(Québec) D’où viennent les 5 à 7 millions de dollars pour financer la tenue de deux matchs préparatoires des Kings de Los Angeles à Québec ?
La question est simple. La réponse ? Pas mal moins à obtenir, et elle a de quoi surprendre : pour subventionner l’évènement, le gouvernement Legault utilise un fonds régional destiné à soutenir des projets d’entreprises et d’organismes locaux sans but lucratif. Parmi eux, le camp de jour de Portneuf, le club de curling de Charlevoix-Est, la confiturerie Tigidou et la biscuiterie artisanale Chez Léon et Lily.
L’aide moyenne est bien loin de la subvention de 5 à 7 millions annoncée par le ministre des Finances Eric Girard pour le camp d’entraînement de quatre jours des Kings de Los Angeles au Centre Vidéotron en octobre 2024. On parle de 100 000 $ à 150 000 $ par projet.
Procédure court-circuitée
Le gouvernement est également passé par un décret du Conseil des ministres pour lui permettre d’utiliser à cette fin le fonds en question, appelé le Fonds de la région de la Capitale-Nationale (FRCN).
C’est que, selon ses propres documents officiels, le gouvernement est titulaire du fonds, mais en a délégué la gestion depuis des années à la Ville de Québec et aux MRC, au nom de l’autonomie municipale. Une « entente de délégation » a été signée entre les parties pour fixer les règles et les conditions de ce transfert de gestion.
Or, la Ville et les MRC n’ont pas pris part aux discussions sur la venue des Kings. Le gouvernement les a informés de sa décision la veille de l’annonce… sans préciser que le FRCN était utilisé. Le maire de Québec, Bruno Marchand, brillait d’ailleurs par son absence à cette annonce ; il avait déjà d’autres engagements.
Le gouvernement assure que « l’argent des Kings n’ampute pas les sommes qui étaient attribuées » au FRCN, soit environ 25 millions de dollars par an. Il a décidé de bonifier le fonds de 5 à 7 millions et d’étaler la somme sur deux ans. C’est uniquement pour le projet impliquant les Kings, et la bonification ne sera pas récurrente.
Pourquoi répartir la subvention sur deux ans ? Il se trouve que l’une des conditions que le gouvernement impose à la Ville et aux MRC dans la gestion du FRCN est de ne pas dépenser plus de 3 millions pour un projet au cours d’une année – l’attribution de 3 millions est survenue à deux reprises depuis 2019, selon les documents publics disponibles.
Autre élément : la Ville et les MRC ne distribuent pas les sommes du FRCN n’importe comment. Elles le font en lançant des appels de projets. Il y a des conditions d’admissibilité. Les propositions sont étudiées en fonction d’une série de critères.
Le gouvernement n’a pas soumis son projet à une telle procédure, reconnaît-on à Québec.
« Sur le terrain des vaches » ?
L’implication d’un club de hockey milliardaire dans un projet financé par le FRCN détonne lorsque l’on consulte la liste des bénéficiaires à ce jour. Des fermes pour un agrandissement, des entrepreneurs démarrant leur entreprise, un spa construisant des mini-chalets sur son site, une station de radio de Charlevoix modernisant ses équipements, un organisme à but non lucratif cherchant à développer l’agriculture urbaine…
Le ministre des Finances Eric Girard, à l’origine de l’invitation faite aux Kings, a décliné une demande d’entrevue. De même pour le ministre responsable de la Capitale-Nationale, Jonatan Julien, qui est le ministre titulaire du FRCN.
En commission parlementaire le printemps dernier, M. Julien disait que le FRCN avait soutenu l’année précédente 203 projets de « diverses natures qui contribuent au développement socioéconomique » de la région, dont un « incubateur des technologies propres, un centre de formation en informatique […], les viandes biologiques de Charlevoix et le camp de Portneuf ». C’est « géré de manière décentralisée auprès des communautés locales, insistait-il. Donc, c’est sûr que le pouls ou le besoin est bien senti parce qu’on est sur le terrain des vaches quand on accorde ces montants-là ».
