Le mot d’ordre était on ne peut plus clair. « L’institution, c’est sacré ! »

Ce mot d’ordre, il avait été dicté par Michel Gauthier, leader parlementaire du Bloc québécois lorsque la formation souverainiste, alors dirigée par Lucien Bouchard, avait fait élire 54 députés aux élections fédérales de 1993. Cette victoire éclatante avait causé tout un choc dans le reste du pays, d’autant que le Bloc avait obtenu le mandat de former l’opposition officielle face au gouvernement libéral de Jean Chrétien.

« Le Parlement fédéral nous accueille, nous, les souverainistes. Les Canadiens s’attendent à voir débarquer à la première période de questions une bande de voyous, d’anarchistes, de capotés. On va se tenir debout, on va agir avec conviction et force, comme des mercenaires de la souveraineté. Mais on va être des parlementaires intelligents et irréprochables qui vont faire la fierté des Québécois. On ne fera pas honte aux Québécois ! », avait aussi affirmé M. Gauthier, un parlementaire redoutable, à ses nouveaux collègues bloquistes.

M. Gauthier, qui est mort il y a quatre ans à l’âge de 70 ans, affirmait avoir appris l’importance de respecter les institutions de la part de Jacques Parizeau, à l’époque où les deux hommes siégeaient à l’Assemblée nationale.

L’ancien député bloquiste Yvan Loubier a tenu à rappeler les propos de feu M. Gauthier durant une cérémonie organisée le mois dernier par la veuve de ce dernier, Anne Allard. Le temps d’un samedi après-midi à Gatineau, l’évènement a rassemblé d’anciens collègues de M. Gauthier, dont l’ancien chef bloquiste Gilles Duceppe.

De toute évidence, le mot d’ordre de Michel Gauthier fait encore partie de l’ADN politique du Bloc.

Au cours des derniers mois, la formation dirigée par Yves-François Blanchet est celle qui, de l’avis de plusieurs, s’est démarquée en affichant le plus de respect pour l’institution dans laquelle elle évolue depuis près de 35 ans.

Ce fait d’armes relève du paradoxe. Car le Bloc québécois demeure une formation qui milite pour la souveraineté du Québec. Son but, c’est de travailler à la naissance d’un autre pays.

« Cinglé ». « Extrémiste ». « Radical ». Depuis l’élection de Pierre Poilievre à la tête du Parti conservateur, il y a près de deux ans, les insultes sont devenues monnaie courante aux Communes.

Le chef conservateur ne rate pas une occasion de donner des coups en bas de la ceinture pour déstabiliser l’adversaire politique. Cela lui a même valu d’être expulsé par le président Greg Fergus, après avoir refusé de s’excuser pour avoir traité le premier ministre de « cinglé » (wacko).

À la traîne dans les sondages depuis un an, les libéraux de Justin Trudeau ont décidé au cours des dernières semaines de combattre le feu par le feu, et les insultes par les insultes.

Le mois dernier, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a été rappelée à l’ordre après avoir déclaré que Pierre Poilievre portait plus de maquillage qu’elle lors d’un échange durant la période des questions aux Communes.

Elle a aussi été rappelée à l’ordre après avoir affirmé cette semaine que le chef conservateur était un ignare sur les questions économiques lors d’un échange sur la hausse de la taxe sur le gain en capital.

Le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos, d’habitude impassible face aux attaques des conservateurs, prend maintenant un malin plaisir à traiter Pierre Poilievre d’« insulteur en chef », une allusion à la stratégie du chef conservateur de qualifier les maires des villes de Montréal et de Québec d’« incompétents ».

Le député libéral de l’Est ontarien Francis Drouin avait donné le signal de ce virage des libéraux en comité, début mai, en traitant deux témoins de « pleins de marde » et d’« extrémistes » parce qu’ils avaient établi un lien entre l’éducation postsecondaire en anglais et le déclin du français au Québec.

Durant les débats aux Communes ou durant les réunions de comités parlementaires, les députés bloquistes s’abstiennent de participer à ce festival des insultes.

A contrario, Yves-François Blanchet décrit souvent son parti comme l’« adulte dans la pièce » tandis que les échanges puérils se multiplient au Parlement. Quelques exemples viennent rapidement à l’esprit.

Le Bloc québécois l’a démontré dans le dossier de l’immigration, en soulevant en premier l’an dernier la crise qui pendait au bout du nez du gouvernement fédéral devant l’arrivée massive d’immigrants qui dépasse les capacités d’accueil du Québec et des autres provinces. Le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe a interpellé le ministre de l’Immigration à maintes reprises, avec intelligence, sans tomber dans les stéréotypes vulgaires. Aujourd’hui, le reste du Canada se rallie aux mises en garde du Bloc québécois.

À n’en point douter, la défense de la langue française, tant au Québec que dans le reste du pays, ne serait pas la priorité qu’elle est devenue à Ottawa si le Bloc québécois n’en faisait pas une obsession au quotidien.

Dans le dossier de l’ingérence étrangère, le Bloc s’est aussi démarqué récemment en proposant une solution aux autres partis pour aller au fond des allégations percutantes d’un comité selon lesquelles des parlementaires participeraient à des activités d’ingérence étrangère menées sur le sol canadien par la Chine et l’Inde.

Le Bloc a fait adopter une résolution aux Communes demandant à la Commission sur l’ingérence étrangère de tirer cette affaire au clair. La motion a été adoptée à la quasi-unanimité.

En outre, Yves-François Blanchet a décidé d’obtenir la cote de sécurité requise pour être en mesure de lire les documents non caviardés du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Il veut s’assurer qu’aucun élu du Bloc québécois n’a agi de manière perfide. Pendant ce temps, Pierre Poilievre refuse d’entreprendre la même démarche, au motif qu’il aurait par la suite les mains liées par le secret entourant les renseignements qu’il aurait lus.

« On est censés se comporter avec un sens de l’État à l’intérieur des institutions telles qu’elles existent présentement. Malheureusement, le Québec fait partie du Canada. Malheureusement, on est obligés aussi de protéger les institutions démocratiques canadiennes. J’ai plus que jamais de messages de gens qui me disent : “Comment cela se fait-il que ce soit le chef indépendantiste qui a la position responsable dans le Parlement canadien ?” », a confié M. Blanchet lors d’une récente entrevue.

Michel Gauthier aurait probablement une réponse toute prête. « L’institution, c’est sacré ! »