NDLR) aux femmes, cela me renvoie des décennies en arrière », explique-t-elle aujourd’hui, avant de souligner qu’elle est « habituée à travailler dans des contextes où les femmes travaillent et exercent des responsabilités ». Jo Wells insiste en particulier sur la capacité des membres de l’Église anglicane à « gérer leurs désaccords ». « Certains, dans notre Église, ne supportent pas l’ordination des femmes. Nous nous sommes arrangés pour les préserver de cela, développe-t-elle. Pendant toute la réunion, le pape est resté silencieux. Il me semble qu’il voulait encourager les cardinaux à parler. »

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Trois expertes nommées par le pape

Le pape a nommé, le 17 février, six nouveaux consulteurs, dont trois femmes, pour le secrétariat général du Synode, dont la sous-secrétaire est déjà une religieuse, sœur Nathalie Becquart.

Parmi elles, sœur Birgit Weiler, professeure de théologie à l’Université pontificale catholique du Pérou, avait déjà participé, comme experte, à la première session du Synode.

Le pape a aussi nommé Tricia C. Bruce, une Américaine qui préside l’Association internationale pour la sociologie de la religion, ainsi que la théologienne Maria Clara Lucchetti Bingemer, professeure de théologie à l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro (Brésil).

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