En apprenant que Cédric Sapin-Defour était de passage à Montréal cette semaine, sa première visite au Québec, je voulais absolument le rencontrer, même si son récit inoubliable, Son odeur après la pluie, a été publié il y a plus d’un an.

Je voulais connaître l’homme qui avait écrit le livre qui m’a fait le plus pleurer en 2023. Juste en relisant les nombreux passages que j’avais soulignés, j’ai encore braillé et suis arrivée au rendez-vous les yeux rougis. En voyant mon exemplaire corné de partout, pour ne pas dire ravagé, il a souri. « J’aime bien quand un livre a du vécu comme ça. »

Son odeur après la pluie, qui raconte l’amour de l’auteur pour son chien Ubac, un merveilleux bouvier bernois, a été l’une des grandes surprises dans le monde de l’édition l’an dernier. Son succès ne faiblit pas, puisqu’il atteint maintenant les 400 000 exemplaires vendus, en plus d’avoir remporté des prix, dont celui qu’on appelle le « Goncourt des animaux », remis par la Fondation 30 millions d’amis.

J’ai rarement lu un hommage aussi senti (et aussi bien écrit) sur la relation unique entre l’être humain et son chien, sur le deuil immense que l’animal laisse derrière lui après sa mort, pourtant prévisible et inévitable.

Parfois, je riais entre mes larmes, car Cédric Sapin-Defour se permet d’aller très loin dans son amour, certainement trop pour ceux qui n’aiment pas les chiens, mais j’adhérais à tout ce qu’il disait.

Par exemple cet extrait, quand l’auteur parle d’Ubac qui n’est plus là : « C’est ainsi qu’elle récure, l’absence, loin des songes lyriques sur l’amour et la mort mais une croûte de gruyère à la main, anéanti de ne pas savoir qu’en faire. Sais-tu, d’instants en instants, cette place que tu prenais dans chacun de mes jours ? Être ensemble heureux occupait tout mon temps, que vais-je faire de cette masse confisquée ? Nous le savions, c’était écrit, à contaminer infiniment nos existences, le gouffre serait sans fond, mais que fallait-il faire, nous retenir ? »

Quiconque a vécu le vide affreux après la perte d’un chien adoré se reconnaîtra dans cet extrait – je suis passée par là deux fois, ce qui ne me prépare nullement à la prochaine avec Angie, prunelle de mes yeux. Et pourtant, malgré la douleur certaine à l’horizon, nous recommençons, nous adoptons de nouveau un chien en sachant qu’il s’agit d’un amour condamné, et c’est bien pourquoi nous en savourons chaque minute.

« La compagnie du chien, c’est l’incarnation même de la joie et de l’émerveillement perpétuel, note Cédric Sapin-Defour. Combien de fois ai-je entendu depuis la sortie de ce livre, de la part de lecteurs et de lectrices : “C’est fini, je ne prendrai plus de chien” ? Je leur dis oui parce que je suis poli, mais la plupart du temps, on replonge. Je trouve que c’est une très belle morale de l’existence, parce que d’après ce que j’ai compris, nous allons mourir aussi. »

J’ai été bouleversée un jour d’apprendre dans un reportage qu’un animal domestique est souvent le dernier garde-fou des gens qui ont des pensées suicidaires. Ce qui les empêche de passer à l’acte, c’est l’idée d’abandonner ce chat, ce chien qui les aiment sans condition.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

L’auteur Cédric Sapin-Defour

Il y a deux façons d’aborder la certitude de la finitude. Soit on peut être accablé et d’une tristesse absolue, soit au contraire on happe, on accroche tout ce qui passe. Vivre avec un chien, ça vient nous stimuler dans cette dernière direction, parce qu’on sait que c’est court.

Cédric Sapin-Defour

« Indéniablement, on a signé pour une histoire d’amour dont on connaît la date de péremption, estime Cédric Sapin-Defour, et c’est précisément pour cette raison que j’ai une immense admiration pour l’audace qu’ont les personnes d’entrer dans une relation avec un animal, dont on sait que l’issue sera douloureuse, et qu’on se retrouvera seul. Je trouve que c’est un engagement tout à fait admirable. »

Libre comme un chien heureux

Cédric Sapin-Defour parle d’une voix douce, a les yeux gris clair, et des tatouages plein les bras. Cet homme de 49 ans a été élevé par des parents qui lui ont appris l’importance d’être maître de son temps – « c’est la plus belle des Rolex, le temps libre », selon lui.