Par voie de communiqué en juillet, le ministre vantait les résultats du FRCN, dont la « gestion a été déléguée à la Ville de Québec et aux MRC ». Le fonds a « permis de créer ou de maintenir 3625 emplois » grâce aux 18,3 millions accordés à 172 projets en 2022-2023.
Or, aucune analyse de retombées économiques n’a été réalisée en lien avec la subvention accordée pour la venue des Kings à Québec.
Le rayonnement de la capitale
On le voit : la subvention accordée pour la tenue de matchs préparatoires d’une équipe de la LNH est exceptionnelle. Québec n’avait d’ailleurs pas financé de tels matchs présentés au Centre Vidéotron en 2017 et en 2018. Le gouvernement néo-écossais n’a pas versé un sou cet automne pour la visite de quatre jours des Penguins de Pittsburgh à Halifax et la tenue d’un match préparatoire.
On a déjà démontré combien la comparaison avec les subventions versées pour la Coupe des présidents de la PGA et le Grand Prix de F1 à Montréal était bancale.
Au gouvernement, on reconnaît que le projet lancé par Eric Girard n’entre dans aucun programme « normé » du gouvernement ; ce qui arrive à l’occasion pour d’autres projets que Québec veut soutenir. Il fallait trouver un véhicule financier pour verser la subvention. Mais lequel ? On a considéré que le FRCN est la meilleure option dans les circonstances. On a donc pris la somme dans le « fonds de suppléance » du Trésor, en partie destiné aux « imprévus », et on l’a déposée dans le FRCN afin de conclure avec Gestev, filiale de Québecor, l’entente impliquant les Kings.
Selon la Loi accordant le statut de capitale nationale à la Ville de Québec et augmentant à ce titre son autonomie et ses pouvoirs, adoptée en 2016, le FRCN a « pour objet de contribuer au dynamisme, à la vitalité, au développement, à l’essor et au rayonnement de la capitale nationale et de sa région ».
Québec insiste sur le mot « rayonnement » pour justifier l’utilisation du FRCN. Pour l’heure, le rayonnement n’est pas exactement celui attendu…
Legault se défend
« C’est important aussi d’investir dans le loisir, que ce soit les sports ou la culture », s’est défendu le premier ministre François Legault vendredi. Et « les gens de Québec, ils aiment ça, le hockey ». Il souhaite envoyer un signal à la LNH avec cet évènement, en vue d’obtenir un jour le retour des Nordiques.
Eric Girard disait exactement le contraire en conférence de presse cette semaine, assurant qu’il n’y a aucun lien avec le dossier des Nordiques…
Pendant ce temps, il y a de la grogne au sein du caucus caquiste. Le député de Jonquière Yannick Gagnon a dit ouvertement qu’il se pose des questions : « Je vais demander qu’on m’explique, car ma boîte vocale, ma boîte courriel et la population me demandent qu’on leur explique. »
En coulisses, on observe également que la subvention accordée pour la venue des Kings correspond quasi exactement aux 8 millions manquants dans la mise à jour économique du 7 novembre pour combler les besoins des banques alimentaires – dont la Bouchée généreuse, voisine du Centre Vidéotron. Attendez-vous à ce que le gouvernement annonce bientôt que l’argent sera finalement au rendez-vous…
Chez les caquistes, même ceux qui défendent solidairement la subvention reconnaissent que le « timing » de l’annonce était mauvais.
Après tout, Eric Girard disait il y a dix jours que « les six prochains mois seront très difficiles », que le gouvernement n’a aucune marge de manœuvre pour donner davantage aux employés de l’État et que « toute dépense supplémentaire va nécessiter des emprunts »…
Devant l’ampleur de la controverse, le ministre des Finances entend « rectifier les choses dans ce dossier » lors d’un point de presse la semaine prochaine.
Il a avantage à aiguiser ses patins.