Il a été marqué dans son enfance par les livres de Jack London, et a toujours vécu modestement, près des montagnes et des forêts, en ayant publié quelques livres confidentiels sur le sujet, comme Gravir les montagnes est une affaire de style. Sa conjointe et lui ont tout vendu pour vivre la vie en van, dans laquelle il y a une affiche où on peut lire en italien : « Quel jour on est ? » « C’est bon signe de ne pas savoir si on est dimanche ou lundi », croit-il.

Une existence itinérante que peu osent choisir, mais qui doit être extraordinaire pour un chien. Tous les chiens de Cédric Sapin-Defour ont vécu au grand air et lui ont fait découvrir qu’ils sont bien meilleurs que les humains pour comprendre leur environnement.

« Je pensais être expert dans la lecture du vent, de la neige, du temps, mais en fait, mes chiens m’ont appris que j’étais totalement niais dans cette nature. Ubac est beaucoup plus expert que moi dans la compréhension intelligible de l’environnement. » D’ailleurs, dans les milliers de nuits avec Ubac, il n’y en a que deux où il n’a pas voulu dormir sous un toit, et les deux fois, c’était parce qu’il avait reniflé un tremblement de terre.

On sent chez Cédric Sapin-Defour un immense respect pour la dignité d’un animal. Il est d’accord avec moi lorsque je lui dis que les chiens nous éduquent plus qu’on ne les éduque. C’est aussi pourquoi il a voulu donner des lettres de noblesse au deuil animal, souvent méprisé dans la société.

Vous savez, quand quelqu’un vous découvre dans un état lamentable, parce que vous venez de faire euthanasier votre vieux chien, et qu’il vous dit : « Fiou, je pensais que c’était grave. » Il s’insurge contre la relativisation de cette perte dans une espèce de hiérarchie tordue des sentiments, typique de l’imbécillité humaine.

« Souvent, on nous objecte, quand on pleure un chien, qu’il faut regarder ce qui se passe dans le monde. Mais qu’est-ce que vient faire cette phrase ? Je ne comprends pas, ça n’a aucun lien. Ce n’est pas parce qu’on offre son amour à un autre être vivant qu’on se ferme, qu’on devient sourd et aveugle à ce qui se passe dans le monde. Au contraire. Si les êtres humains étaient capables à un moment de se désintéresser d’eux-mêmes et de porter leur amour vers un être différent, d’une origine différente, d’un langage différent, l’acceptation de l’altérité serait quand même un peu supérieure. Depuis le début de notre conversation, nous ne parlons que de très hauts sentiments. »

Souvent, ce qui fait la littérature, c’est lorsqu’elle donne une voix aux sans-voix, et il n’y a pas plus sans voix que les animaux, mais aussi ceux qui les aiment. On est gêné de dire que la mort d’un animal est aussi douloureuse parfois que celle d’un être humain. Le deuil d’un animal commence à peine à être compris dans notre société, et le livre de Cédric Sapin-Defour délie les langues. La plupart de ses lecteurs lui disent : « Ce que vous racontez, c’est mon histoire. »

Bien sûr, il est heureux de son succès, pour avoir écrit un livre très personnel avec la seule intention de faire une dernière balade avec Ubac, qui touche finalement à l’universel. Ce livre a-t-il changé sa vie ? Oui et non. Il n’a pas modifié ses habitudes et vit comme avant, mais les ventes de Son odeur après la pluie viennent presque confirmer qu’il est sur la bonne route, comme si Ubac lui disait : continue, même sans moi.

Mais plus que tout, ce succès lui redonne espoir en l’humanité. « Indépendamment du compte en banque, du succès, de ma photo dans les journaux, et ça fait plaisir, je suis surtout rassuré de vivre dans un monde où une simple histoire d’amour entre deux êtres vivants peut rencontrer un suffrage comme ça. Je me dis que ce monde n’est pas tout à fait pourri et désintéressé des choses du cœur, si un livre comme celui-ci rencontre son public. Ça remplit ma vie de joie. »

Cédric Sapin-Defour participera ce samedi de 14 h à 15 h 30 à une causerie et une séance de signatures à la librairie Monet, au 2752, rue de Salaberry (Galeries Normandie).

Son odeur après la pluie

Son odeur après la pluie

Éditions Stock

286 pages